Science-Fiction et vocations scientifiques
mars 9th, 2009 Posted in Au cinéma, Brève, SciencesIntéressant, je découvre qu’un documentaire proche de mes préoccupations sort aux États-Unis : Monsters from the id (Monstres du «.ça.»), de Dave Gargani, un réalisateur de films publicitaires. Le point de départ de l’auteur, tel qu’il le raconte, était de réaliser une étude sur les films de science-fiction de série B des années 1950. Au fil des visionnages, sa manière de voir ces films a complètement changé. Au delà de la lecture que les historiens ont généralement de ce cinéma fait de cerveaux rampants et de tarentules géantes qu’on prend traditionnellement pour l’expression d’une peur du communisme et de la bombe atomique, il a perçu un positivisme scientiste et un grand enthousiasme envers la notion de progrès scientifique. Il raconte aussi que le savant fou (irresponsable et dangereux) a été concurrencé sinon remplacé par le savant « moderne » (responsable et soucieux du bien de l’humanité).
Cette observation précise me semble discutable, je vois pour ma part de nombreux savants modernes dans les fictions du XIXe siècle et, surtout, de la première moitié du XXe siècle, notamment chez Edgar Rice Burroughs, chez H.G. Wells avec The Time Machine bien sûr, mais aussi avec le superbe film Things to come (scénarisé par Wells juste avant la seconde guerre mondiale), où un monde détruit par la bêtise humaine est rebâti par une république de savants élégants… (on en reparlera)
On trouve aussi un personnage marquant de savant positif dans le Flash Gordon d’Alex Raymond, le docteur Zarkov. Il est vrai qu’avant-guerre les savants positifs sont souvent des explorateurs (anthropologues, archéologues…).
Dave Gargani remarque que celui qu’il nomme le « savant moderne » est brillant, charmant, et même bel homme. Si ce personnage du savant moderne existait déjà, il est possible effectivement qu’il ait été particulièrement présent dans les années 1950.
La thèse du documentaire est que cet enthousiasme pour la science qui anime le cinéma de science-fiction d’après-guerre a provoqué de véritables vocations scientifiques. La science-fiction ne servirait donc pas à prévoir un futur mais à le construire.
Le documentaire donne entre autres la parole à Homer Hickam, un ingénieur de la Nasa autodidacte, et à Leroy Dubeck, qui utilise la science fiction comme support pédagogique à l’université.
Le film traite aussi du présent, c’est à dire de l’actuel effondrement des vocations scientifiques aux États-Unis, pays qui se trouve (je cite la bande annonce mais je n’ai pas trouvé de détails sur ce chiffre) au 25e rang mondial en nombre de diplômés à l’université dans le domaine scientifique. La baisse de l’importance du personnage du savant moderne dans le cinéma de science-fiction y est peut-être pour quelque chose, mais on peut imaginer que l’indulgence dont jouissent les thèses inspirées par la religion (créationnisme, dessein intelligent, géocentrisme) cause aussi beaucoup de tort à l’enseignement supérieur américain.
On pourrait comparer cette situation à celle du Japon, pays où les sciences et les technologies ont une importance énorme, qui est extrèmement avancé dans le domaine, par exemple, de la robotique, et qui est sans doute aussi le pays qui produit le plus d’œuvres de science-fiction à présent, notamment par le biais du dessin animé et de la bande dessinée.
Il y a certainement d’autres raisons, notamment le manque de considération actuel (car je crois que c’est un travers spécifique à notre époque) pour ce qui n’est pas utilitaire.
Dans un de ses premiers romans (refusé par l’éditeur et édité pour la première fois il y a quinze ans seulement), Paris au XXe siècle, Jules Verne imaginait que les sciences et les techniques deviendraient l’unique passion de la population des années 1960. Le héros du livre, Michel Dufrénoy, y est la risée de tout le pays et une source d’embarras pour sa famille car il a obtenu un premier prix en versification latine. La littérature est méprisée, les poésies ont des titres tels que Le parallélogramme poétique et l’on ne peut espérer percer dans la musique qu’avec des morceaux inharmonieux aux titres tels que Grande Fantaisie sur la liquéfaction de l’acide carbonique.
Cette opposition science/lettres ou science/arts, si clairement exprimée dans le roman de Jules Verne, est un vieux poncif.
Je pense qu’il s’agit d’un lieu-commun erronné : la science n’est pas plus à la mode à présent que ne l’est la littérature. C’est à mon avis, ce qui ne rapporte pas directement d’argent qui est méprisé. Donc l’art lorsque l’on ne peut pas parler de records chez Sotheby’s, la littérature lorsque l’on ne parle pas de best-sellers ou la science lorsque l’on ne parle pas de brevets rémunérateurs.
4 Responses to “Science-Fiction et vocations scientifiques”
By Hobopok on Mar 10, 2009
Toujours à ruminer sur l’absence de Rolex à ton poignet, Jean-No ?
Félicitations en tout cas pour le choix d’illustrations, avec deux de mes films préférés, Le jour où la terre s’arrêta, et Planète interdite. Sans doute encore un Godzilla made in Japan, et la première vignette je sais juste pas.
By Jean-no on Mar 10, 2009
Ni Rolex, ni Solex, voilà tout le problème.
J’ai pris des images du dossier de presse du film. Elles ne sont pas créditées précisément mais je pense que le Godzilla est américain, et que c’est The Beast from 20,000 Fathoms. Le « rocket scientist » lui est un vrai bonhomme puisqu’il s’agit de Herr Doktor Von Braun, savant nazi, gros bonnet de la nasa (nazi naza ?) et consultant Disney.
By david t on Mar 10, 2009
re: «Grande Fantaisie sur la liquéfaction de l’acide carbonique»
où peut-on se procurer ce disque??!
By Webknot on Mar 11, 2009
(…) Nous savons tous aujourd’hui qu’il n’y a aucun rapport entre la science et le bonheur ou la liberté (…)
J’ai pensé à ce texte d’Armand Farrachi en lisant votre article : http://spedr.com/7tec