Profitez-en, après celui là c'est fini

La 3D est-elle toujours laide ?

juillet 21st, 2008 Posted in Au cinéma, Design, Images

Autant désamorcer tout de suite la question volontairement provocatrice du titre : non non, la synthèse d’images en trois dimensions n’est pas condamnée à la laideur, il existe bien des exemples de belle 3D. Et pas seulement de belle 3D interactive même si l’interactivité (typiquement, le jeu vidéo) est ce qui donne le plus de sens à ce genre d’images à mon avis.
Personnellement, j’ai toujours beaucoup aimé la 3D « roots » des premières tentatives de modélisation filaires ou composées d’aplats rudimentaires. Ce genre d’images nous rappelle ce pour quoi on les a inventées (bien avant l’ordinateur), à savoir modéliser des objets pour les concevoir ou en étudier les propriétés en détail. J’aime aussi les projections isométriques (Sim City, Little big Adventure), pour les mêmes raisons. Je peux apprécier les rendus sophistiqués et les designs « cartoon » fortement stylisés des animations Pixar. Je me suis habitué aussi à la 3D que j’appellerais « invisible », c’est à dire celle qui cherche à ne pas être remarquée, à s’intégrer de manière transparente à des images filmées : le paquebot du film Titanic, la Rome de Marc-Aurèle dans Gladiator et les combats chorégraphiés des super-héros Marvel. Sur ce genre précis, on remarquera que notre œil de spectateurs s’adapte très rapidement. Les effets qui nous semblaient impossibles à distinguer de la réalité il y a seulement cinq ans nous semblent à présent grossiers, nous voyons que tel personnage manque de pesanteur, qu’il bouge comme un pantin, enfin cela vieillit. Inversement, il me semble que les effets qui nous semblaient outrés à leur sortie sont ceux qui ont le mieux supporté la patine du temps — le Hulk de Ang Lee par exemple.
Un nouveau film basé sur l’image de synthèse vient de sortir : Voyage au centre de la terre – 3D, d’après Jules Verne.

Le « 3D » du titre signifie qu’en plus d’être réalisé en images de synthèse, il peut être visionné en stéréoscopie dans certaines salles de cinéma, renouant avec une tradition du cinéma des années 1950 (la créature du lagon noir, etc.), à cette différence qu’ici, les lunettes fournies au spectateur sont polarisées (chaque verre ne reçoit que les rayons orientés selon une incidence précise) et non colorées. L’utilisation de verres polarisés n’est pas inédite mais il semble qu’elle ne soit viable pour la diffusion de longs-métrages que depuis l’avènement des projections digitales (Cinema-D).
Le réalisateur Paul Chart (American Perfekt), qui adorait le livre de Jules Verne, a finalement refusé de faire l’adaptation d’un film principalement destiné à servir de publicité à une nouvelle technique de projection en 3D avant tout destinée aux parcs d’attraction. Peut-être a-t-il eu tort. Même si c’est dans des salons chics ou devant des parterres de scientifiques qu’on a présenté ces inventions la première fois, le phonographe, le cinéma ou le cinéma d’animation ont rapidement lassé, et ce sont les forains qui les ont diffusé et fait vivre en attendant que d’autres circuits apparaissent1 .
Après le refus de Paul Chart, donc, les rennes ont été confiées à un spécialiste des effets spéciaux, Eric Brevig, qui a exercé ses talents sur de nombreux blockbusters comme Total Recall, Men in black, Pearl Harbour, The day after tommorow ou encore Signs. Confier un film à un technicien du cinéma plutôt qu’à un réalisateur semble être à la mode : Pitof, l’homologue français d’Eric Brever, a réalisé Vidocq et Catwoman, Michael Lantieri (qui a dirigé les effets spéciaux de plusieurs films de Spielberg) s’est vu confier la direction du film Komodo, tandis que John Dykstra, qui a signé les effets spéciaux de plusieurs films de super-héros, est en train de préparer la réalisation de son premier film.
Ce genre de choix de production, indépendamment du talent que peuvent avoir ces réalisateurs, semble signifier que le film va reposer sur ses effets spéciaux. Même si aucun choix esthétique n’est innocent et ne devrait être irréfléchi, jamais un effet, une technologie, un format d’écran, une pellicule ou un filtre n’ont suffi à faire un film. C’est la grande leçon de Pixar depuis ses premiers courts-métrages : les règles du cinéma linéaire ne changent pas, quelle que soit la technique employée pour créer les images, il faudra toujours, en premier lieu, avoir quelque chose à dire ou à raconter.

Au XIXe siècle, les taquins ont qualifié la peinture académique tardive d’« art pompier ».
En effet, les casques bien brillants des guerriers de l’antiquité rappelaient ceux des sapeurs-pompiers de Paris. Ci-dessous, Pollice Verso, une peinture de Jean-Léon Gérome (1872).

Eh bien parmi tous les sous-genres de la synthèse d’images en 3D, je pense qu’il existe une 3D « pompier », et en voyant la bande-annonce du Voyage au centre de la terre 3D (film que je n’irai pas voir en salle, donc peut-être persiflè-je à tort), il me semble qu’on est bel et bien dans le « pompier ».
Sans se lamenter sur le non-respect manifeste du livre de Jules Verne, les images (voir plus haut) semblent fausses, leurs éclairages sont trop travaillés, leurs contrastes affadis, les lumières diffuses, les couleurs sans naturel, enfin il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien.

Difficile de ne pas comparer le film qui est sorti cette semaine au classique Journey to the center of the earth produit par la 2Oth Century Fox en 1959. Ce film a gros budget a sans doute vieilli. Les rapports hommes-femmes, qui ont leur importance dans l’intrigue sont très datés. Les scènes d’action nous paraissent molles2.
L’humour est lui aussi passablement vieillot — les malheurs de l’éphèbe islandais Hans qui passe le plus clair de son temps à perdre et à retrouver son oie Gertrude, par exemple, ont quelque chose de consternant.
J’ai lu le roman de Jules Verne enfant et en Bibliothèque Verte, c’est à dire dans une version écourtée, mais il me semble bien que ces éléments que je trouve aujourd’hui vieillots sont justement ceux qui ne font pas partie du roman d’origine. Je suppose qu’il s’agissait de contemporanéiser le récit, mais ces choix agissent au contraire comme un tampon-dateur un peu baveux.

D’un pur point de vue visuel, on y croit pourtant un peu plus. Bien sûr, certains décors ont été peints à la gouache et d’autres sont en papier. Mais lorsque les héros tombent dans l’eau, ils sont vraiment mouillés, les accessoires semblent avoir un poids, une existence tangible, on n’a pas en tête la pénible vision d’acteurs évoluant devant un écran bleu. Même les montages grossiers (des lézards agrandis) ont un petit quelque chose d’effrayant. Parfois même, on se demande comment les effets ont été obtenus : le bricolage brouille les pistes.

Le cas d’école, dans le domaine de la 3D qui ne fonctionne pas, c’est peut-être Star Wars. Un même producteur, George Lucas, a réussi à rendre son univers science-fictionnesque moins crédible à mesure qu’il a eu les moyens de tout réaliser sur ordinateur. Les trois derniers épisodes de la saga sont plutôt bien faits, très maîtrisés (et peut-être que c’est un des problèmes, l’absence d’accidents ?) mais on se fatigue vite de voir au fond de chaque plan des vaisseaux spatiaux voler comme des mouches et des extra-terrestres pittoresques qui gigotent pour nous montrer qu’ils sont là.

L’art pompier était soucieux du détail, et pas uniquement de détail visuel. Les reconstitutions historiques se basaient sur des travaux d’archéologies tout en cherchant souvent à respecter le dogme iconographique à la lettre (le casque de Périclès a telle forme, l’empereur a tel ou tel attribut, effectue tel geste précis, etc.). Quand on entend James Cameron raconter comment il a fait Titanic (les hommes ont eu moins de chances statistiques de survie, donc le héros meurt mais pas sa dulcinée, etc.), ou quand on se rappelle de la manière dont Dreamworks a communiqué sur Le Prince d’Égypte (qui était censé trancher la question idéologiquement très importante aux États-Unis à l’époque « les pharaons étaient-ils blancs ou noirs ? »), on est bien aussi dans l’art pompier, une représentation d’autant plus fausse qu’elle a la naïveté de se croire juste, comme c’est le cas des reconstitutions en volume des personnages de la scène de Léonard de Vinci des musées de cire américains qu’évoque Umberto Eco dans La guerre du faux3.
L’académisme en peinture a finalement été balayé par l’impressionnisme (soucieux de vérité optique mais de manière plus méthodique) et par divers mouvements qui ont suivi, en continuité, en complément, en réaction ou… sur un malentendu.
La synthèse d’images en 3D attend encore ses Cézanne, ses Gauguin, ses Lautrec ou ses Bonnard. Oh bien sûr, ces peintres peuvent tout à fait être imités numériquement, on trouve dans les logiciels d’image des filtres « impressionnisme », « pointillisme », « Van Gogh » ou « Warhol » aux effets plus ou moins heureux. Mais ce n’est pas de cela que je parle. De nombreux jeunes réalisateurs de courts-métrages d’animation, de publicités ou de clips ont cherché à développer une approche novatrice de la synthèse d’images, mais très peu d’entre eux tiendraient la route sans fatiguer le spectateur pendant toute la durée d’un long-métrage.
Je le cite souvent, mais après tout il le mérite, Michel Gondry est peut-être un des rares auteurs à utiliser beaucoup d’effets spéciaux avec originalité, avec personnalité sans pour autant perdre la fluidité et le naturel qu’impose un long-métrage. Il faut dire qu’il est particulièrement attaché au bricolage et qu’il n’hésite pas à utiliser certaines technologies à contre-emploi (utiliser le morphing pour simuler des mouvements de caméra par exemple) ni à mélanger la pointe des effets digitaux avec du papier-crépon, de la colle et du coton45.

  1. L’importance historique des forains dans l’histoire du cinéma est racontée dans l’Histoire du Cinéma Mondial de Georges Sadoul []
  2. Très intéressant au sujet des scènes d’action, je remarque que l’homme d’action du film de 1959 n’est pas son personnage principal, puisque le sauveur des situations périlleuses est presque toujours l’islandais Hans, un simple employé. Le standard actuel du héros positif dans les films d’action est bien différent, il est certes intelligent mais aussi jeune et très très costaud.  Enfin il me semble. Ici, le héros est incarné par James Mason qui avait cinquante ans au moment du tournage []
  3. on trouve une reconstitution de la scène de Léonard de Vinci en cire au musée Grévin de Lourdes. L’entrée est chère et le musée vide et poussiéreux mais ça vaut le coup d’ oeil. Ce temple de bigoterie tente de rendre vraies les Évangiles en se basant sur des interprétations picturales de la Renaissance.  []
  4. vous avez remarqué ? J’étrenne un système de notes en bas de page, rendu possible par le plug-in WordPress-footnotes []
  5. en parlant de 3D, j’apprends qu’on trouve désormais des scanners 3D à moins de 2000 euros []
  1. 12 Responses to “La 3D est-elle toujours laide ?”

  2. By Wood on Juil 21, 2008

    Gertrude n’est pas une oie, mais un eider, voyons !

  3. By Jean-no on Juil 21, 2008

    Je pense qu’ils ont donné le rôle à une oie. C’est ça hollywood, on fait jouer les rôles de filles moches à Charlize Theron (avec énormément de maquillage, ce qui lui vaut un oscar), on fait jouer les rôles de mauviettes à des gars dont chaque bras est épais comme un jambon et on fait jouer les eider à des oies.
    Mais dans le livre, il n’y a ni eider ni oie hein ?

  4. By Wood on Juil 21, 2008

    Ni eider, ni oie, ni ennemi humain, ni aucun personnage féminin. Le narrateur et son oncle le professeur sont allemands et non écossais. Par contre il y a bien un Hans, qui est « chasseur d’eiders » (c’est à dire qu’il récolte les nids des eiders, qui sont garnis de plumes dont on fait des edredons, comme chacun sait)

    (on m’a fait étudier ce livre en classe de 5ème)

  5. By Jean-no on Juil 22, 2008

    Je l’ai lu bien plus petit et mes souvenirs se mélangent à ceux du film et même à un téléfilm des années 1970 adapté de l’Île mystérieuse – aucun rapport donc – avec Omar Sharif.

  6. By Guillermito on Juil 22, 2008

    John Dykstra est surtout connu pour son travail dans les années 70-80 sur les effets spéciaux optiques. Sans image de synthèse, les ordinateurs n’étant utilisés que pour mémoriser le trajet des caméras devant les miniatures, fonds d’écrans, matte painting, etc, et combiner le tout.

    Il a bossé avec un autre grand spécialiste des effets optiques, Douglas Trumbull, qui a réalisé le magnifique Silent Running.

    Je me souviens encore que mon père nous avait amené voir « Firefox » (un film, pas un browser, dont les effets étaient signés Dykstra). C’était aussi l’époque ou j’étais abonné a Starfix, excellent magazine de SF / Fantastique. Bref.

    En tous cas, vos articles sont un régal.

    Ah oui, aussi. A propos des effets digitaux récents qui semblent parfois assez grossiers alors que la capacité des ordinateurs a simuler la réalité ne fait pourtant qu’augmenter exponentiellement, il y a cette théorie assez amusante de l' »uncanny valley » que Clive Thompson a bien expliqué sur son blog et ailleurs. En gros, dans le cas notamment des personnages humains, plus on s’approche techniquement de la perfection photoréaliste, plus notre cerveau a du mal a humaniser ces copies, et se concentre sur et amplifie les toutes petites différences qui restent (textures, lumière, mouvements subtils…).

    Voir par exemple la :

    collisiondetection.net(…)ps3_games_plung.html
    collisiondetection.net(…)monsters_of_pho.html
    slate.com/id/2102086/
    arclight.net(…)uncanny-valley.html

  7. By Jean-no on Juil 22, 2008

    Ah, Silent Running, je compte bien en parler ici un jour. Les scènes où le héros s’ennuie tellement qu’il essaie d’apprendre le poker à ses robots…

    La théorie de « l’uncanny valley » que je ne connaissais pas m’intéresse vivement (je vais aller lire ça) et ne m’étonne pas, car notre cerveau est conçu pour identifier des différences très subtiles entre les physionomies et même entre les expressions (nous distinguons très bien un sourire sincère d’un sourire forcé, par exemple, alors que les différences sont très ténues). Nous sommes hyper-sensibles au visage humain, et même dans une moindre mesure au corps humain et à son expression, tandis qu’il est plus courant de nous tromper sur des objets (même si un designer verra bien la différence entre deux meubles proches, qu’une passionnée de la mode ne pourra pas confondre deux sacs apparemment identiques, etc. : l’œil humain peut s’éduquer dans divers domaines).
    Ce qui m’intéresse c’est qu’à ce jour je n’ai jamais vu de portrait en 3D, même fait à l’aide d’un scanner 3D, qui atteigne le niveau de vraisemblance et d’illusion de « vie » d’un pastel de Quentin de la Tour, de Liotard ou d’Elisabeth Vigée-Lebrun. Tiens, j’ai cité trois peintres du XVIIIe siècle, peut-être que l’époque des lumières est particulièrement propice à une découverte du « naturel » (mais toujours avec élégance) en peinture et ailleurs (en littérature : Rousseau, Casannova,… et ne parlons pas de la philosophie et des sciences) ? J’aurais pu citer Van Dyck, Rubens, Velasquez et Ingres ceci dit. Et bien d’autres évidemment.

  8. By Christian Fauré on Juil 22, 2008

    Flash back quand tu as parlé de Little Big Adventure : qu’est ce que je me suis amusé sur ce jeu ! :-)

  9. By Jean-no on Juil 22, 2008

    Je ne sais plus pourquoi mais je n’y ai jamais joué. En revanche je trouvais ça incroyablement beau. Je vais essayer de retrouver ça, peut-être qu’on peut toujours y jouer… ?

  10. By Stéphane Deschamps on Juil 23, 2008

    Tu es injuste, tu oublies l’excellent boulot de Pixar, notamment sur les scènes où on voit le rat courir dans Ratatouille. On oublie l’image de synthèse et on se laisse balader dans les conduits, les plafonds, le long des tuyaux.

    Par ailleurs la représentation des personnages cartoonesque, que ce soit dans Ratatouille ou les Indestructibles, est d’une certaine manière un genre « d’impressionnisme » plus que de pompier, non ?

  11. By Stéphane Deschamps on Juil 23, 2008

    PS : vivement que tu parles de Silent Running, j’ai adoré.

  12. By Jean-no on Juil 23, 2008

    Si si, en fouillant bien dans le texte tu verras que je dis du bien de Pixar. Très bien Pixar. Ceci dit depuis « Luxo » et « Tin Boy », ce qu’a prouvé John Lasseter, c’est surtout qu’une bonne animation doit avoir un bon scénario.

  13. By Gertrude on Juil 24, 2008

    La 3D de style « pompier », c’est justement ce qui a été (un peu) évité dans le dernier Indiana Jones. Spielberg avait-il compris qu’un déluge d’effets aurait tué la personnalité d’Indy… Bon évidemment, j’ai bien dit « un peu ».

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