Profitez-en, après celui là c'est fini

Nouveau chapitre

janvier 23rd, 2023 Posted in Après-cours, Personnel

(Avertissement : les lignes qui suivent n’ont aucun intérêt ! L’information importante est que je quitte l’Université Paris 8 en août prochain)

C’est le jour de mon mariage, le 11 avril 1992, que le parrain de mon frère, Bruno Koper, m’a parlé de l’Université Paris 8 où il donnait un cours au sujet du graphisme polonais. Il m’a dit que ce serait un lieu particulièrement accueillant pour moi, connaissant mon parcours un peu atypique.

La salle A-1-175, où je donne cours depuis 1998. Cette année-là, afin de donner un peu de lustre à l’enseignement supérieur à Saint-Denis, où se tenait une coupe du monde de football, une partie de l’Université a été réaménagée, et notamment cette salle, crée quelque part dans l’ancien emplacement de la bibliothèque.

Quelques années plus tôt, en effet, au lieu d’aller au lycée général, je suis entré dans un Lycée professionnel, pour préparer un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et non le baccalauréat — diplôme que je n’ai donc pas. J’étais malgré tout entré dans l’enseignement supérieur, ayant été accepté aux Beaux-Arts de Paris, avec beaucoup de chance d’ailleurs car l’année suivante, il devenait obligatoire d’être bachelier pour pouvoir passer le concours1.
Je n’étais pas très bien aux Beaux-Arts, trop timide pour me faire une place dans l’atelier, trop orgueilleux pour m’intéresser à l’opinion de mon chef d’atelier (Pierre Carron), je peignais chez moi et je venais surtout à l’école pour fréquenter les ateliers techniques, notamment la taille-douce, et pour le cours de morphologie de Jean-François Debord, que je n’ai jamais raté et que j’ai continué à suivre année après année. Bon, bref, je n’étais pas certain de mon avenir aux Beaux-Arts, j’avais épuisé tous mes reports du service national, j’avais une petite fille de deux ans, il fallait que je me trouve un futur.

Alors l’Université, pour devenir prof de collège ou de lycée, pourquoi pas. Je suis allé voir le cours de Bruno Koper, qui m’a fait visiter un peu les lieux. Quelques mois plus tard j’ai passé un petit examen réservé aux non-bacheliers, que j’ai réussi, et j’ai pu devenir étudiant à Paris 8. La chronologie de cette période n’est pas très claire pour moi car je ne sais plus exactement quand j’ai effectué mes vingt mois de service national2, mais une chose est certaine : un jour j’ai eu ma carte d’étudiant à Paris 8. J’y ai suivi des cours très variés : sociologie de l’art, chinois classique, scénographie, etc., et puis je me suis inscrit, un peu par curiosité3, aux cours liés aux nouveaux médias, notamment ceux d’Aline Giron, Fabien Lagny, Liliane Terrier et Jean-Louis Boissier. Par un hasard incroyable, j’avais pour voisin Jean-Marie Dallet, qui a rejoint l’équipe à l’époque et que j’ai officieusement assisté : je ne faisais que découvrir le champ des nouveaux médias en art, mais j’avais la bosse du code, apparemment, et je pouvais donner un coup de main aux étudiants pour leurs projets.

Rapidement, j’ai été intégré dans une équipe incroyablement dynamique et même assez centrale dans son domaine, et sans rien voir venir, je me suis retrouvé chargé de cours au sein du département d’arts plastiques, et collaborateur du laboratoire esthétique de l’interactivité pour des expositions (la Biennale Artifices notamment), des CD-roms, et autres projets. Internet démarrait pour le grand public et à la même époque j’avais refusé un emploi de développeur au studio Grolier (Hachette) — avoir un minuscule site de trois pages alors que presque personne ne savait que ça existait était un diplôme suffisant pour ça ! —, persuadé que ma charge de cours m’assurerait un revenu correct. Lorsque la première paie est arrivée, dix mois plus tard, j’ai assez brutalement déchanté, mais j’ai continué à donner régulièrement cours. Entre temps, j’ai obtenu un poste sérieux à l’école supérieure d’art et de design d’Amiens.

Au tournant du millénaire, j’avais une grosse activité d’indépendant, j’ai réalisé ou développé une douzaine de cd-roms, je faisais des sites web, j’assistais des artistes, etc., je gagnais un peu ma vie, donc, et j’ai commencé à me lasser un peu du revenu misérable que m’apportaient mes quelques heures hebdomadaires de cours à l’Université.
C’est à ce moment-là qu’on m’a proposé de postuler pour devenir « Maître de conférences associé », un contrat précaire (renouvelable tous les trois ans) mais correctement rémunéré, spécifiquement taillé pour intégrer à l’équipe enseignante des professionnels sans parcours académique4.
J’ai occupé ce poste, régulièrement renouvelé, entre 2001 et 2017 : seize ans. Et puis l’Université a tenté de se défaire des professeurs associés, en examinant nos cas avec un zèle nouveau. Devenu entre temps enseignant à plein temps à l’école d’Art du Havre, j’étais bien trop « professeur » pour pouvoir rester « associé » et on m’a proposé (ainsi qu’à une dizaine de personnes dans mon cas) un contrat d’enseignement et de recherche créé sur mesure, mais assorti d’une certitude : après cinq ou six ans d’un tel emploi, celui-ci ne serait plus renouvelable, car la loi Sapin de 2001 impose une alternative assez raide aux agents précaires du service public soit la titularisation d’office (impossible pour un enseignant à l’Université et c’est bien normal), soit la porte5.
Il y a deux ans j’ai signé l’ultime prolongement de mon contrat.

Une amie et collègue m’a suggéré une ultime possibilité pour pouvoir devenir Maître de conférences à part entière : postuler à la « qualification sur travaux ». Pour dire les choses rapidement, la qualification est la condition sine qua non pour pouvoir devenir maître de conférences, et elle n’est typiquement offerte (et non sans efforts) aux titulaires d’un doctorat. Mais il existe tout de même une exception pour les gens qui ont une activité importante de recherche, qui publient, sont membres d’une équipe de recherche, etc., et c’est la qualification « sur travaux », sans thèse. Qualifié, j’aurais pu candidater à des postes de maître de conférence, sans aucune certitude que ça fonctionne.

Le résultat de ma candidature est tombé ce matin, c’est non. Deux collègues du bout de la France que je ne connais pas (et tant mieux), nommés rapporteurs, ont donné leur avis : mon dossier est irrecevable.

À vrai dire je m’en doutais. En effet, je n’entrais précisément dans aucune case : membre d’une équipe de recherche, oui, mais comme membre associé ; professeur associé pendant x années, oui, mais seulement à mi-temps ; etc.

J’entame donc aujourd’hui — très précisément aujourd’hui même ! — mon ultime semestre à l’Université Paris 8. Et c’est sans aigreur. D’une part, je peux me vanter d’avoir été fermement soutenu à chaque renouvellement (et notamment lorsque l’Université a voulu faire disparaître ces postes de professionnels associés) par les divers responsables du département arts plastiques — Liliane Terrier, Manuela De Barros, Jean-Marie Dallet et Catherine de Smet, ont toute ma gratitude, notamment. Et je dois beaucoup aussi à tous les autres titulaires, qui forment une équipe soudée et toujours amicale. Je pense bien sûr aussi aux étudiants que j’ai eu au fil des décennies — des centaines —, avec qui j’ai parfois gardé le lien.
Bref, c’est terminé, et c’est normal, j’ai bénéficié de bien plus de bienveillance collégiale que bien d’autres et je n’ai pas à me plaindre, tout au contraire. Je ne serai plus désormais que professeur d’enseignement artistique à l’école d’art du Havre et c’est très bien ainsi. Le temps dégagé me permettra de terminer certains projets et de m’investir dans l’association Ateliers Geeks. Je dois avouer que je me sens d’ores et déjà soulagé d’un poids en pensant à tous les mémoires de Master dont je ne vais pas être le directeur l’an prochain, car cette partie de l’activité d’enseignant est pour moi la plus exténuante.

Concrètement, je signale aux étudiants dont je dirige les mémoires qu’ils devront impérativement soutenir lors de la session de juin-juillet, ou à défaut, se rabattre sur d’autres enseignants pour les suivre.
Si j’ai un seul vœu à adresser au département arts plastiques, ce serait que mon support de poste échoie à quelqu’un qui utilise le code informatique comme outil de création, car il me semble que cette préoccupation est loin d’être caduque.

Mise-à-jour du 17 avril 2023 : Aujourd’hui aurait dû avoir lieu mon dernier véritable cours, après vingt-sept ans sous divers statuts, mais la présence des étudiants comme l’accès au bâtiment ne sont, mouvement social oblige, pas garanties. C’est plutôt amusant de partir en catimini, de ne pas avoir réellement refermé le livre (et ce n’est par ailleurs pas tout à fait exact car il me reste encore une séance de cycle de conférences et beaucoup de soutenances de mémoires d’ici l’été.

  1. Pour être précis, il existe la possibilité d’intégrer les écoles supérieures d’art sans être titulaire du bac, mais c’est à présent un privilège rarissime. []
  2. J’étais objecteur de conscience, la durée était de vingt mois, alors que pour le service civil elle n’était que de dix mois. []
  3. À l’époque, je voulais être Vermeer ou rien (j’ai réussi !), et j’entretenais un certain mépris pour la plupart des formes contemporaines de l’art. L’idée de mélanger art et ordinateur me semblait particulièrement hérétique, mais je programmais déjà depuis longtemps, et je voyais l’intérêt de ce qu’on nommait alors le « multimédia ». []
  4. Toujours étudiant, j’ai fini par obtenir un D.E.A., soit l’équivalent d’un Master 2 actuel. []
  5. Eh oui, c’est à cause d’une loi contre la précarité des agents publics que je perds un emploi public ! []
  1. One Response to “Nouveau chapitre”

  2. By Patrice Létourneau on Jan 24, 2023

    Bonne suite Jean-no !

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