Dix ans
mars 8th, 2018 Posted in Le dernier des blogs ?La première fois qu’on m’a parlé de blogs, au début des années 2000, j’ai détesté le principe. J’ai même détesté le nom qui sonne comme le babil des nourrissons : « blebleblebleblog ».
J’étais venu à Internet en 1995, et ce qui m’y avait immédiatement fasciné à titre philosophique et politique, c’est l’indépendance dont les créateurs jouissent vis à vis des outils qu’ils emploient : le langage HTML, qui sert aujourd’hui encore à créer les pages web, n’est la propriété d’aucune société commerciale, pas plus que le protocole FTP qui sert à déposer les pages sur les serveurs. Avec un apprentissage au fond très léger, n’importe qui peut produire du contenu en ligne. Mais si cet apprentissage est léger, il me semblait presque hérétique de vouloir s’en affranchir : utiliser un blog, c’est à dire un système qui permette de publier pour Internet sans savoir écrire une ligne d’HTML ? Quelle idée scandaleuse ! Bien entendu, pour simple qu’il soit, le HTML posait quelques petits problèmes à l’usage puisqu’il fallait penser en même temps la mise-en-page et le contenu, et que la moindre modification pouvait réclamer plus d’énergie que ne le laissait imaginer le résultat.

Quelqu’un qui sait rester modeste1.
Et puis le temps a filé. Les blogs ont fleuri sur Internet, des auteurs et des autrices s’y sont épanouis, y sont « nés » dans divers domaines, de l’éditorial politique à la bande dessinée en passant par la médiation scientifique et mille autres sujets. Il y a eu des remises de prix du meilleur blog, un festiblog, des blogs de journalistes professionnels sur des plate-formes indépendantes et des blogs d’amateurs sur des plate-formes journalistiques professionnelles. Et puis des centaines de milliers de blogs d’adolescents, consacrés à une chanteuse ou un personnage de manga. Dans ma famille, parmi mes amis, j’ai fini par avoir l’impression que tout le monde avait son « skyblog », son « canalblog », son « over-blog », son « blogger ». Tout le monde sauf moi.
En 2008, on commençait à parler de la fin des blogs. MySpace, et bientôt le très efficace Facebook, initiaient une nouveauté potentiellement néfaste au web tout entier : des plate-formes qui non seulement permettaient à tout un chacun de produire du contenu en ligne sans en maîtriser aucun aspect technique, mais qui de plus avaient tendance à enfermer les lecteurs à l’intérieur d’un système ou se mêlent ce que l’on fait et ce et ceux que l’on aime, autant d’informations gratuitement fournies par les usagers des plate-formes au profit de ces dernières.
C’est à cette époque que j’ai commencé à ressentir le besoin de mettre en place un outil pour offrir à mes étudiants à l’école d’art du Havre un complément à mes cours, un lieu où publier des photographies, des documents, des références. Pourquoi pas un blog ? Après tout, ce système qui sépare contenu et contenant est bien commode, même pour un prétentieux programmeur old-school qui pense que connaître trois commandes HTML fait de lui un chevalier du net.
Alors j’ai créé mon premier blog, j’ai installé WordPress2 et puisqu’il me semblait que j’étais le dernier au monde à avoir un blog, j’ai intitulé le mien Le dernier blog. C’était le 8 mars 2008, il y a exactement dix ans3.
Ensuite, j’ai pris goût au système. Mes étudiants n’ont pas été le premier public du blog, et j’y ai peu à peu parlé de tout un tas d’autres choses que ce pour quoi je l’avais créé. J’y ai traité notamment de cinéma, de science-fiction, de technologies. Une chose en entraînant une autre, mes billets ont eu un public, m’ont amené des demandes d’articles, de conférences, de livres, m’ont amené aussi des amis.
Wordpress permet de publier facilement des articles, mais aussi de créer de nouveaux blogs, et à celui-ci se sont ajoutés un blog consacré aux mythes de fin du monde, un défouloir politique, Castagne, un dépôt de dessins ou de textes divers, Fatras, et bien d’autres encore, y compris des blogs non-publics, dont je suis le seul à connaître l’existence et que j’utilise pour stocker différentes informations.
Je suis désormais le premier évangéliste de ce système que j’avais autrefois snobé, peut-être parce que j’ai admis que, si l’indépendance technique est bien une question politique, elle est en partie illusoire et peut même paradoxalement s’acquérir au détriment de sa capacité à créer : la technique peut à la fois émanciper lorsqu’elle permet d’être maître de ses moyens de production (pour reprendre la technologie marxiste), et aliéner lorsqu’elle devient une fin en soi.
Je me comprends.
Bon anniversaire, dernier des blogs !
- Pour ceux qui ne comprennent pas la blague, un développeur Web est une personne qui crée des sites web. Tim Berners-Lee est, quant à lui, carrément l’inventeur du World Wide Web. [↩]
- WordPress est un logiciel libre qui repose sur des technologies libres telles qu’HTML, PHP, MySql, Css, Javascript. Il existe une exploitation commerciale de WordPress, WordPress.com, qui propose à la fois le logiciel et la plate-forme pour l’héberger. Même si cette plate-forme a des pratiques tout à fait dignes, je préfère bien entendu la version logicielle, qui réclame un coup de main à l’installation mais plus rien ensuite. [↩]
- Hasard amusant, c’est à cette exacte même date que Geoffrey Dorne a créé son propre blog, Graphism.fr. Bon anniversaire Geoffrey ! [↩]
4 Responses to “Dix ans”
By Bishop on Mar 9, 2018
En fait quand j’ai commencé à lire je pensais que ton blog existait depuis longtemps mais c’était en 2008.
By emsoe on Mar 9, 2018
Merci de vous y être intéressé, vous écrivez, je lis, et je vous/lui souhaite un joyeux anniversaire.
By Stéphane Deschamps on Mar 13, 2018
Hé ! Bon anniversaire le dernier ! :*
By Paul on Mar 16, 2018
Bon anniversaire et félicitations !
Je suis un lecteur régulier depuis une quasi-décennie, vos billets ont souvent été le déclencheur de questionnements fructueux. Certains sont d’ailleurs à la base de séquences pédagogiques de français langue étrangère pour des étudiants avancés.
Merci et bonne continuation !