Artifices 4 (1996)
novembre 6th, 2016 Posted in Cimaises, InteractivitéLa biennale Artifices 4, qui s’est tenue dans la salle de la Légion d’honneur, à Saint-Denis, a duré du 6 novembre au 5 décembre 1996, cela fait donc exactement vingt ans.
Vingt ans, c’est long, alors j’ai un peu tout oublié. Je me souviens que j’avais commencé l’année précédente à donner des cours à l’Université Paris 8, et que pour préparer Artifices, Jean-Louis Boissier1 m’avait chargé d’accompagner la réalisation des œuvres numériques de plusieurs jeunes artistes, notamment étudiants de notre université ou d’autres écoles. Pendant des mois, dans la petite salle bleue électrique du Laboratoire esthétique de l’Interactivité puis, pendant l’été, chez moi, je me souviens avoir travaillé de manière plus ou moins soutenue — selon l’ampleur des projets —, avec Yacine Ait-Kaci, Florence Levert, Kaï-lung Chang, Andrea Davidson, Mei-ling Hsiao, Sabine Jamme et Emmanuel Lagarrigue. Je crois que j’avais donné un coup de main à Liliane Terrier pour son excellente œuvre Le Jardin des modems, un exemple précoce d’art contributif en ligne aussi ambitieux qu’impossible à faire fonctionner à l’époque autrement que comme prototype : Internet n’avait que quelques dizaines de milliers d’abonnés, lesquels auraient dû disposer pour bien faire d’une caméra et d’une connexion permanente…
J’étais aussi présent sur l’exposition en qualité de programmeur du CD-rom Double-Fond2, et, physiquement, dans un rôle de médiateur, puisque j’ai été rémunéré pour passer le temps de l’exposition, avec ma collègue Andre Urlberger, à guider les visiteurs dans le noir.
Je connaissais les œuvres par cœur. Celles de Jeffrey Shaw, l’invité d’honneur, dont le Golden Calf ferait rire aujourd’hui, puisque n’importe quel gamin pourrait réaliser le même avec son smartphone, mais qui pour l’époque était incroyablement high-tech.
En dehors des deux installations de Jeffrey Shaw et de Histoire de…, par Jean-Marie Dallet, le parti-pris de l’exposition était de ne pas cacher les ordinateur et de montrer les œuvres dans des conditions qui auraient pu être celles du foyer ou du bureau. Certaines œuvres étaient aussi projetées sur un écran. Il y avait des sites Internet (äda’Web, Light on the net project, File room, Synesthésie…) et de nombreux cd-roms de chercheurs ou d’artistes (Tony Brown, Laurie Anderson, Dominique Gonzalez-Foerster, Alberto Sorbelli,…), mais aussi quelques cd-roms « industriels », comme celui du Petit Robert.
Ce parti-pris assez radical et opposé à la tradition du musée autant qu’à celle de l’esbroufe des démonstrations technologiques-magiques établissait l’ordinateur non seulement comme outil mais aussi comme média, comme support originel d’œuvres d’art. Ce fait est peut-être une évidence à présent mais qui était loin de l’être à l’époque. Rien n’était une évidence, d’ailleurs, je me souviens avoir dû expliquer le fonctionnement de la souris à plusieurs personnes qui, dans l’enthousiasme de la découverte de l’interactivité, soulevaient régulièrement la souris au dessus de la table et ne comprenaient plus l’absence de réaction de l’écran à leurs mouvements. Pour de nombreux visiteurs qui découvraient le réseau à l’occasion de l’exposition, la nature d’Internet a dû être encore plus mystérieuse.
Des ateliers étaient organisés pour enseigner aux curieux les langages HTML et Javascript. Outre ces ateliers, un certain nombre de conférences et de table-rondes se sont tenues avec des personnalités telles que Pierre Lévy, Simon Lamunière, George Rey, Anne-Marie Duguet et bien d’autres. Pendant une conférence, je me souviens que Jean-Marie Dallet a pris le micro pour annoncer l’attentat du RER à la station Port-Royal.
Je sais que les différentes éditions d’Artifices ont durablement marqué de nombreux amateurs ou créateurs, et que celle-ci — malheureusement la dernière3 — a joué un rôle fondateur dans mon parcours professionnel. Certaines personnes croisées à l’époque ont disparu de mon radar, mais beaucoup restent des amis et/ou des collègues.
Mais voilà, je n’ai pas d’images pour fêter cet anniversaire ! En 1996, la photographie numérique balbutiait et l’argentique coûtait trop cher pour que je m’amuse à prendre des photos dans une pièce plongée dans le noir. Je ne remets pas la main sur le (très intéressant) catalogue (mis en page pas Félix Müller), je ne trouve même pas une reproduction de l’affiche4. Bon anniversaire quand même, Artifices 4 !
Mise-à-jour : Jean-Marie Dallet et Jean-Louis Boissier m’ont fait parvenir des images, que j’ai intégrées à l’article.
- Jean-Louis vient de sortir un livre : L’écran comme mobile, éd. Presses du Réel. Isbn 978-2-940159-86-4. Il fait suite à La relation comme forme – l’interactivité en art, paru il y a déjà (bigre !) douze ans. [↩]
- Isabelle Dupuy avait invité Marie-Ange Guilleminot à inviter elle-même d’autres artistes, à savoir Fabrice Hybert (à l’époque il y avait un « t » à la fin de son nom), Peter Kögler et les Lewandowsky. La réalisation était assurée par Jean-François Rey, Liliane Terrier, Jean-Marie Dallet et moi-même. [↩]
- Un site Internet a été créé sous le nom Artifices 5 avec pour but de constituer un observatoire de la création artistique en ligne. Parmi les raisons qui expliquent qu’Artifices 4 ait été la dernière édition de cette biennale pionnière, je suppose qu’il y a la classique crise de croissance qui touche toutes les manifestations qui prennent de l’ampleur et dont le budget lui aussi naturellement amené à augmenter effraie ceux qui contribuent à le financer. Par ailleurs, pour la ville de Saint-Denis, la priorité de 1998 était le coupe du monde de football, et non une biennale d’art numérique. Lors de l’inauguration d’Artifices 4, Jean-Louis Boissier avait annoncé que les prochaines éditions seraient virtuelles, laissant le maire Patrick Braouzec perplexe, ce dernier doutant que ses administrés soient nombreux à accéder au réseau avant longtemps. [↩]
- Si quelqu’un a des images à me proposer, je prends, je les intégrerai à l’article. [↩]
3 Responses to “Artifices 4 (1996)”
By Fred Santune on Nov 6, 2016
Je ne me souviens plus très bien à quelle occasion j’ai visité Artifices; en passagère clandestine d’avant ’95 (me faufilant dans le bus de l’Esad sans y être encore inscrite et sans payer quoique ce soit)? ou bien lors d’un voyage scolaire non préparé (Esad ‘promotion’ 95-2000, tu-ne-sais-pas-ou- vas-mais-tu-y-vas-c’est-Paris-quoi)?; quelque soit la façon dont je me suis retrouvée là, pour moi, Artifice est associé à la couleur bleue néon hyper sophistiqué.
Je suppose qu’à l’époque , je ne savais pas vraiment quoi faire d’un mulot – j’avais envie de toucher les trucs sur l’écran plutôt que passer par la médiation d’un autre truc placé du mauvais coté du clavier (un cauchemar pour les gaucher(e)s).
By Pascal on Nov 7, 2016
Vous piquez ma curiosité : c’était quoi, ce « Golden Calf » ?
By Jean-no on Nov 7, 2016
@Pascal : Il s’agissait d’une œuvre que l’on dirait aujourd’hui en réalité augmentée, puisque grâce à un écran que le public pouvait saisir, on voyait apparaître une statue virtuelle dans l’espace de la pièce (enfin le socle et le sol étaient reconstitués en 3D, ce n’est donc pas exactement de la réalité augmentée). Voici une vidéo qui le montre : https://www.youtube.com/watch?v=paaacEIF6wU