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23 (1998)

septembre 18th, 2016 Posted in Hacker au cinéma

23_affiche23 (1998) est un film allemand de Hans-Christian Schmid, réalisateur qui a connu un certain succès hors d’Allemagne au cours de la décennie suivante, avec les films Requiem (2006) et La Révélation (2009), notamment.

Ce film ne semble pas être sorti en salles en France, ou alors très confidentiellement. Il a en revanche été édité en DVD, dans la collection Cinéma Indépendant, que la boutique cdiscount vendait par lot de cinquante disques ornés de jaquettes anonymes, parmi lesquels se trouvent de nombreuses perles inédites, parfois devenues très recherchées telles que Following, l’étonnant premier long-métrage de Christopher Nolan. Cette édition en DVD n’est pas très bonne, elle est en V.O., c’est déjà ça, mais les sous-titres sont incrustés dans l’image !

23 raconte l’histoire de Karl Koch (August Diehl), dit « Hagbard Celine », un hacker des années 1980, connu pour s’être trouvé au centre d’une affaire d’espionnage de la guerre froide, et pour être décédé mystérieusement, en 1989, à l’âge de vingt-trois ans. Le film a été critiqué par les proches du véritable Karl Koch, mais 23 n’en reste pas moins une intéressante tentative de faire la biographie d’un authentique hacker, mais aussi d’évoquer la fin de la guerre froide, ou encore le volet paranoïaque de la « culture hacker ».

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Politiquement, Karl était très à gauche. Dans le film, on le voit notamment manifester contre le nucléaire. Il s’opposant à tout ce que représentait son père, journaliste dans un quotidien conservateur allemand de Hanovre1. Le père de Karl est mort d’un cancer alors que son fils n’avait que seize ans, lui laissant une somme importante qui lui a permis de s’installer dans un appartement, d’acheter une voiture et de financer une consommation croissante de drogue. Il prend un colocataire et décide que, chez lui, chacun fait ce qu’il veut, car c’est « un centre d’étude de la liberté ».
La fête est permanente et tout le monde prend l’habitude de ponctionner des billets dans le tas de deutschmarks dont Karl a hérité.

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Quelques années plus tôt, Karl s’était fait offrir par son père le roman Illuminatus !, publié en 1975 par Robert Anton Wilson (qui apparaît en personne dans le film) et Robert Shea, deux rédacteurs de Playboy qui se sont amusés à bâtir une trilogie dans laquelle toutes les théories conspirationnistes s’avèrent fondées, et où le capitaine d’un sous-marin d’or nommé Hagbard Celine lutte, aidé de son ordinateur FUCKUP (First Universal Cybernetic-Kinetic Ultra-Micro Programmer), contre la secte des Illuminés de Bavière. Hagbard Celine est adepte du Discordianlsme, une religion-canular2 inventée aux États-Unis au cours des années 1950.
En voyant qu’il prenait le roman de Wilson et Shea très au sérieux, le père de Karl Koch le lui a confisqué, mais trop tard, car Illuminatus ! semble lui avoir servi de grille de lecture universelle pour décrypter la marche du monde. Entre autres, Karl est devenu obsédé par le nombre 23 (et le chiffre 5, qui est l’addition de 2 et 3), qu’il voit comme un signe de l’omniprésence des Illuminati.

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C’est apparemment l’obsession des Illuminati qui a amené Karl Koch à l’informatique. Équipé d’un ordinateur Commodore (Commodore 16 ou 64 ?) qu’il baptise FUCKUP, il rencontre sur les « chat-lines »3 des gens qui aiment discuter des théories complotistes. C’est par cette porte que Karl est entré en contact avec le monde des hackers et a épousé son obsession de libre-circulation de l’information. Il fréquente notamment le Chaos Computer Club, l’organisation pionnière des hackers en Europe, tandis que ses obsessions créent une distance avec son cercle d’amis. Il prend comme pseudonyme Hagbard Celine, du nom du héros de la trilogie Illuminatus !. Il attire l’attention d’un journaliste, mais aussi d’un homme d’une quarantaine d’années, Lupo, qui se présente comme programmeur et tente de convaincre Karl et son ami David qu’ils ne voient pas assez grand, et qu’ils pourraient pousser leur amour pour la circulation de l’information et leur haine pour l’impérialisme américain plus loin, en travaillant pour le bloc de l’Est.

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Assez rapidement Karl et David rencontrent Pepe, un dealer, qui se propose de les mettre en contact avec le KGB. Les deux hackers font leurs preuves en fournissant à l’URSS des dizaines de disquettes contenant des données glanées ici ou là. Il reçoivent une généreuse liasse de billets qu’ils partagent avec Pepe et Lupo et qui servent notamment à financer les besoins en cocaïne de Karl, qui a épuisé l’héritage que lui avait légué son père. L’argent reçu par le KGB s’avère cependant vite insuffisant et Karl s’endette auprès de Pepe, qui lui fournit la drogue dont il a besoin (ainsi que les amphétamines qui l’aident à travailler plus). David et Karl, qui n’utilisent que des ordinateurs familiaux aux capacités ridicules, auraient eu besoin d’une machine capable de tester des milliers de mots de passe. Ils font acheter à Lupo un mini-ordinateur, un PDP-114. L’ordinateur, qui a besoin d’une alimentation spéciale et est énorme, s’avère inutile, mais son achat endette Karl et David de 10 000 marks auprès de Lupo.
Pour pallier la faiblesse de son ordinateur, Karl invente une astuce : un programme qui intercepte la demande de connexion des utilisateurs, puis leur dit qu’ils se sont trompés avant de les orienter vers l’authentique interface de connexion, ayant au passage récupéré le login et le mot de passe5.

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Karl commence à faire des crises paranoïa apparemment dues autant aux psychotropes qu’il consomme, au stress qu’il subit, qu’à la surveillance policière dont il fait effectivement l’objet — ce n’est pas parce que l’on est paranoïaque que l’on se trompe sur tout. Après une hospitalisation, il décide de révéler toute l’affaire à la police, dont il espère obtenir un statut de témoin protégé, et aux médias, qui le rémunèrent pour l’exclusivité. Il est effectivement pris en charge par les autorités, qui lui fournissent même un emploi de mairie dans l’attente du procès. Lupo, Pepe et David sont arrêtés.
Le 23 mai 1989, après déjeûner, Karl Koch ne s’est pas présenté à son bureau. On a retrouvé son corps carbonisé à côté d’une voiture qui semblait être là depuis longtemps, dans une forêt des environs de Celle. On n’a jamais retrouvé ses chaussures. La police a conclu à un suicide, mais cette explication n’a pas convaincu grand monde.
Pour la revente d’informations à l’URSS, Lupo et Pepe n’ont été condamnés qu’à des peines de prison avec sursis, tandis que David a bénéficié d’un non-lieu. Il faut dire qu’au moment du procès, un événement venait de se produire : la chute du mur de Berlin.

...

Sorti en 1990, The KGB, The Computer and Me raconte l’affaire selon une perspective américaine : Clifford Stoll, un docteur en astronomie qui s’occupait à l’époque du système informatique du Lawrence Berkeley National Laboratory, a enquêté sur les intrusions informatiques d’un mystérieux hacker et a fini par en remonter la piste jusqu’à Hanovre. Ce téléfilm réussit l’exploit d’être une reconstitution documentaire, filmée quelques mois après les faits, avec pour acteurs les authentiques protagonistes de l’histoire, à commencer par Clifford Stoll et son épouse.

Le film est très regardable, mais, s’il faut en croire les proches de Karl Koch, pas très exact, mais je ne connais pas le détail de leurs arguments. En lisant un peu sur la vraie affaire, je vois que quatre hackers y ont été mêlés, donc aucun ne s’appelait David6. En revanche, la paranoïa complotiste de Karl Koch et son addiction à la cocaïne sont notoires.

  1. Dans le film, le père de Karl était le rédacteur en chef du Hannoversche Rundschau, mais il semble que cette position soit anachronique car le journal avait fusionné avec un autre alors que Karl était encore enfant. []
  2. On me dira, et j’y souscris, que la totalité des religions sont fondées sur des canulars, mais le Discordianisme, au contraire des autres, assume ce statut…
    Le Discordianisme promeut la liberté et voit le désordre et le chaos chaos comme principes fondateurs de l’univers. On rapproche parfois de Discordianisme du Post-modernisme. []
  3. Le film ne précise pas si les serveurs auxquels se connectait Karl Koch étaient des Bulletin board systems (BBS), c’est à dire des serveurs dédiés à la conversation, très populaires pendant les années 1980, ou s’il se connectait au Bildschirmtext, le service équivalent à notre Minitel, créé par la Deutsche Bundespost. []
  4. Célèbre « Mini-ordinateur » commercialisé par Digital Equipment Corporation (DEC/Digital), c’est sur le PDP-11 qu’ont été inventés le système Linux et le langage C. []
  5. Cette technique, qui relève du « phishing », est improprement appelée « cheval de Troie » dans le film. Je soupçonne le scénariste de mal avoir compris certaines explications, mais en dehors de ce détail, le film ne me semble pas contenir d’erreurs techniques. []
  6. Il s’agit de Karl Koch, dit « Hagbard », Dirk-Otto Brezinski, dit « DOB », Hans Heinrich Hübner, dit « Pengo », et Markus Hess, dit « Urmel ». []
  1. 3 Responses to “23 (1998)”

  2. By JM on Mai 4, 2017

    Ôtez-moi d’un doute : le DVD propose bien la vo allemande sous-titrée français (contrairement à ce qu’indique la jaquette qui dit  » Anglais sous-titré français « )

  3. By Jean-no on Mai 4, 2017

    @JM : c’est bien en allemand.

  4. By JM on Mai 4, 2017

    Merci

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