Rainbows End (2006)
août 4th, 2016 Posted in Interactivité, LectureVernor Vinge a enseigné l’informatique à l’Université de San Diego jusqu’en 2000, et est connu, hors littérature, pour avoir popularisé le terme « Singularité technologique », qui décrit le moment où l’humain sera parvenu à créer une forme d’intelligence artificielle capable d’excéder les capacités intellectuelles de son créateur, transformant notre rapport aux machines de manière aussi irrémédiable qu’imprévisible : rien dans notre expérience passée ne permet de savoir ce qui découlera d’un tel événement — d’où l’analogie à la singularité en sciences physiques ou en mathématiques, un état dont les modèles scientifiques ne peuvent prédire les conséquences.
En tant qu’auteur de science-fiction, on doit notamment à Vernor Vinge les romans de la série Zone of thought : Un feu sur l’abîme, Au tréfonds du ciel et les Enfants du ciel. Les deux premiers ont obtenu le très prestigieux prix Hugo1, tout comme le roman dont je veux parler aujourd’hui, Rainbows End.
L’action de Rainbows End (2006) se déroule vers San Diego, en 2025, alors que le poète Robert Gu, qui profite d’un traitement révolutionnaire, revient parmi les vivants après avoir été gravement atteint de la maladie d’Alzheimer. Ceux qui l’ont bien connu avant, à commencer par son fils, redoutent ce retour miraculeux, car Robert Gu, bien que réputé être un des plus grands poètes de l’histoire littéraire américaine, est aussi un homme profondément méchant. Son épouse, Lena, profite d’ailleurs des années que son mari a passées dans les brumes de la maladie pour passer pour morte. La nouvelle jeunesse de Robert change cependant sensiblement son caractère, et malgré sa propension à la misanthropie, il découvre peu à peu un monde de technologies avancées qu’il avait jusqu’ici snobé mais qui l’intéresse désormais. Reparti de zéro, Robert s’inscrit dans un lycée où il suit des cours avec des adolescents ou des personnes âgées qui comme lui veulent apprendre les nouvelles règles du monde. Il cache un secret : il est de moins en moins méchant, et, malgré l’admiration que ses nouveaux textes suscitent toujours auprès de ses camarades de lycée, est convaincu d’avoir perdu son talent, ce qui lui semble être la conséquence directe de son attendrissement.
Le début du récit ne concerne pas Robert : il existe une nouvelle forme de contrôle mental si efficace que des services secrets d’Europe et d’Asie sont forcés de mener une enquête discrète sur le campus de San Diego qu’ils pensent lié à l’affaire. Le fils et la belle-fille de Robert sont des personnalités importantes de la défense du pays, et le poète se trouve malgré lui entraîné dans une histoire qui le dépasse complètement. Je ne vais pas tout raconter, mais un personnage très important apparaît à tous les protagonistes de l’affaire. Pour certains, il a l’apparence d’un horripilant lapin. Pour Robert, il est le « mystérieux étranger » qui hacke de temps en temps l’avatar téléprésentiel de Zulfikar Sharif — un thésard qui a pris le travail de Robert comme sujet de mémoire et qui a mal réglé ses paramètres de sécurité car non seulement il est piraté par le Lapin, mais parfois aussi par Miri Gu, la petite-fille de Robert. La vivacité de ce « lapin », si doué pour faire des promesses irrésistibles et pour être partout à la fois pose question : s’agit-il de plusieurs personnes ? Et s’il était en fait la première intelligence artificielle consciente ?
Plusieurs thèmes traités dans le livre vieux de dix ans résonnent avec l’actualité technologique immédiate.
Dans le roman, chaque personne dispose de lentilles de contact et de vêtements intelligents qui confèrent un grand réalisme à une forme de réalité augmentée complexe qui permet, notamment, d’accéder au réseau en permanence. Un important épisode du livre concerne l’affrontement de « Savoir dangereux », inspiré de l’œuvre de Terry Pratchett, et « Scootch-a-mout », un univers comparable à nos Pokémons. Ces « cercles de croyances » qui fédèrent des milliers de personnes se disputent le contrôle de l’apparence de la réalité augmentée de la bibliothèque de l’Université. Ils ignorent qu’ils sont en fait l’instrument d’un complot : pensant s’opposer dans le monde virtuel, ils forment un attroupement physique tout ce qu’il y a de tangible et permettent à un commando discret d’agir sans se faire remarquer. Ceux qui contrôlent les jeux contrôlent les joueurs, le pouvoir appartient à celui qui parviennent à manipuler les loisirs virtuels d’autrui.
Quelques semaines seulement après que j’aie lu ce roman, commençait le succès planétaire et passionnant à tous égards2 du jeu Pokémon Go, qui m’a évidemment beaucoup fait penser à Raibows End. Et qui m’y a fait penser plus encore lorsque j’ai appris qu’une pétition monstre avait été lancée pour faire exister un jeu parallèle inspiré de l’univers de Harry Potter.
Un autre thème intéressant est celui du remplacement du livre physique par le le livre virtuel, qui est ici, lui aussi, très littéral : afin de numériser tous les livres de la bibliothèque de l’université, un entrepreneur nommé Huertas utilise une déchiqueteuse à bois robot qui transforme méthodiquement tous les ouvrages du lieu en confettis qui sont photographiés à la volée sous différents angles, puis, sachant qu’il n’y en a pas deux qui soient déchirés exactement de la même manière, vus au microscope, qui sont ré-assemblés virtuellement. Robert Gu appartient à la « cabale des anciens » qui tente d’empêcher l’opération — destinée à être généralisée au plus vite, afin de contrer une technologie concurrente venue de Chine. Dans les jeunes générations, peu de gens trouvent à redire au projet « Bibliotome », car ils n’ont pas de nostalgie du livre imprimé, n’en utilisant pas, et ne voyant que des avantages au livre virtuel.
Parallèlement à cette méthode destructrice d’acquisition du savoir livresque, on apprend l’existence de l’EJAT, une technologie d’apprentissage rapide des langues ou des techniques de combat, elle aussi destructrice puisqu’elle altère passablement le fonctionnement du cerveau de ceux (des militaires, souvent) qui ont eu le droit au traitement, et qui, régulièrement, sont victimes de glitchs, se retrouvant par exemple incapables de parler leur langue maternelle, remplacée par le Mandarin.
Le fossé qui sépare les générations vis à vis des technologies fait l’objet d’une méditation assez caustique. Avant d’être initié aux vêtements intelligents (vetinfs) et aux lentilles de contact à réalité augmentée, Robert se fait fournir un ordinateur ultra fin — il ressemble à une feuille — sur lequel, pour qu’il ne soit pas trop bouleversé, on a installé un système qui reprend l’apparence de Windows ME, sorti en 2000.
Le titre du livre, Rainbows end, tire son nom d’une maison de retraite, et c’est aussi un jeu de mot : au lieu de Rainbow’s end — la fin de l’arc-en-ciel, l’endroit où, dit-on, se trouve un trésor —, le nom est bien Rainbows end, c’est à dire « les arc-en-ciel ont une fin ». Plusieurs des héros du roman sont des universitaires retraités, tout comme l’auteur du livre lui-même. Ils vivent dans un univers où il faut assimiler un extravagant nombre de notions techniques, y compris pour être un simple cancre dans une filière technologique dépréciée d’un lycée banal. Ce défi, pour ceux qui trouvent l’énergie de le relever, comme Robert Gu ou sa collègue Xiu Xiang, s’avère plutôt enthousiasmant, mais ne va pas sans poser de problèmes car la réalité semble en voie d’évaporation, plus fragile aux manipulations que jamais. Quant au spectre de désastres guerriers ou terroristes complètement incompréhensibles (c’est bien un roman post 11/9/2001), il semble de plus en plus certain.
Un excellent roman, comme tous ceux de son auteur, mais qui sonne ici comme un avertissement et qui nous rappelle que nous ignorons les effets qu’auront les progrès présents et à venir du « numérique ». Et c’est un technophile optimiste (mais renseigné) qui l’écrit. La version française est assortie d’une préface de Gérard Klein, consacrée au thème de la Singularité technologique.
- Le Hugo Award, décerné depuis 1953, est nommé en l’honneur de Hugo Gernsback, l’inventeur du terme « science-fiction ». C’est la distinction la plus prestigieuse qui existe dans le domaine. [↩]
- Je n’ai pas de téléphone mobile, et Pokémon Go est apparemment incompatible avec les appareils qui ne disposent pas de la 4G, telle ma tablette. Je ne peux donc suivre l’affaire que d’assez loin. Mais je suis étonné de la vitesse à laquelle le phénomène a pris, je suis sidéré de voir des gens de divers âges, dans la rue, dans les parcs, qui semblent tous occupés à chasser des monstres virtuels. Des articles très intéressants sortent déjà sur le sujet, et on peut lire ici et là les réactions souvent inquiètes de personnalités politiques ou médiatiques diverses face à ce jeu dont ils ne comprennent pas les règles et qui envahit, cette fois, leur espace physique. On peut lire aussi les réactions inquiètes de personnes mieux informées et qui pointent de nombreuses questions : inégalités géographiques, modèle économique, surveillance, etc. Le jeu n’existe que depuis quelques semaines mais il y a déjà une thèse à écrire sur sa réception. [↩]
2 Responses to “Rainbows End (2006)”
By Hamelin on Août 25, 2016
votre article sur le livre de Vernor Vinge est rédigé dans une langue si pitoyable que j’en ai arrêté la lecture au troisième paragraphe.
By Jean-no on Août 31, 2016
@Hamelin : vous avez bien fait !