L’ordinateur détective
janvier 9th, 2009 Posted in Lecture, Ordinateur célèbreL’Empereur des derniers jours
, par Ron Goulart, Presses de la cité 1979 (coll. Futurama).
Ron Goulart, né en 1933, est un écrivain américain de science-fiction assez méconnu, notamment en France où ses romans n’ont pas été beaucoup édités et encore moins réédités. Son œuvre contient pourtant pas moins de 180 titres : novélisations de bandes dessinées (Vampirella, Flash Gordon,…) sous pseudonymes, aventures de Groucho Marx, essais érudits sur la bande dessinée et le comic-strip, récits fantastiques et récits de science-fiction. Il a même été le nègre de William Shatner (le commandant Kirk de Star Trek) pour sa série TekWar.
L’excellent Müller-Fokker Pulpbot effect décrit le style narratif de Goulart de cette manière :
[…] l’intrigue n’est, chez Ron Goulart, qu’un simple prétexte pour écrire à peu près tout sur n’importe quoi, n’importe comment. En fait, l’intrigue est tellement secondaire que l’auteur se permet parfois de passer outre le climax final, un peu comme si le chapitre narrant la sacro-sainte confrontation héros/vilain avait été élagué par l’éditeur pour gagner du temps et atterrir directement en page d’épilogue […] on n’ouvre pas ses livres pour vibrer à d’hypothétiques effets de tensions ni pour apprécier la folle originalité de l’intrigue mais juste pour s’amuser, tel un petit androïde acidifié, de ces gros amas de bêtises qui nous sont si gentiment jetés en pâture. Et pour ce qui est des conneries, Goulart est plutôt doué – surtout quant elles ont trait à ses deux domaines de prédilection : les robots et la pop culture.
Publié aux presses de la cité dans la collection Futurama, que dirigeait Jean-Patrick Manchette, L’empereur des derniers jours m’a — c’est une coïncidence — justement rappelé l’actuel feuilleton Futurama. Mais si la série animée de Matt Groening allie une certaine fantaisie thématique à des intrigues très construites, le roman de Goulart est d’une nonchalance effectivement étonnante. En témoigne par exemple l’absence de confrontation finale entre les « gentils » de l’histoire et le « méchant » qu’ils ont poursuivi tout au long du récit. La victoire finale n’est pas racontée, elle est à peine évoquée pendant un repas dont le véritable sujet est de savoir s’il sera possible d’escroquer le serveur pour ne pas payer l’addition.
Le futur qui sert de cadre au récit est marqué par l’omniprésence de robots à intelligence artificielle (tous plus ou moins défectueux), par l’usage banal de la téléportation et par des conditions politiques et géopolitiques calamiteuses. Les coups d’état en Afrique et en Amérique du Sud sont non seulement fréquents mais même banals et presque sans gravité, le pape met le feu au Vatican pour éviter que des rivaux ne le lui prennent et les chefs d’état, sont corrompus sans que cela émeuve le public.
L’ancien président Dormacker, sorte de Richard Nixon1 , transforme son déshonneur en une attraction touristique :
Souvenirs de l’ex-président Dormacker ! Souvenirs de l’ex-président Dormacker, proposait une énorme vieille femme assise près des guichets. Achetez Mes sept fiascos, le livre que le Washington Post a qualifié de « plongée dans la canaillerie ! » Lisez Pour quelques fiascos de plus, la suite des mémoires d’Alden Dormacker. Demandez la photo, encadrée en bambou, qui a contraint le président à démissionner ! Achetez mes coussins brodés où l’on voit Aldern Dormacker dire adieu en pleurant à la maison blanche.
Un jeune informaticien, Dan Farleigh, travaille seul dans un bureau avec un ordinateur nommé Barney. Pour tuer le temps, Dan et Barney s’amusent à parcourir des bases de données pour enquêter sur la vie des personnalités par exemple. Ils n’en ont pas le droit, ils courent même des risques en le faisant.
On comprend rapidement que le curieux, le facétieux, ce n’est pas Dan, l’humain, mais Barney, l’ordinateur, qui pilote d’ailleurs plus ou moins l’existence de son ami : il l’a fait embaucher, considérant qu’il avait le profil le plus adapté (pas assez de caractère pour s’opposer à ses jeux mais assez d’humour pour comprendre ses plaisanteries) et dès le début du roman, le lance sur une enquête aux implications politiques gravissimes. Barney laisse à Dan l’illusion qu’il mène le jeu mais on s’aperçoit vite que ce n’est pas le cas, l’ordinateur ayant planifié avec une grande précision le déroulement de l’enquête. Profitant de sa camaraderie avec des ordinateurs financiers, policiers, judiciaires, etc., Barney s’est inventé une identité humaine, il se fait connaître sous le nom de Bernard Dédale (Bernard Maze en anglais), millionnaire excentrique. Et il est effectivement multi-millionnaire car, bien qu’il n’en ait pas le droit, Barney dispose d’un compte en banque et a réalisé des placements financiers très avisés.
Barney est vissé au sol d’une grande pièce de la société Fax Central, il règle donc toutes ses affaires à distance, à la manière de Mycroft Holmes2 , de Nero Wolfe — le détective en fauteuil des années 1930 —, du banquier-escroc Thomas Crown, ou encore du mystérieux « Charlie » de la série Charlie’s angels, diffusée un an avant la sortie du roman de Goulart.
Dan vient de faire la connaissance de Janis, une journaliste qui enquête sur une série de morts suspectes et qui est persuadée qu’un coup d’état global est en préparation. Dan et Janis ont à peine eu le temps de tomber amoureux lorsque Janis est enlevée par la « confrérie Millenium », une société secrète qui veut établir un gouvernement mondial pour mille ans.
Barney embauche alors une équipe de marginaux aux talents spéciaux pour épauler Dan. Il y a le professeur Supermental, un hypnotiseur de robots de soixante-quinze ans, vantard et fanfaron qui a l’habitude de parler de lui à la troisième personne ; Lizzie fer blanc, une adolescente à moitié robot d’une force colossale ; Cul-de-Sac, un voleur surdoué capable de déplacer des objets par télékinésie mais handicapé par une impossibilité à s’adresser aux gens autrement qu’en les insultant ; Mrs Tucker, une demoiselle capable de synthétiser des dossiers complexes à une rapidité extraordinaire ; Gerald Tarzan, un connaisseur de la jungle qui a passé l’essentiel de son existence en prison pour raisons politiques.
L’Empereur des derniers jours se termine sur la promesse d’une longue série d’aventures de l’équipe de Bernard Dédale, mais il n’a pourtant pas eu de suite même si d’autres romans du même auteur se déroulent dans un univers similaire où le désordre, la corruption et l’incompétence généralisées nous rassurent quand à la stabilité du monde.
Goulart est prodigue des ses idées, il en offre à chaque page sans le moindre souci d’économie ou de rentabilité, ce qui est d’une élégance qui me semble assez rare.
- Richard Nixon n’est pas cité, mais comme avec Futurama, je pense qu’on peut inventer pour ce roman un sous-genre de science-fiction que l’on nommerait Nixonpunk ou WatergatePunk, marqué par une banalisation postmoderne du progrès technique et par une généralisation de la corruption politique [↩]
- Mycroft Holmes, le frère de Sherlock, est encore plus doué que le détective de Baker Street, mais il n’a aucune énergie et refuse de sortir de chez lui. Robert Heinlein lui rend hommage avec son ordinateur HOLMES IV, surnommé « Mike », dans Révolte sur la lune. [↩]
2 Responses to “L’ordinateur détective”
By Wood on Jan 9, 2009
Hahaha, il faut que je me procure ça ! A lire ça comme ça, je ne serais pas étonné que Warren Ellis (pas le violoniste, l’autre) soit grandement influencé par Goulart.
By david t on Jan 10, 2009
wow :)