Profitez-en, après celui là c'est fini

Au pays de Numérix

octobre 7th, 2015 Posted in Lecture, Les pros, Non classé

numerixJe m’apprêtais à passer un moment distrayant en lisant Au Pays de Numérix​, par Alexandre Moatti​, livre qui expose au grand jour la mécompréhension dont les pouvoirs publics français font preuve vis à vis des enjeux de la culture sur Internet. Je m’attendais à ce que ça soit drôle, parce qu’il y a quelque chose d’héroïque et de comique à la fois dans l’esprit Minitel, cet étonnant complexe de supériorité qui pousse les Français à imaginer qu’ils ont tout inventé sans jamais en profiter vraiment eux-mêmes1, et qu’ils sont le peuple élu de la culture désintéressée, investi du devoir de résister aux marchands du temple que seraient les Anglo-saxons, par exemple Google ou Wikipédia. Un attendrissant esprit de chevalerie don-quichottesque qui, partout dans le monde, est considéré comme de l’arrogance.

Mais en vérité, ce livre n’a absolument rien de drôle. Au fil des pages, on constate, outre une stratégie à courte-vue et d’immenses gâchis, des zones grises franchement dérangeantes, notamment (mais là, la France n’est pas seule à se fourvoyer) dans le domaine de la publication scientifique, où les Universités laissent une poignée de sociétés privées gérer le domaine, achètent à prix d’or des revues dont elles ont pourtant elles-mêmes financé le contenu, et se retrouvent finalement perdues dans l’engrenage du « publish or perish », idéologie qui fait baisser la qualité des publications tout en augmentant déraisonnablement leur nombre et leur coût. Au passage, en pensant à l’actuel engouement pour les MOOCs (l’enseignement en ligne), on peut imaginer des dérives monstrueuses sur ce modèle de partenariat public-privé qui associe le pire de chaque monde et relève au mieux de l’incompétence et au pire, de la gabegie, et où tout le monde fait mine de croire que l’argent est une question vulgaire et contingente alors même qu’il en circule beaucoup.
C’est très généralement les frictions entre public et privé qui posent problème dans l’exposé d’Alexandre Moatti, et où la fascinante et détestable Amérique a plus d’une leçon à nous donner : ce que les impôts ont financé (par exemple, les images produites par la Nasa) appartient aux citoyens, alors qu’en France il n’est pas rare que l’on demande au contribuable de payer plusieurs fois pour la même chose2.

Le livre est factuel, dénué d’emphase, et en dehors de quelques témoignages autobiographiques de l’auteur, il ne révèle à rien que l’on ne sache ou puisse savoir, mais au bout de cent-cinquante pages, l’accumulation de faits donne la nausée au lecteur amoureux de connaissance. Effrayant, donc. Et à lire, évidemment.

  1. Parfois, ce n’est pas faux, mais les conclusions qui sont tirées sont rarement les bonnes. Prenons l’exemple du réseau Cyclades : cette technologie française contenait les germes de ce qui est devenu Internet, mais l’État, pourtant financeur du projet, lui a préféré la technologie Transpac, moins intelligente, moins performante, mais a priori plus facile à contrôler et promue par des « fleurons industriels » français, c’est à dire des bras-cassés-au-bras-long, si on me permet cette image un peu douteuse. []
  2. Par exemple dans le cas de l’INA : nous payons une redevance pour financer l’audiovisuel public, puis nous devons à nouveau payer pour accéder à ses archives, et enfin, nous nous acquittons de taxes invisibles, toujours pour le même contenu, afin de compenser les présumés effets du présumé manque à gagner que constituent le piratage et « l’exception pédagogique »… []
  1. One Response to “Au pays de Numérix”

  2. By Nikolavitch on Oct 7, 2015

    « bras-cassés-au-bras-long »

    c’est tellement méchant et tellement vrai.

    je la note, celle-la.

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