Chappie
mars 16th, 2015 Posted in Robot au cinémaNeil Blomkamp, virtuose remarqué des effets spéciaux (Dark Angel, Smallville) et de la publicité avec des automobiles qui se transforment en robots géants a surpris le monde avec District 9 (2009), qui transposait le scénario de la fable anti-raciste Alien Nation (1988) dans les taudis de Soweto avec un film d’action réaliste et haletant. Le second long-métrage de Neil Blomkamp, Elysium, a un peu déçu le public par le caractère manichéen de son scénario, un conte sur la lutte des classes dont l’auteur ne renie pas le concept général mais pense à présent qu’il était possible de faire bien mieux, notamment du point de vue scénaristique1. Avant de réaliser Alien 5, Blomkamp est revenu aux robots, sujet récurrent de trois de ses excellents courts-métrages2, avec Chappie, qui raconte l’histoire d’un robot-policier auquel on implante une conscience. Comme dans District 9 ou dans ses courts-métrages, l’auteur utilise de manière fluide et efficace divers types d’images : caméra à l’épaule, caméra de surveillance, vision robotique, reportage, ou plans classiques de cinéma. Comme dans ses films précédents, les effets spéciaux sont assez parfaitement réalisés pour qu’on ne se pose jamais de questions techniques à leur sujet. Le design général (typographies, logotypes, armes, et bien entendu, robots), comme dans les deux films précédents du réalisateur, est très bien pensé et donne une vraie consistance à l’univers développé. Enfin, les décors — je pense à la célèbre tour « Ponte City Apartments » ou aux friches industrielles couvertes de graffiti — sont assez incroyables et, en tout cas, très dépaysants.
Sans dire que le scénario est le point faible du film, on doit constater qu’il est, au premier abord, bien simple.
Le récit commence en 2016, l’an prochain, à Johannesburg, en Afrique du Sud, où la criminalité a poussé les autorités à équiper les forces de l’ordre de robots bipèdes autonomes, les « scouts ». Les robots sont construits par la société Tetravaal, où deux personnalités s’affrontent : Deon Wilson (Dev Patel, de Slumdog Millionnaire) et Vincent Moore (Hugh Jackman, l’interprète du super-héros Wolverine). Le premier, créateur des « scouts », est un chercheur passionné qui n’a qu’un rêve : créer le premier être artificiel conscient. Son rival, et même son ennemi mortel, est un ancien militaire, ancien chercheur pour la DARPA (agence de recherche de l’armée américaine) violent, rustre et bigot, qui porte un projet concurrent à celui de Deon, le « Moose » (l’Élan), un robot géant piloté à distance. La directrice de la société Tetravaal, Michelle Bradley (Sigourney Weaver, que Neil Blomkamp retrouvera sur le plateau d’Alien 5), n’encourage ni Deon Wilson ni Vincent Moore dans leurs projets.
Alors que Deon a dérobé un robot défectueux à la société qui l’emploie pour continuer ses recherches, il est kidnappé par trois truands qui rêvent de trouver un moyen pour neutraliser les « scouts » : Amerika, Ninja et Yo-landi. Les deux derniers sont interprétés par Watkin Tudor Jones, dit « Ninja », et Anri du Toit, dite « Yo-Landi Visser », les deux chanteurs du groupe de rap sud-africain Die Antwoord, dont la musique est par ailleurs omniprésente dans le film.
Deon Wilson parvient à donner vie à Chappie (magistralement interprété par Sharlto Copley, l’acteur principal de District 9 et l’affreux Kruger d’Elysium, que l’on ne voit pas directement à l’écran), mais ce dernier a tout à apprendre et réagit comme un enfant apeuré. Ninja et, surtout, Yo-landi, deviennent ses parents de substitution, avec des arrières-pensées différentes, car si Yo-landi est subitement investie d’un fort sentiment maternel et essaie de stimuler la créativité de Chappie, Ninja espère surtout que le robot va l’aider à réaliser le braquage qui lui permettra de rembourser sa dette envers Hippo, un caïd local fou-furieux, et décide en conséquence de lui apprendre la violence à l’école de la rue. Seulement voilà : Deon Wilson a fait promettre à Chappie de ne tuer personne et de ne rien faire d’illégal.
Comment convaincre un robot bien-élevé de participer à des braquages ? D’adopter le style « zef » de « Joburg » ? De même que District 9 parlait de racisme et Elysium, d’inégalités sociales, Chappie traite de manière souvent drôle de modèles éducatifs et de valeurs morales, avec des conversations qui font passer le robot de la petite enfance à la fin de l’adolescence en quelques jours seulement : il faut dire que la machine est endommagée et qu’elle cessera de « vivre » sitôt sa batterie déchargée. Cette histoire de robot en quête d’attitude et d’indépendance pourrait faire un bon film pour enfants, si ce n’est qu’il est bien trop violent pour que ça soit possible.
Je ne vais pas raconter la suite, mais ce qui m’a plu dans Chappie (car j’ai plutôt aimé) réside généralement dans les détails, les a-côtés du scénario : la petite famille soudée que se constituent les minables truands, opposée à la fragilité de la société Tetravaal, dont la présidente, malgré sa puissance financière, n’en mène pas large lorsque Chappie vient démolir l’open-space un peu ridicule où travaille le jaloux et inconséquent Vincent Moore. Hugh Jackman et Sigourney Weaver, habitués l’un et l’autre aux personnages solides, sont utilisés ici à contre-emploi.
On peut critiquer plus d’un détail du film. Il est émaillé d’invraisemblances techniques3 et scénaristiques, bien sûr, et développe une approche un peu douteuse de ce qu’est la « conscience », qui peut ici être transmise d’un être humain à un système informatique, ainsi que le voudraient les transhumanistes4, mais ne peut semble-t-il pas être dupliquée et n’existe qu’à un endroit à la fois. Ce qui ressemble furieusement au concept religieux de l’âme.
Ce genre de chose ne suffit pas à me faire bouder mon plaisir de spectateur. Au fond, l’unique détail qui m’ait un peu sorti du film, ce sont les « placements de produits » ostentatoires qui nous montrent avec insistance une marque d’ordinateurs et de consoles de jeu vidéo, et une boisson « énergisante » bien connues.
Reste que Neil Blomkamp, sans dépasser le niveau de son premier film District 9, confirme ici son talent de cinéaste spécialisé dans la science-fiction.
- Lire : New ‘Alien’ and ‘Chappie’ Director Neill Blomkamp On ‘Elysium’: ‘I F*cked It Up’. [↩]
- Les trois courts-métrages de Neil Blomkamp qui ont directement nourri Chappie sont Tetra Vaal, Tempbot et Yellow. Son court-métrage Alive in Joburg a quant a lui inspiré District 9. Tous ces films sont sortis entre 2004 et 2006. [↩]
- Les détails techniques ridicules ne sont pas forcément faits pour être pris trop au sérieux. Je pense par exemple au « dongle » USB sans lequel on ne peut modifier le logiciel des robots, aux noms de fichiers censés contenir le secret de la conscience, ou encore aux messages produits par les ordinateurs, qui tranchent de manière assez réjouissante avec les interfaces informatiques presque magiques qui sont montrées dans les films de la série Iron Man, par exemple. [↩]
- Le transhumanisme est un mouvement d’idées qui affirme que l’espèce humaine est sur le point d’être capable de se modifier profondément elle-même grâce à la technologie, jusqu’à pouvoir échapper à ses limites naturelles : potentiel intellectuel ou durée de l’existence. Blomkamp se passionne pour ce sujet, tout en n’étant pas dupe, ainsi qu’il le dit dans Elysium, du fait que le progrès n’est jamais très équitablement partagé. [↩]
2 Responses to “Chappie”
By Geoffrey on Mar 16, 2015
Personnellement, j’ai été très affecté par la maltraitance du robot. D’ailleurs, dans énormément de films où les robots sont maltraités, cela m’attriste, me révolte… bref, je ne sais pas pourquoi, peut-être que je les vois comme l’équivalent d’un animal, ou j’ai une vision animiste des machines… Hmmm. Bref merci pour cet article ! :)
By Boogie on Avr 10, 2016
Bonsoir
je relis cet article après l’avoir lu à sa publication et, surtout, après avoir vu le film.
J’ai apprécié l’article, comme souvent ce que vous écrivez.
Je tenais juste à dire que la conscience peut être « dupliquée » et exister à deux endroits à la fois puisqu’à la fin… mais je n’en dis pas plus pour les camarades qui voudraient voir le film.
A bientôt
boogie