Piège de silicium (Die Hard 4)
juin 18th, 2008 Posted in Hacker au cinéma, Programmeur au cinémaSi on l’écoute, le lieutenant McClane est un simple policier, il ne fait que son travail et son existence s’en trouve donc tristement banale : ancien alcoolique, divorcé, il a une fille qui refuse de lui adresser la parole.
Mais quand on le connaît un peu, on remarque chez lui un talent tout particulier pour atterrir dans des histoires rocambolesques de grand banditisme déguisé en terrorisme. Après Piège de Cristal (1988), 58 minutes pour vivre (1990) et Une journée en enfer (1995), la mécanique de ces films d’action commence à nous être très familière, d’autant que la série a inspiré un grand nombre d’œuvres depuis : Speed, Air Force One, Transporter ou encore la série 24 heures chrono. Chaque fois, le principe est le même : les méchants sont odieux (notamment entre eux) et supérieurement intelligents, mais la ténacité et l’ingéniosité du héros le font finalement triompher, généralement dans un état physique lamentable, une balle dans la jambe ou dans l’épaule et les vêtements en charpie, et tout ça dans un intervalle de quelques heures seulement.
Dans le quatrième volet de ses aventures, McClane est contacté par hasard, un soir, parce qu’il se trouve au bon endroit au bon moment (ou au mauvais), pour aller récupérer un jeune homme à son domicile et l’emmener au siège du FBI. McClane n’a aucun rapport avec le FBI, il renâcle un peu mais est bien forcé de s’exécuter, principalement (même si ça n’est évidemment pas dit) parce que ça arrange les scénaristes.
Il se rend donc chez Matt Farrell, un génial hacker bien connu de la police fédérale et qu’on soupçonne d’être mouillé dans une affaire de piratage informatique récent.
La forme des (nombreux) actes de piratage dans ce film est assez amusante. Généralement, on voit l’image se déformer à l’écran. Tout le monde sait qu’un problème d’affichage a sans doute plus de rapport avec l’écran qu’avec un problème de sécurité, mais au FBI, on en est moins sûr, ce qui permet des dialogues savoureux où le jargon de la sécurité informatique prend une valeur quasi ésotérique : « Vous voulez dire que nous avons été hackés ? » (Are you saying we were hacked?) — « Ce n’était pas un deni de service. Ils ont bel et bien forcé notre porte » (It wasn’t a denial of service level. They definitely cracked our door) — « ok, allez chercher le dossier « black eye ». Je veux le nom de chaque hacker du pays qui pourrait être responsable de ça » (OK. Open the « Black Eye » files. I want every hacker in the country who could have done this). Au tout début du film, nous avons vu un jeune hacker s’inquiéter en voyant l’image de son écran déformée pendant un bref instant. Il avait accusé un ami présent, affalé devant son shoot’em’up, d’être responsable des interférences : « qu’est-ce que tu as fait à mon disque ? Ne touche plus jamais à mon disque ! ». Le spectateur, lui, sait que l’ami gamer n’y était pour rien et que le problème a un rapport avec une bombe dissimulée dans l’ordinateur et dont les diodes clignotent d’impatience.
Le hacker a d’ailleurs le malheur d’appuyer sur la touche « enter » de son clavier et la bombe explose, le pulvérisant, lui, sa maison, et son copain affalé devant la console de jeux.
Farrell est dans le même cas, mais coup de chance, alors qu’il s’apprête à déclencher l’explosif qui va ravager son appartement, McClane sonne à la porte.
Le hacker vient de gagner une grosse somme par virement sur Internet dans des conditions mystérieuses (est-ce bien légal ?, se demandait-il lui-même) n’a aucune envie de se rendre au siège du FBI, essaie de gagner du temps, tente de se faire passer pour un autre, de s’échapper,… Mais très vite, son appartement est pris d’assaut par des tueurs professionnels qui, voyant que la bombe n’a pas explosé, avaient perdu patience. Des méchants tellement méchants qu’ils parlent français entre eux, c’est dire ! (on notera la présence de Cyril Raffaeli, cascadeur surdoué des productions Besson, qui semble s’être converti au « Parkour » de son ami David Belle, autre cascadeur célèbre).
Sous un déluge de balles McClure protège le hacker du mieux qu’il peut. Nous comprenons alors que le destin de ces deux hommes sera dorénavant lié — jusqu’à la fin du film en tout cas.
Est-ce qu’un film d’action se raconte ? Il me semble que ça s’expérimente physiquement : la respiration et le rythme cardiaque se modifient, le corps reçoit apparemment des décharges d’adrénaline. C’est le cas du moins lorsque l’enchainement des séquences est fluide et lorsqu’aucun détail rédhibitoire ne nous empêche d’activer ce que les anglo-saxons nomment notre « willing suspension of disbelief » (suspension volontaire d’incrédulité). Et il en faut, de la suspension volontaire d’incrédulité : les voitures volent, le héros grimpe sur un avion de chasse, se jette dans la cage d’un ascenseur avec une automobile, calcule chacun de ses coups comme s’il jouait au billard, en prévoyant les rebonds, les impacts, l’élan, la vitesse.
Peu importe donc le scénario. Concentrons nous sur le rapport entre les hommes et les ordinateurs. Tout d’abord, le film contient au trois archétypes principaux d’informaticiens de génie :
– Warlock, vieux geek paranoïaque, barbu et peu soucieux de sa ligne qui vit encore chez sa mère. Ce personnage est interprété par le réalisateur Kevin Smith (Dogma). Paranoïaque, amateur de théorie du complot, il est au courant de tout. Sa chambre est un fatras infantile bourré d’objets extraits d’univers imaginaires : poster de la planète des singes, figurine du chasseur de primes Boba Fet à l’échelle 1:1, statuette représentant Ben Kenobi, un sabre laser à la main,… Son intérieur est éclairé avec des couleurs assez chaudes, mais sombre.
– Thomas Gabriel, expert en sécurité psycho-rigide qui n’hésite pas à détruire les infrastructures de son pays pour démontrer qu’il avait raison. Il est éclairé avec une lumière plutôt froide, et il travaille dans un environnement bleuté. Bien fait de sa personne, la mise assez soignée, les cheveux cours, rasé de frais, il est le seul des trois « geeks » à avoir une vie affective (avec une jeune femme asiatique aussi dangereuse et méchante que lui).
– Farrell, sympathique et talentueux mais inconséquent. Il n’a pas l’air en mauvaise santé, mais il a régulièrement peur que son asthme se déclenche. Il collectionne les figurines de science fiction, mais modérément, il considère que les médias et les autorités sont des « vendus », mais il coopère rapidement avec la police et il écoute du death metal. Il est un peu à mi-chemin entre le geek immature Warlock et le technophile psychopathe Thomas Gabriel. L’éclairage de son appartement est sombre et froid mais son visage est éclairé de manière moins glauque et maladive que celui de Thomas Gabriel. Une fois dehors, guidé par McClane, il reprend des couleurs.
Farrell et Gabriel sont aussi programmeurs : Matt Farrell a conçu un algorithme de sécurité et Thomas Gabriel a carrément conçu un système de défense informatique original : si le pays est attaqué, toutes les données sensibles (à commencer par l’argent virtuel) sont téléchargées vers un lieu sûr. Cette manière de mettre tous ses oeufs dans le même panier s’avèrera être une faille de sécurité majeure.
Je trouve intéressant de voir ici des programmeurs. Leur travail n’est pas montré, mais le fait est suffisament rare pour être noté. Dans les films grand public, les hackers, petits génies de l’informatique et autres ont des activités plus consuméristes que créatives : ils essaient des mots de passe, se défendent contre des virus, jouent,…
La palette des compétences informatiques de Thomas Gabriel et sa bande est très étendue : ils savent s’immiscer sur les réseaux de diverses administrations, ils détournent des sommes d’argent virtuel, ils déclenchent un embouteillage monstre pour paralyser le pays (idée déjà présente dans The Italian Job, en 1969 !), ils détournent les communications pour diffuser le même programme sur toutes les chaines (grand classique aussi), ils ont tous les plans de tout en 3D et se baladent dedans comme s’ils y étaient, ils déclenchent des alarmes dans les bâtiments de leur choix, coupent l’alimentation électrique d’une moitié du pays, et, plus étonnant ou plus amusant, ils créent une animation hyper-réaliste en 3D montrant la Maison Blanche en train d’exploser, afin de traumatiser tout ceux qui sont témoins de la diffusion de ces images. Et là, ce n’est plus du tout le même métier, c’est du cinéma.
Le cinéma populaire est un extraordinaire vecteur de lieux communs, une caisse de résonance : il collecte les poncifs, les diffuse et ravive ou amplifie leur importance dans l’imaginaire collectif d’où il les avait extrait. Plus rarement, il créé les clichés (ou les fait passer d’une époque à une autre, d’une culture à une autre), mais ce n’est pas le cas ici. Die Hard 4 est une accumulation, un condensé de toutes les situations et de personnages déjà vus, de The Italian Job à 24 en passant par Wargames, Antitrust et Hackers.
Pour le reste, un film distrayant et sans grandes surprises (oui, Bruce Willis sort une blague à la fin, comme dans The Player par Robert Altman…), ce qui fait partie des règles du genre.
2 Responses to “Piège de silicium (Die Hard 4)”
By nkcr on Mar 2, 2009
très bonne critique, bien rédigée, syntaxe parfaite, texte argumenté… bravo et merci.
By Jean-no on Mar 2, 2009
@nkcr : merci. J’ai un peu hésité à diffuser ce commentaire, car même s’il est amical, j’ai peur qu’il soit un peu inutile (en dehors du fait qu’il flatte mon orgueil bien sûr)