Profitez-en, après celui là c'est fini

Le musée du futur (2010)

juillet 21st, 2014 Posted in Cimaises, Interactivité

En clin d’œil à mes amis de la communauté Muséogeek/Muséonum autant qu’aux muséomixeurs, cet extrait de la bande dessinée Histoire(s) d’Albi, publiée en 2010 par les éditions Grand Sud. L’ouvrage est constitué de plusieurs courtes bandes dessinées qui évoquent les temps forts de l’histoire d’Albi depuis neuf cent ans et jusqu’à l’année… 2032, qui n’est évidemment pas encore advenue.
L’avenir d’Albi présenté est un peu vieillot : les montres font visiophone (comme Science & Vie le promettait il y a trente ans !), les écoliers ont chacun devant lui un écran qui présente la même chose que la projection qui remplace le tableau noir : une émission télévisée sur un record battu au circuit automobile local. Le maire est une jeune femme qui porte son écharpe tricolore sur une combinaison moulante.
On perçoit dans ces quelques pages un vrai embarras à imaginer un futur désirable pour une ville au patrimoine si magnifique. C’est à mon avis le problème de presque toute la France.

Au milieu de tout ça, une petite séquence se déroule au formidable musée Toulouse-Lautrec1 :

museealbi

Dans le musée du futur, Toulouse-Lautrec se plantera devant le visiteur pour débiter des banalités en l’empêchant de voir ses tableaux. C’est la réalité augmentée envahissante.

Le musée Toulouse-Lautrec est riche d’une collection tout à fait extraordinaire d’œuvres du maître de Montmartre. Certains tableaux méconnus de jeunesse ne valent que pour les promesses portées par leur virtuosité, mais chacun de nous connaît et admire la plupart des autres. Puisqu’il s’agit d’une peinture souvent documentaire, ou en tout cas, se rapportant à la vie parisienne des mauvais quartiers de la belle-époque, un peu de médiation est bienvenue, et on trouve dans le musée des panneaux explicatifs ou des cartons a tenir pendant la visite, qui nous disent ce qu’était la vie des maisons-closes ; que « Miss Dolly » était la barmaid du « Star », au Havre ; comment fonctionne la lithographie ; etc.

Le « musée du futur » imaginé dans cet album de bande dessinée est à mon sens assez terrifiant : la technologie et la médiation, qui prennent la forme de masques de soudeurs, diffusent des images en réalité augmentée et commentée, à laquelle on ne peut sans doute pas échapper (tout le monde porte un masque, en tout cas) et qui s’interposent entre le public et les œuvres. Le rapport intime entre le visiteur et l’objet se perd : a-t-on besoin de se déplacer jusqu’à un musée pour ne pas y voir les œuvres directement de ses propres yeux, et pour se faire imposer un commentaire ?
Le dernier étage du musée est consacré à deux salles de peintures « modernes » souvent un peu ringardes (derniers académiciens des Beaux-Arts et autres peintres à style artificiel et lourd de la première moitié du XXe siècle…), où se détachent malgré tout quelques tableaux d’authentiques géants péri-impressionnistes — Forain, Vuillard, Valotton, Sérusier, etc. Parmi ces peintures se trouve un Bonnard, Le Golfe de Saint-Tropez au couchant, que je connaissais en reproduction et que je jugeais jusqu’ici sans grand intérêt.

bonnard_st_tropez_1925

Pierre Bonnard, Le Golfe de Saint-Tropez au couchant, 1925.

Même sur un écran comme celui d’un ordinateur, qui produit des couleurs plus lumineuses que celles des reproductions imprimées en quadrichromie, cette image reste bien plate, non ?
C’est au contact du véritable tableau que toute la beauté de ses couleurs éclate. Les reproductions ne peuvent en rendre compte.

On peut augmenter la visite d’un musée de couches d’information2, de médiation, de technologie, mais contempler ce modeste Bonnard m’a rappelé que les œuvres parlent souvent très bien toutes seules. Ce qui ne remet pas en cause, bien évidemment, la pertinence des réflexions sur l’évolution du musée par le numérique : il faut juste que ce qui est apporté ne s’impose pas au détriment de l’expérience sensible.

  1. Le musée Toulouse-Lautrec, situé dans le Palais de la Berbie, est extraordinaire. J’ai visité la ville cette semaine, et je l’ai trouvée somptueuse, on peut voir quelques unes de mes photographies touristiques sur FlickR. On y voit des photos du Palais de la Berbie et de son superbe jardin, mais pas du musée, où les photographies sont interdites. []
  2. On le fait depuis longtemps. Pendant tout le XIXe siècle, les visiteurs du Salon avaient à la main le Dictionnaire de la fable, de François Noël, qui leur expliquait les épisodes mythologiques illustrés par les peintres académiques : la bourgeoisie voulait aimer l’art comme les nobles qu’elle remplaçait, mais avait besoin de comprendre les sujets savants qu’on lui proposait… []
  1. 15 Responses to “Le musée du futur (2010)”

  2. By abelthorne on Juil 21, 2014

    « L’avenir d’Albi présenté est un peu vieillot : les montres font visiophone (comme Science & Vie le promettait il y a trente ans !) »

    … et on va finalement y arriver avec les montres Google, Apple & co, non ?

    J’ai parfois l’impression que les prémonitions de la SF qu’on trouve vieillottes parce qu’elles ne se sont pas réalisées arrivent finalement avec juste un peu de retard.

  3. By Karl-Groucho D. on Juil 21, 2014

    Les photos ne sont -enfin!- plus interdites dans les musées !

    http://www.culturecommunication.gouv.fr/Ressources/Documentation-administrative/Tous-photographes-!-La-charte-des-bonnes-pratiques-dans-les-etablissements-patrimoniaux

  4. By Jean-no on Juil 21, 2014

    @abelthorne : Samsung etc. font déjà des montres extensions du smartphone, oui, mais la montre qui sert à parler à quelqu’un dont on voit la tête (pas très pratique pour la caméra), je doute que ça vienne, même si c’est techniquement possible. En fait, je doute que le public en veuille, à l’usage, tout comme il rejette la visioconférence, hors quelques utilisations exceptionnelles (dire bonjour aux grands parents ou faire une réunion de travail stressante…)

  5. By Wood on Juil 21, 2014

    C’est vrai que cette BD fait vraiment est vraiment du genre « Le Musée de l’an 2000 » comme on en faisait dans les années 80… Tout le monde porte des combinaisons monochromes !

  6. By Jean-no on Juil 21, 2014

    @Karl-Groucho : bah, _a n’est qu’une charte, hein, ça n’engage pas à grand chose…

  7. By Karl-Groucho D. on Juil 21, 2014

    À Jean-no

    ¶ 
    http://www.latribunedelart.com/le-ministere-de-la-culture-autorise-explicitement-les-photos-dans-tous-les-musees

    ¶ « Cette charte sera appliquée dans les musées et monuments nationaux et pourra inspirer les autres établissements culturels. »

    Ça, c’est pour le plus récent.

    ¶ Mais aussi…

    http://www.latribunedelart.com/photos-dans-les-musees-il-est-interdit-d-interdire

    ¶ & encore :

    http://www.precisement.org/blog/+Un-musee-peut-il-interdire-de+.html

    « […] En clair : vous, simple particulier, pouvez légalement photographier sans flash un Manet ou un Monet au Musée d’Orsay ou un Poussin au Louvre à condition de ne pas bloquer le passage. Point. »

    ¶ Pas le temps, là, mais une bonne recherche (pas sur Gogol, hein ! StartPage !) ramène des pépites.

    ¶ Le fil sur la Tribune de l’art :
    http://www.latribunedelart.com/droit-de-photographier-dans-les-musees

    ¶ De toute manière, il ne faut pas se laisser faire. Et ce type d’interdiction se place sur le terrain fric & commerce, certainement pas sur celui de la culture et de l’éducation.

    « Résister se conjugue au présent »
    (Lucie Aubrac).

    En avvvvvvvvvvant !

    K.-G. D.

  8. By Jean-no on Juil 21, 2014

    @Karl-Groucho : l’application concernera les établissements nationaux, mais pas les établissements publics qui ne sont pas sous tutelle directe d’un ministère. Par exemple le musée Lautrec à Albi.
    La question n’est pas seulement financière, il y a l’idée que le public gène… le public, en prenant des photos. Ça a été pas mal discuté ici-même, chez André Gunthert, et bien sûr Louvre pour tous.

  9. By Jean-no on Juil 21, 2014

    @Wood : les vêtements sont d’un futurisme très daté. L’idée que dans le futur tout le monde s’habillera pareil ne donne pas trop envie d’y aller ;-)

  10. By Karl-Groucho D. on Juil 21, 2014

    Oui, l’idée que le public gène… Le public, en prenant des photos n’est pas neuve dans le rayon des enfumages zofficiels. Même sans photo, le public gêne le public.

    Interdisons le public ! ;-)))

    Oui, autrement, le loup tente de se cacher dans « […] dans les musées et monuments nationaux et pourra inspirer les autres établissements culturels. »

    Ne nous laissons pas faire, et voilà. C’est un plan de pouvoir de cheffaillons ajouté à un mensonge mélangeant grossièrement culture et commerce.

    Perso, si je fais de la photo, c’est pour faire de la photo, pas pour faire du fric. Usage (copie !) privé(e). Et voilà. Accessoirement (si l’on veut), résolument opposé aux bakchichs rebaptisés « droits », je n’en ai jamais facturé l’ombre d’un kopeck. Il est donc hors de question qu’on m’emm··· avec ça ;-))

    Je frime, là, de loin, mais certains sont prêts à en venir aux mains et c’est alors une autre histoire…

  11. By Karl-Groucho D. on Juil 21, 2014

    Et au fait, merci pour cet excellent blogue ;-))

  12. By rousseau on Juil 23, 2014

    abonné à culture visuelle depuis ses débuts.en déroulant le fil des commentaires..je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé ….ce sont les vacances? DR

  13. By Jean-no on Juil 23, 2014

    @Rousseau : je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par là.

  14. By rousseau on Juil 24, 2014

    ce n’est pas grave !!!!
    j’habite Albi .
    DR

  15. By Jean-no on Juil 24, 2014

    @rousseau : une bien belle ville. Effectivement, je suis en vacances dans le coin – enfin plus près des Pyrénées mais j’ai visité Albi.

  16. By Jessica on Juil 28, 2014

    Merci pour ce signalement qui s’ajoute effectivement au dossier du nouveau mythe « la réalité augmentée et le patrimoine »… Ce type de procédé – avec smartphone – a d’ailleurs été testé en 2011 à Cracovie, lors de l’expérience “Stories Behind the Paintings » à la galerie Sukiennice du Musée National !

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