Maurice et Boulon
avril 12th, 2014 Posted in Brève, CimaisesJ’ai déjà évoqué l’affection que j’ai pour l’œuvre de Jürg Kreienbühl (1932-2007), à qui je dois d’avoir voulu entrer aux Beaux-Arts et de devenir peintre — ambition que je n’aurais pas eue bien longtemps, il est vrai, mais qui a beaucoup pesé sur ma formation1.
Jürg était nettement à part du marché de l’art. On peut difficilement imaginer moins moderne que lui dans la forme, puisque les artistes avec lesquels il dialoguait étaient essentiellement les peintres du XIXe siècle. Ses sujets, à l’inverse, étaient on ne peut plus contemporains, puisqu’ils constituent un portrait souvent sombre mais réaliste des trente glorieuses2: le chantier de la Défense, les bidonvilles géants de la région parisienne, les friches industrielles, les paquebots abandonnés, ou encore la grande galerie de zoologie du Muséum, qu’il a peint pendant ses longues années de fermeture et alors qu’elle tombait littéralement en ruine3.
J’apprends que son tableau Maurice et Boulon (1968), qui est à mon avis un de ses chefs d’œuvre, sera montré dans deux semaines à la galerie DIX291, à Paris, dans le cadre d’une exposition justement intitulée Maurice et Boulon.
Je ne l’ai jamais vu autrement que sous forme de reproduction et je suis impatient d’aller le découvrir dans son format (plus de deux mètres trente de haut par deux mètres de large !). Habituellement, les galeristes vendent les œuvres des artistes qu’ils représentent, mais ce n’est pas le cas singulier de cette peinture puisque le galeriste historique de Jürg Kreienbühl, Alain Blondel, a racheté le tableau, en association avec Stéphane Belzère, le fils de Jürg (peintre lui-même) et ne semble avoir pour l’instant aucune intention de s’en séparer, se contentant de le prêter, comme ici.
L’exposition, qui durera du 26 avril au 5 juillet présentera d’autres œuvres du même auteur et de la même époque. La galerie DIX291 est située au 10 passage Josset (rez de chaussée, au fond), dans le onzième arrondissement de Paris (métro Ledru-Rollin ou Bastille).
- Je pense que c’est en grande partie au regard de Jürg Kreienbül que je dois mon rapport mitigé à la notion de progrès : tantôt confiant ou enthousiaste, et tantôt dubitatif, nostalgique voire réactionnaire. [↩]
- On ne s’étonnera pas d’apprendre que Kreienbühl a été l’ami de Jacques Tardi, autre grand témoin nostalgique des mutations de la banlieue parisienne, qui a d’ailleurs glissé sa tête dans un de ses albums, La Débauche, scénarisé par leur ami commun Daniel Pennac. [↩]
- Pour devenir un musée pédagogique grand public, la grande galerie de zoologie a été transformée en une illustration kitsch de l’embarquement des espèces animales dans l’Arche de Noé. Des milliers d’animaux empaillés ont été mis à la benne, avec tout l’enthousiasme dix-huit/dix-neuvièmiste de la découverte du monde dont ils était la mémoire (oui, c’est le Jean-Noël réactionnaire qui parle, là). [↩]
3 Responses to “Maurice et Boulon”
By mkd on Avr 12, 2014
La peinture que vous montrez m’a rappelé la nouvelle « Le signaleur », de Dickens. http://fr.feedbooks.com/book/5114/le-signaleur
J’étais même persuadé en la voyant dans mon lecteur RSS (donc avant de lire quoi que ce soit) que ça en était une représentation explicite.
By Jean-no on Avr 12, 2014
@mkd : ah oui ? Curieux, il faut que je lise cette nouvelle. Personnellement, le tableau me rappelle surtout Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt Harmenszoon van Rijn.
By mkd on Avr 12, 2014
Ah oui ! je vous encourage à y jeter un oeil, elle ne fait qu’une quarantaine de page (format poche), il me semble.
Et ensuite y’a ce texte : http://jsse.revues.org/404 (« The « Signalman » de Dickens – ou le crime sans châtiment »), qui en parle de façon intéressante.
(et effectivement, la peinture m’a évoqué aussi, c’est vrai, un Rembrandt en moins « onctueux » sur la couleur et les textures)