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Skyfall

décembre 31st, 2013 Posted in Hacker au cinéma, Interactivité au cinéma, James Bond, Ordinateur au cinéma

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Année après année, les thèmes liés à l’informatique s’épanouissent en tant que composante naturelle des films d’espionnage, et, a fortiori, de la série des James Bond.
Le vingt-troisième film officiel, Skyfall (2012), ne se contente pas de montrer à l’écran des dispositifs de localisation, d’identification, ou autres outils numériques tels que la table interactive qui apparaissait dans Quantum of Solace, mais met en scène une utilisation stratégique d’outils de publication en ligne et nous présente un personnage de programmeur, le nouveau « quartier-maître » des services secrets britanniques.

« Q », pour « Quartermaster », a longtemps été un bricoleur grincheux qui conçoit les gadgets de James Bond et semble toujours affecté de devoir se résigner à voir l’espion de sa majesté maltraiter ses inventions. Pendant plus de trente ans, le rôle a été confié à Desmond Llewelyn, suivi par l’ex-Monty Python John Clesse. Mais dans les deux premiers films où James Bond est personnifié par Daniel Craig, Casino Royale (2006) et Quantum of Solace (2008), le personnage pittoresque du « Quartermaster », pourtant présent depuis Docteur No (1962) a complètement disparu, à la déception d’une partie du public comme de celle de Daniel Craig lui-même. On retrouve « Q » dans Skyfall, sous les traits apparemment (il est tout de même trentenaire) juvéniles de Ben Whishaw.

La rencontre entre le nouveau « Q » et le super-espion britannique se déroule au British Museum, devant un tableau de Turner, Le dernier voyage du Téméraire. Sans s’être présenté, « Q » entame avec Bond une discussion sur la peinture :

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« It always makes me feel a bit melancholy. Grand old war ship. being ignominiously haunted away to scrap… The inevitability of time, don’t you think? What do you see? »
— « A bloody big ship. »
(« Ça me rend toujours un peu mélancolique. Ce grand et vieux bâtiment de guerre ignominieusement emmené au loin pour être disloqué. L’inéluctabilité du temps, vous ne croyez pas ? Qu’est-ce que vous voyez ? » — « un putain de gros bateau »)

Bond, qui n’a visiblement pas envie de parler plus longtemps de peinture s’apprête à prendre congé du jeune inconnu, mais ce dernier le retient et lui apprend qui il est. Les deux hommes échangent quelques petites piques : Bond fait remarquer à son « quartermaster » que ce dernier a encore des boutons d’acné, lui dit qu’il doute de sa compétence, et rappelle qu’il ne suffit pas d’être jeune pour être innovateur. « Q » lui répond que l’âge n’est pas une garantie d’efficacité. Son commentaire sur le tableau de Turner pouvaient déjà être pris pour une métaphore fielleuse, alors même que les médecins ou psychologues du MI6 doutent de la capacité de James Bond à reprendre du service.
« Q », un peu présomptueux, affirme enfin qu’il peut faire plus de dégâts depuis son ordinateur portable, en pyjama et avant sa première tasse de thé, que Bond en un an sur le terrain. Il admet pourtant qu’il a besoin de Bond car, dit-il, « à un moment il faut que quelqu’un appuie sur une détente ».

Raul Silva (Javier Bardem), l’adversaire de Bond dans le film, tient à peu près le même discours. Selon lui, l’espionnage à l’ancienne n’a plus de sens, tout peut se faire à l’aide d’ordinateurs : « déstabiliser une multinationale en manipulant les cours de la bourse ? Bip. Facile. Interrompre les émissions d’un satellite espion au dessus de Kaboul ? Fait ! (…) Il suffit de pointer et cliquer ».

« Just point and click.»
On remarquera l’étrangeté de l’installation de Silva : trois tables avec des écrans, et un ordinateur portable, mais pour le reste, un enchevêtrement de câbles qui parcourent des structures en formes de cages, comme un data-center foutraque dans lequel on ne trouverait aucun serveur, où dont les serveurs seraient minuscules.

Ce n’est pas la première fois que l’on tente de convaincre James Bond qu’il est obsolète, c’est même un thème récurrent de la série, et chaque fois, bien entendu, le héros fait mentir ceux qui pensent que, du fait de son âge ou du fait des changements de conjoncture géopolitique, il n’a plus de rôle à jouer. Ici, cependant, l’accusation s’appuie sur la question de la mise-à-jour technique, sur cette injonction qui a bouleversé tant de professions : « il faut passer au numérique ».

Pour la première fois dans la série, sans doute, « Q » est doté d’un rôle actif, il ne se contente pas de s’occuper de l’intendance des gadgets du MI6, il est à la tête d’une équipe dont les membres sont assis à leur bureau, le nez rivé sur un écran, pour répondre à des cyber-attaques.

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Installé dans les locaux provisoires du MI6, l’équipement de « Q' » est symétrique à l’installation de Silva. Depuis son ordinateur portable, le jeune homme manipule des logiciels qui affichent leur travail sur une série de grands écrans. On remarquera que le système de cryptage de Silva est visuel et ressemble furieusement à des travaux graphiques tels que l’on peut en réaliser à l’aide du logiciel Processing.

La culture Internet contemporaine a aussi son importance dans le récit lorsque Silva diffuse, sur la plate-forme Youtube, une vidéo qui dévoile l’identité d’agents britanniques ou alliés infiltrés dans des groupes terroristes. Silva, qui veut se venger de « M », la directrice des services secrets1, donne à cette dernière la responsabilité de la mise en ligne de la vidéo, en plaçant sur son ordinateur un jeu, un jackpot, précisément, qui affiche cinq têtes de mort et une mention : « cliquez ici pour recevoir votre récompense ». Le clic déclenche la vidéo redoutée. L’interactivité, fallacieux moyens de laisser croire à celui qui tient la souris qu’il dispose d’un pouvoir de décision, est accompagnée ici d’une lourde punition. L’unique maître du jeu est celui qui l’organise.

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Si l’on ajoute que Silva a les cheveux blonds, il est difficile de ne pas voir ici une allusion à Julian Assange et à Wikileaks, organisation qui avait été accusée de mettre en danger des agents américains en fonction en publiant leurs noms. Ce n’est cependant pas par idéal de transparence et par inattention que Silva (qui, malgré sa folie, a sans doute quelques raisons de se venger et est sans doute le personnage qui ment le moins) publie, sciemment, les noms d’agents, mais bien pour que ces derniers soient assassinés et pour fragiliser les services secrets. Malgré cette référence qui ressemble à une prise de position en faveur de ce que les activités extérieures des États-Unis ont de plus condamnable2Skyfall, réalisé par Sam Mendes (American Beauty, Les Sentiers de la perdition, Away we go), est sans doute un des meilleurs films de la série, bénéficiant d’instants poétiques ou humoristiques assez inattendus, ainsi que de la présence très forte de Javier Bardem.

  1. « M » n’est plus directrice du MI6 à la fin du film. Certains ont vu dans ce fait et dans le personnage d’Eve, qui passe de l’état d’agent de terrain à celui de secrétaire, des indices que Skyfall était un film nettement anti-féministe. Ils ont des arguments cf. Le cinéma est politique et Les Inrocks, même s’il peut sembler étrange de chercher du féminisme dans un film de cette série et même si les trois personnages féminins notables, « M », Eve et Severine, ont chacune une véritable importance dans le scénario et sont loin de n’exister que comme faire-valoir au héros. []
  2. Le précédent James Bond, Quantum of Solace, portait un discours bien plus étonnant, le mal y était incarné par un homme d’affaires écologiste français, Dominic Greene (Mathieu Amalric) qui s’avérait objectivement allié à la CIA et au MI6 dans le projet d’installer une dictature d’extrême-droite à la tête de la Bolivie — ce qui poussait Bond à s’opposer aux desseins de sa hiérarchie, chose qui ne lui arrive jamais, son insubordination habituelle étant toujours mise au service de sa mission. []
  1. 6 Responses to “Skyfall”

  2. By Stan Gros on Déc 31, 2013

    J’aurais beaucoup de choses à dire sur ce film (la seule chose que je trouve défendable est la photo superbe de Roger Deakins, le chef op des frères Coen), mais je voulais juste ajouter qu’à mon avis la technologie numérique y est sciemment traitée comme de la magie : Q ressemble à Harry Potter, je n’ai pas vu les films mais je pense qu’il y a une référence visuelle quand il utilise ses machines, debout avec des sortes d’éclairs autour de lui.
    Bref Internet c’est un truc d’apprenti sorcier qui risque à tout moment de nous exploser à la figure, heureusement que j’ai mon bon vieux pistolet et ma bonne vieille Aston Martin au moins on peut compter sur eux.

  3. By Wood on Déc 31, 2013

    Deux ou trois remarques que je me suis faites au cour du film, à propos de Q :
    – Quand il essaye de décrypter l’ordinateur de Silva il dit quelque chose dans le style « il utilise un système de cryptage très sophistiqué – Mais vous pouvez le décrypter ? – Bien sûr, je l’ai inventé. » Si c’est le cas, c’est vraiment un très mauvais système de cryptage
    – Toujours à propos de cet ordinateur, provenant d’une source douteuse, contenant on ne sait quoi, qu’en fait-il ? Il le branche sur son réseau principal, qui est relié à tous les services du MI6 !

  4. By jyrille on Déc 31, 2013

    Comme Stan et Wood je trouve qu’il y a encore des incohérences quant à l’informatique, qui est surtout là pour faire moderne et coller à l’époque, mais on est tout de même très loin des premiers épisodes de la série ou de ceux des années 80. Et on a enfin des images qui collent à la réalité (Youtube, les réseaux).

    Même remarque pour l’anti-féminisme, ce James Bond est nettement plus fragile et humain que la machine à séduire Sean Connery. J’ai beaucoup aimé Skyfall et c’est sans doute un des meilleurs James Bond, de loin, malgré ces défauts encore récurrents. Pour la modernité des films d’action et d’espionnage, je n’ai rien vu de mieux que le premier Jason Bourne pour l’instant (je ne parle pas des films à tendance polars ou géopolitiques).

  5. By Jean-no on Déc 31, 2013

    @Jyrille : L’incohérence dans l’informatique, c’est une espèce de constante tout à fait normale :)
    Je ne pense pas que ce soit juste pour faire moderne, c’est aussi parce que c’est entré dans la culture commune, en tout cas pour la référence à Youtube.
    Effectivement, le premier Jason Bourne était top, il sert de référence à plein d’autres (un truc avec Liam Neeson vu et oublié, par ex), y compris Bond. Quelques années plus tôt, j’avais bien aimé The long kiss goodnight, avec Geena Davis, qui a dû inspirer un peu le Bourne. Une force irrésistible essaie de me convaincre d’acheter le DVD du énième reboot de Bourne, avec l’acteur qui jour Hawkeye dans Avengers. Il y a quelques bonnes scènes dans le second Bourne, comme une traversée de la gare du Nord en évitant les caméras.

    @Wood : Il est certain que brancher l’ordinateur du méchant sur le réseau du MI6 est une erreur que ne ferait sans doute personne dans la vraie vie. De même que quand le virus de Silva dit à « M » de cliquer pour obtenir sa récompense, on s’étonnera qu’elle le fasse.
    Sur la sécurité, ce n’est pas un cryptage, mais un verrou de sécurité, enfin c’est pareil. Le dialogue est le suivant :
    – There are only about six people in the world who could set up fail-safes like this.
    – Can you get past them ?
    – I invented them.

    On y retrouve assez bien la présomption du jeune « Q ». Ce qui est intéressant, c’est que comme « M » avec son jackpot, il joue le jeu, il cherche à trouver la clef avec l’interface qu’on lui fournit, en activant le programme… Je pense que la raison numéro un à ce manque de discernement est que ça produit de belles images, ou des images que l’on comprend, contrairement à voir des gens rentrer des instructions en ligne de commande.

    @Stanislas : l’image est belle et la réalisation impeccable, c’est bien ce qui fait le film et le démarque de 95% des James Bond. Le propos, lui, est plus douteux. Je n’avais pas pensé à la parenté visuelle avec Harry Potter, et c’est pas faux, mais je dois dire que le personnage est très différent, « Q » est persuadé d’être un petit génie, alors qu’Harry Potter est le seul à ne pas être persuadé de son importance.

  6. By jyrille on Déc 31, 2013

    Le dernier Jason Bourne avec Matt Damon a également de très bonnes séquences d’action et de poursuites, surtout celle au Maroc, à Casablanca. Je n’ai pas vu la suite (je ne suis pas certain que c’était un reboot) avec Jeremy Renner. Par contre j’ai trouvé les scripts de Tony Gilroy très bon et bien écrits. Depuis j’ai même vu Duplicity qui était marrant et surtout Michael Clayton qui m’a beaucoup étonné.

    Et tu as raion pour l’informatique qui fait partie de la vie de tous les jours, c’est vrai. A l’époque, c’était aussi cryptique pour les gens que les armes à feu pour nous.

  7. By jyrille on Déc 31, 2013

    http://www.slate.fr/life/81737/braquer-distributeur-billets-cle-usb-hacker-dab

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