Au vol !
septembre 9th, 2013 Posted in Cimaises, Images, Les pros, Pas gaiAfin de régler les problèmes posés par la photographie amateur dans les musées1, un groupe de travail réuni par le ministère de la Culture a confectionné une Charte des bonnes pratiques photopgraphiques dans les musées et monuments nationaux.
Lionel Maurel (Calimaq) a épluché et commenté ce texte. Il note des propositions positives, comme la demande de s’engager à bien informer le visiteur des raisons de l’interdiction de prendre des photographies, et celle de diffuser sur Internet des reproductions des œuvres appartenant aux collections. Mais il remarque aussi que l’idée de domaine public est totalement absente du texte, et même, qu’on est en droit de pointer une tendance au « copyFraud », c’est à dire au fait s’octroyer un droit d’auteur sur des œuvres dont l’auteur est décédé depuis plus de soixante-dix ans et dont l’œuvre, en conséquence, appartient au domaine public. C’est ce que l’on peut déduire de cet engagement auquel les établissements patrimoniaux devront désormais satisfaire :
L’établissement met à disposition sur son site Internet gratuitement des reproductions numériques de ses collections si possible d’une haute résolution avec mention claire des conditions de réutilisation pour l’usage privé du public et à des fins d’enseignement.
Si on comprend bien, le Louvre devra proposer en ligne une reproduction de la Joconde, « si possible en haute résolution », mais celle-ci ne pourra être utilisée que dans un cadre privé2 ou à des fins d’enseignement.
Or il n’y a aucune raison d’interdire qui que ce soit d’utiliser une reproduction de la Joconde de la manière qui lui plait : le tableau a été peint par un artiste qui est mort il y a quatre cent quatre-vingt quatorze ans, donc bien plus de soixante-dix ans. Le Louvre a le droit de vendre des cartes postales de la Joconde, mais certainement pas le droit d’exiger un monopole ou une redevance sur ce commerce. J’apprends par l’article de Calimaq qu’une décision éminemment contestable du Conseil d’État3 assimile la reproduction d’une œuvre issue des collections des musées nationaux à une « utilisation privative du domaine public mobilier », qui peut être réglementée et donner lieu à une rémunération, au même titre que l’installation d’un restaurant privé à l’intérieur d’un édifice public, par exemple. Mais la logique de l’utilisation privative du domaine public est de répondre à une rareté : l’espace disponible dans un musée pour y installer des commerces ou pour y organiser des défilés de mode est par essence limité, il est matériellement impossible que tout le monde en jouisse en même temps4.
Un bien immatériel, comme le droit de reproduire une image, ne pâtit d’aucune forme de rareté : si je reproduis une photo de la Joconde, je n’empêche personne d’en faire autant.
Au delà de cette question juridique du domaine public, il me semble qu’il existe une question essentiellement civique, celle du bien public. En effet, le musée du Louvre, même s’il s’autofinance partiellement (billetterie, mécénat, location d’espaces) tire son principal revenu de l’État, qui lui a attribué ses locaux et l’essentiel de ses collections, acquises notamment par le biais de commissions d’achat. Les musées nationaux sont le fruit d’une volonté politique et ils sont notre propriété collective5. Nous sommes les propriétaires de leurs murs comme de leur contenu,. Aucun de nous ne peut exiger d’exclusivité sur cette propriété, puisqu’elle est commune, mais elle n’en est pas moins réelle et il ne faut pas se la laisser confisquer sous des prétextes comme la rentabilité ou la commodité, car renoncer à nos biens publics, et surtout renoncer à la possibilité de jouir des droits immatériels qui y sont associés, c’est affirmer implicitement que la République est une escroquerie pure et simple.
- Depuis le mois de juin 2010, il est interdit au public de prendre des photographies à l’intérieur du musée d’Orsay, au prétexte que les photographes amateurs gênent les visiteurs. Cela a suscité beaucoup de protestations. Lire à ce sujet mon ancien article Nos Musées, qui pointe vers de nombreux autres articles liés au débat. [↩]
- On note l’amusante formule « l’usage privé du public ». [↩]
- Conseil d’État, 29 octobre 2012, Commune de Tours, n° 341173 [↩]
- Au passage, je suis curieux de savoir à quel niveau de transparence et de respect de la libre-concurrence les biens publics sont loués à des sociétés privées, mais c’est une autre question [↩]
- Laissons de côté le fait qu’une bonne partie des collections du Louvre sont le fruit de pillages archéologiques coloniaux ou de prises de guerre diverses. Je confesse que sur ce point, je ne suis pas spécialement favorable aux restitutions systématiques d’œuvres, pour de nombreuses raisons que je ne développerai pas ici. [↩]
5 Responses to “Au vol !”
By b, l'air de rien on Sep 10, 2013
Comme enseignant, je préfère (de loin !) prendre mes photos moi-même. Il serait intéressant de dé-noter une typologie des images qu’on fait des œuvres d’art ; le sous-entendu «des reproductions numériques de ses collections si possible d’une haute résolution», c’est que l’idéal pédagogique est d’avoir l’image brute de la peinture, si j’ose dire.
Or, une partie de l’expérience artistique, et quand on enseigne l’art on n’enseigne pas que les connaissances artistiques (taille, technique, matière, style, contexte…) on cherche aussi à transmettre l’expérience de l’œuvre. Erlebnis et Erkenntnis, en somme.
Pour ce faire, j’ai compris qu’il valait mieux plusieurs images de l’œuvre : l’image pleine, mais aussi la peinture comme un objet dans son contexte, avec des autres visiteurs en regard histoire d’avoir une échelle, et (si possible) des détails.
Il est à noter la différence de traitement qu’il existe selon les pays, aussi : Pays-Bas, Allemagne, Belgiques sont beaucoup plus souples quant à cette question.
M’est avis, sans vouloir trop généraliser, que cela tient aussi de la politique des musées envers les visiteurs : là où la France cherche à homogénéiser, à réguler le comportement du visiteur avec comme prétexte très historien de faire appréhender l’œuvre de la meilleure façon possible, certains pays ont comme principe de dire que quelle que soit la façon dont le visiteur veut faire l’expérience de l’art, elle est bonne. Photos, pas photos, en short ou pas.
Et puis, pour en finir avec une excuse officielle d’Orsay : les visiteurs à audio-guide me gênent tout autant, voire plus, que ceux à pulsion photographique.
By G L on Sep 11, 2013
«© Musée du Louvre»
Le copyright porte probablement sur la photo et pas sur l’oeuvre photographiée?
Ceci dit la photographie de tableaux, même si elle demande de sérieuses compétences techniques, me semble assimilable à une photocopie et de toutes façons le photographe a été rétribué par des fonds publics.
En Italie la situation semble pire qu’en France puisque selon le Code des Biens Culturels et du Paysage la reproduction photographique d’un bien culturel est sujette à une demande d’autorisation et le paiement d’une éventuelle contribution (même s’il n’y a plus de copyright et même pour ce qui est visible à partir du domaine public.) L’autorisation est très compliqué à obtenir à cause de la multiplicité des entités administratives concernées…
– See more at: http://www.professionearcheologo.it/wiki-loves-monuments-fotografia-monumenti-e-cultura-libera/
By Didier on Sep 12, 2013
L’escroquerie me semble plus large que le simple « copyfraud » de nos institutions culturelles. Pour ma part je me sens volé de ce bien commun, un patrimoine muséal où j’ai usé mes fonds de culotte quand j’y avais un accès simple et gratuit.
By fabcool on Sep 12, 2013
« …bien informer le visiteur des raisons de l’interdiction de prendre des photographies, et celle de diffuser sur Internet des reproductions des œuvres appartenant aux collections. »
donc en lisant ceci la mention « .., ET celle de diffuser sur Internet… »
On comprends qu’en fait il n’est pas interdit de prendre de photo puisqu’on ne diffuse pas sur Internet c’est donc à usage personnel et prendre une photo alors n’est donc pas interdit…
C’est comme au Mac do quand je prenais à emporter en roller dans le resto il fut une période je prenait la photo du burger du moment et l’envoyais à ma compagne bien au chaud pour savoir ce qu’elle voulait, il m’arrivait souvent que le vigile tente de me sauter dessus en disant que c’est Interdit, alors que non il n’y a pas de droit à l’image qui s’applique sur ces photos puisque l’usage fait est personnel et surtout pour choisir quoi commander !
By El Gato on Sep 14, 2013
@fabcool, il n’y a pas de droit à l’image sur un MacDo, et pas de reproduction d’une oeuvre originale si tu le photographies.
Mais le lieu est un endroit privé ouvert au public, et à ce titre son propriétaire peut y interdire la photographie.