Profitez-en, après celui là c'est fini

Aux yeux de tous

mars 24th, 2013 Posted in Filmer autrement, Hacker au cinéma, Surveillance art

aux_yeux_de_tous(attention, je raconte le film !)

Aux yeux de tous est un film de Cédric Jimenez sorti en avril 2012. Je n’en avais pas du tout entendu parler avant un commentaire de Franck Thomas sur le présent blog (merci donc de m’avoir signalé son existence).

Le film s’ouvre sur des images issues d’une caméra de vidéosurveillance à la gare d’Austerlitz. Il ne s’y passe en apparence pas grand chose mais, subitement, une explosion se produit, un attentat meurtrier. Silencieusement, les images sont rembobinées, rejouées, agrandies, analysées. Le poseur de bombe et deux de ses possibles complices finissent par être identifiés. On apprend en même temps que, officiellement, la police n’a pas pu récupérer les films de surveillance. Celui qui les scrute, et que l’on ne connaît pour l’instant que sous le pseudonyme Anonymous 26 (ce n’est que la première d’une série d’allusions explicites faites aux « Anonymous »), explique à son correspondant T-Rex, avec qui il discute sur Internet, qu’il a malgré tout réussi à se procurer les films sur un serveur. Anonymous 26, que l’on voit presque toujours de dos, un bonnet sur la tête, est un hacker. La plus grande partie du film est constituée des images qu’il obtient en piratant des webcams et des caméras de surveillance. Son enquête, qui part du fait qu’il connaît l’identité d’une des personnes impliquées, lui permet d’établir les responsabilités et de remonter à l’origine du complot, un complot d’État qui sert à accuser un obscur groupe islamiste afin de susciter l’angoisse sécuritaire parmi la population en pleine élection présidentielle.

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Le hacker ne fait pas que regarder, et c’est un des points intéressants du film : il envoie des images sur les écrans qui se trouvent à proximité des gens avec qui il veut communiquer, à qui il veut montrer ce qu’il sait et ce qu’il a compris. Son intervention est un peu maladroite, et tous les participants à l’attentat, qu’ils aient été manipulés ou qu’ils aient été organisateurs, se mettent à paniquer, ce qui provoque un véritable carnage, puisqu’il faut absolument que toutes les preuves disparaissent. Le hacker, qui a un temps pensé être maître du jeu, se trouve à nouveau spectateur impuissant, ou presque. Il tente d’influer sur les évènements en donnant des coups de téléphone aux uns et aux autres, mais il ne parvient qu’à retarder les meurtres. À la toute fin du film, ce jeune hacker produit un montage qui raconte toute l’histoire et le diffuse sur la plate-forme de vidéo en ligne Dailymotion. Le présentateur du journal télévisé se demande s’il ne s’agit pas d’images trafiquées, et le ministre de l’Intérieur promet que l’auteur de cette vidéo, qui met en cause le chef de l’État, sera poursuivi.

Le film est très bien réalisé. Contrairement à Faceless (2008) de l’artiste Manu Luksch1, les images ne proviennent pas véritablement de caméras de surveillance, mais ont été filmées avec une vraie caméra puis trafiquées ensuite afin d’avoir un grain, un aspect saccadé ou des déformations optiques qui rappellent les images produites par les caméras de ce genre.

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Cette méthode permet une grande variété visuelle et l’on n’est pas spécialement lassé par des images trop systématiques. Le son est altéré de la même manière et cela fonctionne tout aussi bien même si cela rend le film irréaliste puisque les caméras de surveillance ne sont normalement jamais associées à des micros : les images devraient être muettes. Mais peu importe, tout ça fonctionne très bien et du point de vue du spectateur, c’est ce qui compte. Les principaux personnages du récit ne sont pas très construits et les acteurs qui les interprètent (Olivier Barthélémy, Mélanie Doutey, Francis Renaud et Féodor Atkine) ont un jeu plutôt minimaliste mais au fond très adapté au fonctionnement général du film.

L’argument de départ de ce thriller complotiste pouvait sembler un peu naïf : le méchant président qui a besoin d’un attentat pour se faire réélire et qui embauche pour ça les services d’action de l’ambassade d’un pays slave inconn, lequel espère en retour un coup de pouce pour devenir membre de l’Union Européenne,… Le réalisateur s’est défendu sur ces points en rappelant que ce n’était pas une dénonciation politique de sa part, mais juste un film « de genre » et que la vision manichéenne de la raison d’État qui parcourt le récit est celle d’un hacker adolescent. Par une coïncidence terrible, le film, programmé quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, est sorti quelques jours après les tueries de Toulouse et de Montauban et après la mort de leur auteur, Mohammed Merah, dans des conditions qui laissent à ce jour un certain nombre de questions en suspens.

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Malgré cette publicité sordide et inattendue, qui a attiré l’attention de la presse, malgré des choix artistiques radicaux et bien pensées, et malgré de bonnes critiques, Aux yeux de tous n’a attiré qu’une cinquantaine de milliers de spectateurs, autant dire personne, ce qui en fait un lourd échec commercial. Il mérite pourtant d’être vu. On le trouve facilement en DVD pour un prix très raisonnable.

  1. La particularité de Faceless est que ce film de fiction (ou science-fiction) s’appuie sur des véritables caméras de surveillance, car Manu Luksch s’est appuyée sur la loi britannique qui permet à tout citoyen de réclamer une copie des bandes de surveillance sur lesquelles il apparaît. Ce film d’artiste parle de la surveillance mais aussi du rapport aux images, et sa bande-annonce rappelle sur ce point l’introduction de La Jetée de Chris Marker, mais je ne l’ai toujours pas vu, le DVD était un peu onéreux. []
  1. 4 Responses to “Aux yeux de tous”

  2. By Bishop on Mar 25, 2013

    « Aux yeux de tous n’a attiré qu’une cinquantaine de milliers de spectateurs »

    J’en faisais partie, d’ailleurs j’avais échangé avant avec le réalisateur.

    Plutôt une bonne surprise. Parfois le dispositif était lourdingue et la quasi omnipuissance d’accès du hackeur charrie vraiment un tas de fantasmes de notre société mais l’ensemble se révélait efficace dans l’ensemble.

    Je n’avais pas vu qu’il avait tourné au bide commercial, dommage dommage.

  3. By Ardalia on Mar 25, 2013

    Je l’ai vu sur internet, il y a quelques années. L’amusant était que je ne savais pas que c’était de la fiction et j’ai mis quelques minutes à reprendre pied. En effet, je ne crois pas au moindre message politique, c’est tout à fait ce qu’en dit l’auteur. Une réussite qui mériterait de faire école.

  4. By damien on Mar 26, 2013

    à rapprocher aussi de look de Adam Rifkin (2007) ?

    je copie-colle : Aux États-Unis, 30 millions de caméras de surveillance serait reparties dans le pays, générant plus de 4 milliards d’heures de films par semaines, et changeant totalement la notion de vie privée. Le film montre une semaine de la vie de différents groupes de personnes filmés depuis des caméras de sécurité (et assimilées).

    plutôt bien fichu, mais là aussi le son est présent et ça zoome et suit les personnages (ce qui est encore assez rare dans la réalité), et pour rester dans le côté ‘100% film footage’, certaines caméras sont parfois présentes dans la scène de façon peu crédibles…

  5. By Jean-no on Mar 26, 2013

    @damien : j’ai entendu parler de ce film, je l’avais oublié. À voir, du coup. Par contre, introuvable en DVD Zone 2, et assez cher en Zone 1. J’attendrai l’occasion.

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