Une fois que l’on peut tout faire…
novembre 20th, 2008 Posted in Brève, Images, indicesà méditer :
Le succès des films avec héros, Marvel par exemple, ça m’étonne toujours. Une fois que l’on peut tout faire avec les effets spéciaux, on ne fait plus rien. Tout est faux et tout le monde le sait. Il y a comme une suspension de la croyance. Plus généralement, la génération de spectateurs, mais aussi de réalisateurs, qui a été si marquée par Star Wars ou les Dents de la mer a produit un phénomène étrange. Ils ont fait passer les films de série B en films de catégorie A. Par conséquent, les films A sont devenus les films indépendants. Je n’aime pas beaucoup ça
Peter Bogdanovich, interviewé par Bruno Ischer, pour Ecrans.fr
8 Responses to “Une fois que l’on peut tout faire…”
By david t on Nov 21, 2008
un peu courte mais intéressante cette interview de bogdanovich… c’est un réalisateur dont j’aime beaucoup les idées. et la grande qualité de ses films appuie très bien son propos (paper moon, ça c’est de la catégorie A).
By Jean-no on Nov 22, 2008
Je trouve sa manière de voir plus intéressante que celle des habituels râleurs qui expliquent que le cinéma vit une sorte de régression (vers des trucs infantiles, etc.), car la série B a toujours existé et a toujours eu du succès, mais la nouveauté c’est effectivement, me semble, que la « série A » n’existe plus vraiment, les budgets importants sont mis dans les super-héros, dans des comédies romantiques rarement réussies (et qui ne rendent pas justice aux screwball comedies qui les ont inspirées, genre His Girl Friday ou New York Miami), dans des comédies tout court, dans des adaptations incongrues (Garfield, Scoubidou… Est-il normal de claquer le PIB du Cap Vert dans ce genre de film?), des biopics affligeants (je sors de visionner « Dreamgirls », c’est n’importe quoi : l’histoire des Supremes complètement tordue, musicalement « pointer sister » et chorégraphiquement « Destiny’s child »), du serial-killer en veux-tu en voilà…
Mais ce n’est pas grave ça, le vrai problème est surtout que tout ça est bâclé et que les intrigues sont ultra-codifiées. Les effets spéciaux, comme dit Bogdanovich, c’est bien, mais après, qu’est-ce qu’il se passe ? Gamin je rêvais qu’un jour on pourrait faire Spiderman de manière fidèle, respectueuse, sérieuse, pas toc. Ou le Seigneur des anneaux. Bon c’est fait ça, mais qu’est-ce qu’ils nous racontent de plus ? Quel grand et beau drame, quelle vraie tragédie on peut faire quand le premier problème est d’être sûr de vendre du pop-corn ? Ce qui me frappe dans beaucoup de ces films (tiens j’ai pas vu le dernier Batman, qui semble intéressant) c’est qu’ils ne contiennent pas de scènes inoubliables, de ces images qu’on pense pouvoir revoir à l’infini sans se lasser (Marnie qui ouvre le coffre-fort épiée par Sean Connery, John Wayne qui ne dégaine pas face à Liberty Valance, Cary Grant qui ne trouve pas d’aide dans High Noon, James Stewart qui craque dans La Vie est Belle, Gabin qui zigouille un traitre dans Pepe le Moko, Garance qui badine avec Lemaître dans les enfants du Paradis (Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour), de Niro qui emmène Cybill Shepherd voir un film de cul dans Taxi Driver, Gena Rowlands qui ne va pas bien dans « une femme sous influence », etc., etc.).
Les blockbusters manquent aussi pas mal de folie et de poésie, enfin d’inattendu. On est dans le spectacle, dans le flux, même un type inspiré comme George Lucas s’y perd (mais Spielberg a de bons restes je trouve).
Finalement il y a trop de pognon dans le cinéma, ça paralyse… On ne peut pas claquer 150 millions de dollars dans un film si on n’est pas sûr de récupérer sa mise. Alors le risque artistique dans tout ça…
By david t on Nov 22, 2008
dreamgirls est une belle occasion ratée. dire que j’avais loué ça en me disant qu’au moins ça serait agréable un film bâti autour de l’histoire des supremes: on aurait droit à de la bonne musique soul, sirupeuse peut-être mais réconfortante dans son cliché même. eh ben non, la musique est parfaitement hors-sujet, comme tu le dis: aucun rapport. alors que des imitateurs de soul classique «à la motown», en 2008, ça ne manque pas (même en ignorant amy winehouse). mais commercialement, ça marche parce que très peu de gens finalement possèdent cette culture minimale de la musique américaine, même aux états-unis.
en un sens, cet échec de la «catégorie A» est surtout à mon sens un déplacement de la culture. je pense que le spectateur qui, dans les années 1960, avait acquis sa culture au collège, dans la littérature, partait déjà avec un cadre de référence qui lui permettait d’apprécier facilement des intrigues cinématographiques complexes ou des traitements excentriques. il y avait un conformisme mais même à l’intérieur de ce conformisme on pouvait donner vie à une violence très crue, je pense par exemple aux extraordinaires mélos de douglas sirk (il faut voir all that heaven allows ou written on the wind, en ne se laissant pas berner par ces titres faussement gentils). et puis on a eu un cinéma très sophistiqué dans les années 1960-70, justement à cause de gens comme bogdanovich qui avaient acquis une véritable culture de cinéma, très large, très inclusive. jusqu’à, peut-être, faire «l’erreur» de croire que tout un chacun pouvait apprécier ses travaux qui nécessitaient de plus en plus cette culture au final très personnelle. (peut-on apprécier à sa juste mesure they all laughed sans déjà connaître renoir, truffaut…?)
finalement, la victoire de la «série B» est celle de gamins qui ont passé leur enfance et leur adolescence à regarder des films. mais là où truffaut voyait des films en solitaire, bref en lecteur, la nouvelle génération faisait du spectacle une occasion sociale, le film n’est plus une conversation avec un spectateur unique mais un prétexte à passer du temps avec les amis, et c’est pratique parce qu’on n’a pas à meubler le temps de conversation, le film s’en charge, on le regarde, on est tous ensemble dans cette étrange communauté puritaine où jamais personne n’ose vraiment s’ouvrir. résultat, ces gamins devenus grands sont tout aussi sophistiqués que bogdanovich, peut-être même davantage mais leur objet est tout autre. en fait le cinéma d’aujourd’hui, bon ou mauvais, est un cinéma de «geek», bourré de références à la culture la plus immédiate, ignorant de l’histoire. c’est le cinéma wikipédia, avec tout ce que ça implique de changement de perspective voire de révisionnisme.
cela dit, avec le DVD, avec internet, revient en force, je crois, un public de solitaires pour qui la culture est d’abord affaire de contact intime, à la limite du fétichisme (voir par exemple le soin maniaque accordé aux rééditions, par ailleurs excellentes, chez criterion): ce public épars qui constitue sans doute le plus gros de la fameuse «long tail». et puis cette année seulement, j’ai vu there will be blood et no country for old men, je me suis tapé l’intégrale de wes anderson (grand pote de bogdanovich), tous d’excellents films récents où justement c’est le jeu des acteurs, la force des scènes qui cherche notre attention. bref, de la catégorie A, même aujourd’hui ça ne manque pas: mais les budgets n’y sont pas, tu as raison et parfois le film en pâtit. bref——
By Jean-no on Nov 22, 2008
J’adore Wes Anderson, tiens.
Je pense que ton analyse sur le cinéma solitaire ou social est bien vue.
Je suis encore sous le choc de Dreamgirls (je l’ai regardé hier soir juste avant de poster), et c’est incroyable finalement, ils ont pris une histoire abusivement dramatique avec une bande son magique (la vraie histoire de la Motown) et ils en ont fait une véritable bouse, malgré un bon casting (notamment Eddie Murphy qui tient la route dans un rôle qui mélange pourtant Little Richard et autres pionniers noirs du Rock’n’roll, Marvin Gaye et James Brown), malgré des moyens financiers visiblement sérieux… Pour être un peu tout public, il fallait massacrer la musique, faire de la soul ArethafranklinoWhitneyhoustienne à la mode « american idol » (une des dreamgirls – excellente chanteuse et actrice convaincante du reste – est une gagnante de ce télé crochet), histoire de ne pas trop étonner, faire danser tout le monde (et faire perdre toute leur classe aux chorégraphies des Supremes avec de soporifiques bourrées beyoncéeiennes). Ils ne se sont pas vraiment cassés. Et le happy end est tellement éloigné de l’authentique histoire de Diana Ross que c’est franchement pénible à voir.
La confusion m’a beaucoup géné, car quitte à fantasmer un milieu, autant le réinventer complètement (le porno dans Boogie Nights, le commandant Cousteau dans Life Aquatic,…). Ici beaucoup d’éléments sont directement tirés de l’histoire, comme le disque de Martin Luther King, l’éviction de la chanteuse-historique-mais-pas-assez-pop, le refus de Berry Gordy de sortir des chansons politiques (What’s Going on de Marvin Gaye) et bien d’autres, alors tout sonne faux. La confusion ne me gène pas en soi mais il faut qu’elle ait une raison d’être quand même. Ah quelle pénible expérience, et quel super film aurait fait, peut-être, par exemple, Martin Scorcese, avec le même prétexte.
By antoine on Nov 22, 2008
coucou
@ Jean-No et à David
Je ne comprend pas votre débat.
j’ai l’impression que vous mélangez un peu ‘cinéma’ et ‘film’…
Dans l’idée que Truffaut faisait du cinéma et que lucas fait des films…
Dreamgirls est une belle occasion ratée, ok mais un peu comme n’importe-quelle adaptation d’un grand classique à l’écran non ?
By Jean-no on Nov 22, 2008
Dreamgirls est l’adaptation d’une comédie musicale qui elle-même doit être adaptée d’un romain… Je ne sais ce que valait l’œuvre d’origine mais souvent le passage au grand écran d’un « musical » de Broadway fonctionne très bien. Récemment (enfin plus ou moins), Annie et Little Shop of Horrors étaient très bien.
Je ne sais pas si on peut faire une distinction entre cinéma et film. Disons qu’il existe un cinéma très conscient de lui-même et un autre qui se contente de raconter des histoires, mais si on y regarde de près, chacun fait aussi ce que fait l’autre, plus ou moins bien.
Lucas est une encyclopédie du cinéma à lui seul, comme Truffaut, et Star Wars n’est pas du tout un film banal ou typique. En fait à l’époque on n’avait jamais rien vu de tel, jamais vu un space opera sérieux, un film de SF qui refuse d’avoir un générique, un univers en lequel l’auteur a l’air de croire (ce qui se perdra malheureusement quelques années plus tard sous le poids des nounours-ewoks, des Jar-jar-tête-à-claques et des anakin-corn-flakes). Je pense bien que c’était du cinéma (et THX machin ou American Graffiti aussi bien sûr).
En revanche, il n’y a dans la manière de filmer de Lucas (à partir de American Graffiti) aucune originialité. C’est du cinéma classique, comme David Lean, comme John Ford, bien plus que Spielberg par exemple. Le but me semble clair : empêcher le spectateur de perdre le « willing suspension of disbelief », éviter qu’on sorte du récit.
By antoine on Nov 22, 2008
On fait la distinction entre art et artisanat alors je pense qu’on peu faire la différence entre cinéma et film.
pour ma part je pense que le cinéma est une création, du scénario à la bande son, du décor au montage etc…
j’ai dans l’idée que ces films de série B ne sont pas des créations. C’est plus un assemblage de compétances au service d’une histoire qui bien souvent est peu intéressante ou novatrice.
Lucas pour sa part n’a fait que piller les histoires des autres et demandé à quelques artisants de lui faire les effets spéciaux. Alors, ok, à l’époque l’épisode 4 c’était du jamais vu, mais à part la technique, il n’y a pas de réelle création.
On peu aussi dire que THX est un exercice de style de l’époque des grands films d’anticipation, Rollerball, Soleil Vert etc.. C’était tres à la mode. Je ne pense pas que Lucas soit un créateur mais une sorte d’oportuniste, et pas assez bon finalement.
Je vois beaucoup de films deséries B.
Blindness par exemple, je m’attendait vraiment à du cliché cul-cul ennuyeu. Enorme surprise pourtant, enfin un réatlisateur qui ne passe pas à coté de son sujet, qui ne sombre pas dans le nanard à gros budjet.
Fernando Meirelles fait de cette histoire de contagion quelquechose de nouveau, clair et passionannt, à voir.
Le film de Nolhan,Batman est assez novateur dans son genre, se joue lui aussi des clichés, prend son public à rebrousse-poil, déchire son scénario, exulte, dégueulle ses idées, ses histoires, au point que le film est un peu chargé mais mérite quand meme une attention toute particulière : il y a enfin un méchant plus méchant que Dark Vador au cinéma !
Ce Batman servira de point de référence aux futurs adaptations tellement il est riche d’un travail d’écriture.
je suis persuadé que les prochains Marvels seront bien moins pop-corn que Iron-Man ou Hulk sortis cet été, deux films au scénarios clonés et tellement vides.
Donc quand tu dis que chacun fait aussi ce que fait l’autre, plus ou moins bien, je suis daccord, ca navigue, ca prend, ca donne.
Je trouve navrant de faire un film de 150M de dollars qui soit juste un produid marketting sans substance, mais les temps changent.
La rude concurence des jeux, des séries télés et du piratage nous donne de plus en plus de bonnes choses dans ce domaine.
Maintenant que la technique se maîtrise, les histoires vont se développer beaucoup plus intensément au point que la création arrivera aussi dans la série-B, voir Z.
La Renaissance touche à sa fin, vive l’impresionisme ?
By Jean-no on Nov 23, 2008
Star Wars était réussi au niveau des effets spéciaux mais pas seulement. Malgré les faiblesses du film, d’un coup, ça n’avait pas l’air toc. Or le space opera pas toc, ça ne s’était jamais vu ! La SF pas toc oui, mais le space opera, je ne vois vraiment pas le moindre exemple convaincant. Lucas a pris partout : Kurosawa (et pas mal de folklore japonais), la geste arthurienne, le film de guerre, Valérian et Laureline, certains westerns aussi… Mais le résultat était vraiment neuf, le vocabulaire inventé fonctionne, c’était dépaysant plus que juste divertissant. Dans le registre du blockbuster il me semble que c’est une réussite artistique véritable et à la rigueur, c’était peut-être moins cliché que THX-truc qui faisait, comme tu dis, de la SF parano à la mode de l’époque.
La distinction entre artiste et artisan n’est pas une question très facile, car ce sont avant tout deux rôles sociaux plus que des métiers. On a inventé le mot « artisan » au 15e siècle quand une partie des artistes a réclamé autre chose, le droit à l’originalité, mais aussi et surtout le droit à renoncer à l’humilité, le droit à être en quelque sorte supérieurs aux autres mortels (ce que raconte Jean Gimpel dans « Contre l’art et les artistes »).
Mais bien entendu il existe des gens qui ne sont que techniciens (pour être un bon artiste il faut souvent être technicien, mais ça ne suffit pas pour autant et ça peut même faire négliger l’essentiel) et qui ont très très peu d’idées, que l’on met au service de films calibrés pour plaire. Ce genre de films peut malgré tout fonctionner si leurs auteurs sont dedans… Spielberg croit aux extra-terrestres, alors ses films d’extra-terrestres fonctionnent. Il y a aussi le cas de roublards comme Paul Verhoeven, qui réussissent leur coup parce qu’ils réalisent deux films en même temps, un blockbuster violent ou vaguement coquin qui est à la fois un film d’humour noir très politisé.
Mais ce sont des auteurs. Lucas, Spielberg, Zemeckis ou peut-être même James Cameron sont des auteurs. En revanche il existe des films surproduits dont les acteurs ne rencontrent même pas vraiment le réalisateur, lequel est un technicien de l’image français, chinois ou australien recruté pour son bon rapport qualité/prix (ou pour le décrédibiliser dans son propre pays en lui faisant pondre un navet ?). Il y a plus d’un exemple.
L’avenir artistique se trouve peut-être dans des cinémas alternatifs. La légèreté financière du film DV ou les méthodes différentes de la série TV permettent apparemment d’autres cinémas. À suivre…