Masaki Fujihata aux Arts-Déco
novembre 20th, 2008 Posted in Cimaises, ImagesL’École supérieure des arts décoratifs, qui vient de refondre son site web1 , accueille depuis hier et jusqu’au 8 décembre une exposition de l’artiste japonais Masaki Fujihata, exposition couplée à un colloque dans le cadre de l’action Mobilisable, déjà annoncé sur le présent blog.
Gros succès, il fallait faire la queue pour entre voir les trois oeuvres que Masaki Fujihata venait de présenter avec force powerpoints lors d’une conférence qui faisait elle-même suite à une communication du philosophe Pierre-Damien Huyghe sur le sujet de l’utile, l’inutile, le nécessaire et le contingent.
Landing home in Geneva
Je ne peux pas montrer de photos de la première pièce présentée par Fujihata, Landing home in Geneva, car mes clichés sont flous, non seulement parce qu’il faisait sombre mais aussi parce qu’il s’agit de 3D stéréoscopique, où deux images sont superposées, une pour l’œil droit et l’autre pour le gauche, nécessitant des lunettes spéciales pour pouvoir être vues correctement.
La pièce est composée de vidéos de conversations et de balades à Genève qui évoluent dans l’espace en suivant les déplacements qu’a effectué Fujihata lui-même (repéré par GPS) et par les mouvements de sa caméra.
C’est très impressionnant à regarder mais relativement inracontable.
Morel’s Panorama
La seconde œuvre s’intitule Morel’s Panorama. Je compte retourner la voir dans de meilleures conditions que celles du vernissage (même en limitant à dix spectateurs, je pense que nous étions trop) car c’est une œuvre interactive qui se nourrit du passage de ses spectateurs.
Le titre fait référence au roman de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares, L’Invention de Morel. Ce court récit fantastique/rationnel publié en 1940 se situe sur une île apparemment déserte, ou plus exactement désertée, car de nombreuses constructions (un musée notamment) attestent d’un passé récent très différent. Le narrateur, venu là pour échapper à la justice, découvre peu à peu la présence d’un groupe d’estivants qui apparaissent régulièrement, semblent parfois revivre des moments mais ne semblent jamais prêter attention à sa présence. Il les observe et épie leurs conversations avec crainte puis tombe amoureux d’une femme du groupe, Faustine. Je n’en dis pas plus. L’ouvrage fait une centaine de pages et ne coûte pas quatre euros.
La préface de Jorge Luis Borges, ami de Bioy Casares, se termine par ces lignes extrêmement enthousiastes : « J’ai discuté avec son auteur les détails de la trame, je l’ai relue ; il ne me semble pas que ce soit une exagération ou une hyperbole de la qualifier de parfaite ».
Ce roman a influencé de nombreuses œuvres, comme L’Année dernière à Marienbad de Alain Robbe-Grillet et Alain Resnais, le Portrait de Marie de Luc Courchesne, L’accordeur de tremblements de terre des frères Quay, le jeu Myst, la série Lost, etc.
Orchisoid
La troisième et dernière œuvre présentée s’appelle Orchisoid et s’inscrit dans une expérimentation menée mais à présent abandonnée (je pense) par l’artiste. Le programme était sacrément ambitieux puisque l’expérience devait se dérouler sur rien moins que 10 000 ans. En effet, sous l’influence notamment du Gène égoïste de Richard Dawkins mais aussi de l’auteur de science-fiction Vernor Vinge2, Fujihata se propose de préparer les plantes — des orchidées très précisément — à l’apprentissage de la marche. Munie d’un capteur qui enregistre ses modifications électriques3 , la plante pilote sa « mobilité » robotique.
Je pense que des problèmes techniques — face à la sensibilité des capteurs, les conditions de l’exposition ne sont certainement pas idéales — ont poussé l’artiste à abandonner son projet et à n’en exposer qu’une évocation poétique.
Car Fujihata est un poète.
Je pense que la première oeuvre sur internet que j’aie trouvé poétique, et même puissament poétique, était le Light on the web project (1996) de Masaki Fujihata, oeuvre avec laquelle l’internaute pouvait, en cliquant sur leur image, allumer et éteindre les ampoules d’un tableau lumineux de sept rangées de sept lampes situé au Gifu Softopia Center, au Japon.
L’oeuvre de Fujihata est riche en propositions très diverses présentées avec une élégante apparence de nonchalance et de modestie.
Ensad : 31, rue d’Ulm 75005 Paris. Métro : Place Monge, RER : Luxembourg, Bus: 21 et 27
- C’est un évènement, les Arts décoratifs de Paris n’avaient pas changé de site depuis huit ans. On peut lire à ce sujet l’article d’Étienne Mineur et les commentaires qui y ont été ajoutés ici [↩]
- Dans Un feu sur l’abîme (1992), Vernor Vinge imagine une espèce botanique, les Skroders, qui ont été dotés de robots leur permettant de se déplacer… [↩]
- si j’ai bien compris, car même en ayant entendu une autre conférence présentant le même œuvre à Genève il y a quelques années, j’avoue que je n’en ai pas compris tous les paramètres techniques, avant tout fasciné par les vidéos de Fujihata qui montrent les réactions « électriques » des orchidées à ce qui les environne. [↩]
7 Responses to “Masaki Fujihata aux Arts-Déco”
By david t on Nov 20, 2008
mais c’est un cauchemar, ce site web.
By Jean-no on Nov 20, 2008
Tu veux dire, avec ces bestioles et ces plantes qui bougent ? J’aurais pu parler aussi du robot bionique dont les décisions sont prises par des neurones de rat
By lapinferoce on Nov 20, 2008
C’est marrant, je viens juste de terminer l’Invention de Morel. Dans le genre glaçant, elle se pose là, l’invention…
By david t on Nov 20, 2008
tout dans ce site est détestable: un splash pour décourager 50% des visiteurs (très instructif, étudier les stats à ce sujet), une interface qui s’ouvre en popup et modifie la grandeur de l’écran (tiens, j’ai déjà envie de cliquer «fermer»), une interface entièrement flash (URL? quid?), sans oublier l’absurde et interminable menu en ordre alphabétique… et rendu là, j’ai laissé tomber.
bien sûr, il y a supposément une «version HTML», mais comme son prétexte est seulement «bas débit» (et non pas «mieux indexée»), je suppose qu’elle est tout aussi mal fichue que l’autre. et puis, je ne suis pas en «bas débit» alors ça ne me concerne pas, n’est-ce pas? à quoi bon aller voir? (et puis, cette dichotomie «haut débit, bas débit», elle veut dire quoi en 2008? c’est un site web ou un concours de bites?)
je serais prof, ce site mériterait un E.
By Jean-no on Nov 20, 2008
Tu n’es pas le seul dans ce cas (cf. le blog d’Étienne Mineur). Je trouve certaines choses jolies comme le passage vers des images. Le curseur est un peu lent et sa manière de se bloquer un peu perturbante.
Ce n’est pas vraiment le genre de site qu’on fait actuellement, mais je ne le trouve pas si raté.
By david t on Nov 20, 2008
pour moi ce site est un échec car dissuasif dès son seuil.
une fois passé ce faux départ, il y a sûrement de belles choses (d’ailleurs, l’aspect strictement visuel ne me déplaît pas du tout), mais comment savoir, puisqu’on m’a dégoûté d’emblée de ce site?
le problème de ce genre de sites est que l’on demande bien trop de bonne volonté de la part de l’utilisateur; on prête le flanc au plus petit début d’impatience, qui risque de se transformer rapidement en franche hostilité. c’est pour ça que de telles interfaces peuvent fonctionner sur des sites à vocation strictement «artistique» où l’utilisateur arrive avec des attentes très différentes.
là, j’ai passé deux minutes sur le site et je n’ai même pas compris de quoi il s’agissait. en fait, je ne sais toujours pas. c’est un musée? une école? un pur délire d’illustrateur? (on me dira, deux minutes, c’est pas assez pour se faire une idée, je dirais c’est plus qu’il n’en faut pour faire la distinction entre «bon travail d’ergonomie» et «parodie de design».)
et on en revient à la discussion de l’autre jour. enfin, il faut que j’arrête de m’énerver avec ce genre de trucs mais c’est plus fort que moi. grrr!!!!! :)
By velocet on Nov 30, 2008
je comprend pas vraimen david d ce qui t’a deplu sur le site de l’ensad, vraiment faut m’expliquer car cela m’échappe…
un peu lent, certes mais tres efficace je trouve.