Toujours disponible
décembre 1st, 2012 Posted in Interactivité au cinéma, SérieLuc Besson est un personnage attendrissant qui semble passer son temps à jouer, non pas jouer comme un flambeur de casino, mais comme un enfant dans la cour de récréation. Il joue à créer son Hollywood en Seine-Saint-Denis, il joue à faire du social en banlieue, il joue à faire du cinéma d’animation (Arthur et les minimoys, qui mélange la légende arthurienne et Dark Crystal), il joue à faire un mashup kitsch et idiot de It’s a beautiful life et des Ailes du désir (Angel-A), il joue aux voitures qui font vroum (Taxi, Michel Vaillant), il produit sans complexes des pastiches de New York 1997 (Banlieue 13, Lock Out) ou, si je me fie au synopsis, de Mon voisin le tueur (Malavita), et tout ça, il le fait avec une sincérité désarmante. Et puisqu’il a le cœur pur et un vrai sens de l’image, ça marche, et malgré une critique généralement négative, les films qu’il produit attirent souvent le public et parviennent, dans les meilleurs jours, à créer des mythes populaires : Subway, Nikita, Leon, Le Grand Bleu, Le Cinquième élément,…
No Limit, première tentative d’Europacorp/Besson dans le domaine de la série télévisée est un vrai festival de références : Alias, 24 heures Chrono, Jason Bourne, la saison 2 de The Wire,… et le tout est réalisé avec une « french touch » qui évoque plus facilement des séries telles que P.J. ou Julie Lescaut qu’autre chose. Les scénarios sont souvent un peu bouffons : le super-espion Vincent Libérati (Vincent Elbaz) accepte d’effectuer des missions pour une agence gouvernementale secrète, Hydra, en échange d’un traitement expérimental contre la tumeur au cerveau qui doit le tuer incessamment. Mais par malheur, chaque fois qu’il mène une enquête, il tombe sur sa sœur commissaire de police à Marseille qui est invariablement affectée aux mêmes affaires, et croit que son frère est un simple informaticien spécialisé dans la sécurité. Notre espion tente par ailleurs de se rapprocher de sa fille (régulièrement enlevée par des malfrats) et de reconquérir son ex-épouse bien que celle-ci vive avec un avocat fiscaliste qui, encore une coïncidence, blanchit de l’argent pour les truands que Vincent Libérati essaie justement d’envoyer en prison ou, quand il manque de temps, au cimetière. Entre autres ingrédients, il faut ajouter la présence d’une collègue espionne délurée, Marie, et une improbable accumulation de contingences rocambolesques, vaudevillesques ou comiques. L’ensemble est plutôt réjouissant et (puisque ?) parfaitement idiot.
L’espion est souvent perturbé par deux choses, notamment lorsqu’il se cache ou qu’il est en train de se battre : soit il est victime d’un vertige dû à sa tumeur, soit, on en reparlera plus loin, il reçoit un appel téléphonique. Parfois, les deux nuisances sont cumulées.
Ce qui m’intéresse ici, c’est le rapport que le personnage de Vincent entretient avec son téléphone portable. Tout d’abord, dans l’ultime épisode de la série, il y a une longue séquence pendant laquelle l’espion, qui communique par SMS avec sa fille, guide cette dernière (qui ignore l’identité de son interlocuteur) à l’intérieur d’une casse de voitures où elle est retenue prisonnière par des mafieux qui tentent de faire chanter son beau-père. La scène fonctionne assez bien et rappelle un jeu vidéo.
Mais je suis surtout frappé par toutes les autres interventions du téléphone portable : qu’il soit en train de conduire, en embuscade, caché ou au beau milieu d’un combat, le héros de No Limit reçoit en permanence des appels, et il y répond aussitôt, même lorsque les communications n’ont aucun intérêt objectif ou que la situation rend la conversation difficile. Mais entre l’urgence de sa mission et l’urgence qu’il ressent à mettre en ordre sa vie privée pendant le peu de temps qu’il lui reste à vivre, le moindre coup de fil lui semble important. Ses communications sont presque exclusivement insincères, c’est à dire qu’il ment à son ex-femme, à sa sœur, à sa fille ou à son employeur sur le lieu où il se trouve, sur son activité réelle, sur son état d’esprit ou sur ses intentions au moment de l’appel.
À la fin de la première saison, un traitement médical lui fait éprouver une perte de conscience et de mémoire d’une demi-journée, alors que sa fille a disparu sans explications et qu’on tente de le joindre. Ce sera la cause majeure d’une rupture avec son ex-épouse : elle ne veut plus lui adresser la parole parce qu’il a été indisponible au téléphone pendant quelques heures, et que cela (ainsi que ses cachotteries) est la preuve de son manque de fiabilité. En fait, elle est si fâchée qu’elle décide d’accepter la demande en mariage de l’homme avec qui elle vit, ce qui fait perdre à son ex-mari tout espoir de retrouver son ancienne vie de couple, projet qui était pourtant en bonne voie jusqu’alors.
Je n’ai pas de téléphone mobile. Je me demande comment les gens qui vivent avec cet objet perçoivent ces séquences du film : le téléphone y est-il vu par eux aussi comme un élément aliénant qui réclame de manière impérieuse une disponibilité de chaque instants, ou est-ce qu’il leur semble normal que le héros réponde à chaque fois qu’on le sonne, parfois en prenant des risques vitaux ? Et au fait, sa tumeur au cerveau, elle ne serait pas lié à cette utilisation intensive du téléphone mobile ? On va finir par se poser des questions.Rien à voir : je regardais tout à l’heure les bonus du film Divide (2011), huis-clos post-apocalyptique médiocre. Les réalisateurs du making-of demandaient à chaque acteur de dire ce qu’il emmènerait absolument avec lui s’il devait être enfermé dans un abri anti-atomique. Un des acteurs, Courtney B. Vance, a répondu « I’d bring my bible, I’ll be all right. It’s all I need ». Réponse très américaine, mais le traducteur français n’a pas compris « my bible » mais vraisemblablement « mobile », et a donc traduit la phrase par : « Je prendrais mon portable. Tout irait bien. Ça me suffit ».
11 Responses to “Toujours disponible”
By ianux on Déc 2, 2012
Jamais entendu parler de cette série (TF1…), mais force est de constater que même avec tout l’argent et la liberté scénaristique du monde, aucune série française ne pourra jamais arriver à la la cheville des meilleurs séries US (Vincent Elbaz comme notre Kiefer Sutherland national…). Encore et toujours le rapport à la pop-culture.
J’avais rêvé à un moment d’une sorte de X-Files à la française. Pas tant pour le côté SF que pour un aspect que j’aimais bien dans cette série : en tant qu’agents fédéraux, les héros intervenaient un peu partout aux Étazunis, et on avaient des épisodes situés aussi bien chez les pires rednecks de la bible belt que dans les rues de New York, la Silicon Valley ou le Salem des premiers migrants. Un équivalent français pourrait être l’Instit’ ? (jamais vu, mais l’idée est que c’est un prof remplaçant qui se ballade un peu partout en France, non ?)
Quant au rapport au portable, bien sûr que non, quiconque en possédant un sait très bien, eut égard à sa propre pratique, qu’il y a 1000 raisons de ne pas répondre à un appel. Une et non des moindres est qu’on n’a tout simplement pas envie, quel que soit l’appelant.
By Jean-no on Déc 2, 2012
@ianux : le Commissaire Maigret bougeait pas mal il me semble. Et puis Les cinq dernières minutes, aussi, était une série « sociologique », même si elle ne décollait pas trop de Paris et alentours, elle essayait chaque fois d’explorer un « monde » : les collectionneurs de bandes dessinées, les dockers de Gennevilliers,… C’est un peu le The Wire français, quoi :-)
Effectivement, l’Instit’ se balade dans toute la France. J’imagine qu’il est possible d’imaginer des enquêteurs « volants » avec des spécialités (police scientifique) ?
By Stéphane Deschamps on Déc 2, 2012
Ralàlà Jean-No tu oublies la Jeanne d’Arc de Besson, un film très ambitieux au mysticisme pas si simple à décortiquer (peut-être le seul film énigmatique de Besson). :)
By Jean-no on Déc 2, 2012
@Stéphane : je ne l’ai pas revu… J’avais trouvé ça un peu foireux globalement, et surtout, visuellement, très proche des pires heures de l’histoire de l’art pompier :-)
By @sylasp on Déc 2, 2012
Oui, ces temps-ci, que ce soit dans les films ou les séries, le téléphone portable est très largement utilisé par les scénaristes pour sortir leurs personnages de situation critique.
c’est une pirouette facile je trouve, comme vu récemment dans Homeland (sans spoiler) et l’envoi par un complice infiltré d’un sms au bigbad pour le prévenir 10 sec avant qu’une attaque est sur le point de le capturer/tuer. Et bien sûr, ça a fonctionné, le sms est arrivé pile poil juste avant la balle du sniper… mouais (d’autant plus que des milliers de km séparaient l’expéditeur du sms et son destinataire)
J’espère que cette mode va se tasser, car ça en devient parfois comique.
Et ce qui m’éclate le plus, c’est que les répertoires des téléphones sont toujours plein, et le personnage a toujours le numéro du gars indispensable en touche rapide (même quand ils ne se sont pas vus depuis 10 ans, voire même jamais rencontrés) ; il en va de même pour les téléphones jetables… ou alors tous ces gens ont une mémoire des numéros phénoménales, mais pour autant on ne les voit jamais s’embêter à composer manuellement les numéros.
Cependant cela n’a pas que des mauvais côtés.
Très pratique déjà car permet le placement de produit, l’usage du téléphone portable comme élément central dans l’intrigue peut ajouter du rythme à une scène (par ex. permet au personnage de se déplacer au lieu d’attendre devant son tél fixe ^^) et apporte un côté moderne évident.
Mais, j’ai peur que cela rende les scénaristes un peu fainéants sur les bords.
Un coup de fil et tout s’arrange !
By Un Oeil on Déc 3, 2012
Très bonne réflexion ! J’ai un portable mais je n’aime pas du tout ça. Je ne réponds jamais, du moins jamais immédiatement : je préfère prendre rappeler au moment où ça me convient. Même si je ne rappelle que quelques heures après, cela irrite de plus en plus mes interlocuteurs. Les gens comprennent de moins en moins qu’on ne décroche pas sur le champ lorsqu’ils nous sonnent. Tenez, j’avais écrit quelque chose à ce sujet ici : Sonner tue
By jiemji on Déc 3, 2012
Malavita est tiré d’un roman de tonino Benacquista, certes antérieur au film « mon voisin, le tueur » mais dont l’intrigue me parait fort éloigné (il y a un rapport avec la mafia :-) )
Je ne savais pas que Besson avait ça en projet, je viens de checker sur imdb. Impressionnant Casting.
J’ai pas regardé No Limit mais mon épouse qui aime les séries US légères avec de l’action, à l’air d’apprécier. Je suppose que c’est un bon divertissement.
By Jean-no on Déc 3, 2012
@jiemji : ok, en lisant un résumé ça me semblait vraiment proche de Mon voisin le tueur, mais je ne connais pas du tout le roman d’origine.
By Bigdada on Déc 4, 2012
J’aimerais beaucoup avoir votre avis sur la nouvelle série Métal Hurlant Chronicles, dont je n’ai vu pour l’instant que le premier épisode, catastrophique…
Difficile de trouver une série française (policière, SF ou horreur) digne de ce nom, mais ce que j’ai vu des Revenants m’a tout l’air d’être une belle réussite. Enfin…
By Jean-no on Déc 4, 2012
@Bigdada : j’ai vu les trois premiers (sur six) et à vrai dire j’ai bien aimé même s’il y a un grain très cheap. Chaque épisode a son esthétique, les histoires viennent tous de vieux Metal Hurlant que j’ai lus à l’époque, du coup je regarde cette série avec nostalgie bien qu’elle date de cette année :-)
By Bigdada on Déc 5, 2012
Je vais regarder la suite de toute façon, histoire de me faire un avis sur toute la saison.
Mais j’ai vraiment été choqué par les multiples ralentis sur des combats pas spécialement bien chorégraphiés dans le premier épisode, et les accessoires (épées et costumes) très cheap.