Profitez-en, après celui là c'est fini

Typographies cybernétiques

mai 22nd, 2008 Posted in Design, Vintage

Une réponse à une question que personne ne m’a posé : pourquoi diable est-ce que les typographies universellement réputées pour évoquer la culture informatique semblent n’avoir aucun rapport avec un quelconque impératif technique spécifique à l’ordinateur ?
Je parle de ce type de lettre :

Ces caractères sont en général des typographies sans empâtements auxquelles ont été ajoutés des gonflements biseautés incongrus (hrem… je ne suis pas très à l’aise avec le vocabulaire de l’anatomie de la lettre, sans doute existe-t-il des mots plus précis pour décrire tout ça).
On aurait du mal à recenser exhaustivement les génériques de films, les publicités, les couvertures de disques, de livres, etc., qui ont eu recours à ces lettres pour se donner un genre « informatique ».

Rien dans ces lettres ne rappelle pourtant les dispositifs d’affichage ou d’impression associés à l’électronique ou à l’informatique moderne (ou antique d’ailleurs) – imprimantes matricielles, pixel d’écran, leds, cristaux liquides, perforations, etc.

En fait, l’histoire de ces caractères remonte à 1956, c’est à dire à l’aube de l’informatique industrielle. À cette époque, le nombre de transactions financières par chèque bancaire ne cessait d’augmenter et il était devenu important et possible d’automatiser certaines tâches de vérification. Plusieurs systèmes ont été étudiés, mais celui qui a eu le plus de succès est le MICR, pour Magnetic Ink Character Recognition (reconnaissance de caractères à encre magnétique), une manière d’écrire mécaniquement les numéros des chèques avec des chiffres décimaux et avec quatre symboles supplémentaires, imprimés à l’aide d’une encre magnétisée, lisibles à la fois par des humains et par des scanners conçus à cet effet, y compris lorsqu’elles sont raturées ou salies.

Le brevet de ce système a été déposé le 12 septembre 1961 sous le numéro US Patent 3.000.000.
De nombreuses banques d’Europe (françaises, notamment) et d’Amérique du sud n’ont pas recours à ces lettres (dont le petit nom est précisément MICR E-13B) mais à un système comparable mis au point par la société Bull, le CMC-7, qui contient les dix chiffres décimaux et cinq symboles supplémentaires et dont chaque lettre est par ailleurs un mini code-barre :

Les caractères MICR ne concernaient donc que les chiffres (plus les symboles étranges qui ont une signification pour les banquiers) mais cela a donné des idées à de nombreux typographes et dès la fin des années 1960, des caractères alphabétiques inspirés des principes MICR ont été dessinés. Ces lettres, associées à l’informatique, ont aussi été énormément utilisées pour le graphisme de science-fiction.
Parmi les fontes les plus célèbres, on peut citer Data 70 (par Bob Newman, pour Letraset, 1970) et Orbit-B (par S. Biggenden pour le fondeur VGC, 1972).

De nombreuses autres typographies rappelant cet héritage ont été réalisées depuis, en voici un échantillon.
L’inspiration de base n’est parfois présente qu’à l’état de réminiscence (tout le monde ne sera peut-être pas d’accord avec moi sur la filiation) et on la retrouve mixée avec d’autres formes qui rappellent une certaine époque (pop) ou qui se rapportent au support (pixel).

Ces caractères sont : Data 70 (Letraset), Orbit-B (VGC), Computer (creative alliance), Automatic AOE (Astigmatic), Syllogon ICG (Image club), Cyberdelic (Device Fonts), Amoeba (Sparky Type), Madtype beat (MadType), BF Visitor (Brass Fonts), Coaxial (T-26), 256 Bytes (Larabie), Pixel (Volcano), Data 90 (Device), ParaAminobenzoic (Larabie), Process (T-26).

Quelques typos à télécharger sur le site dafont : Retroheavy Future, Zyborgs, Look sir, droïds, Xped, Bad robot.

  1. 9 Responses to “Typographies cybernétiques”

  2. By Mr Vandermeulen on Mai 23, 2008

    Ah ! formidable histoire de la typographie ! Merci Jean-No, mais comment faites-vous pour nous raconter tous ça avec autant d’aisance ?
    Vous avez gardé vos vieux Castor Junior, c’est ça, n’est-ce pas ? En tout cas : merci !

  3. By Jean-no on Mai 23, 2008

    J’ai gardé un certain nombre de Castor Junior car cela ne prend pas trop de place. Je suis très « almanach » finalement. Un éditeur m’a contacté pour faire un livre dans l’esprit de http://www.scientistsofamerica.com … Je lui ai proposé un manuel des Castor Junior (sans les castors) mais la formule ne l’a pas trop emballé.
    Mon prochain article porte sur un très mauvais Disney.

  4. By abelthorne on Mai 28, 2009

    Je retombe sur cet article depuis celui sur Future Cop.

    Il me semble que ce genre de typo, de par ses « gonflements biseautés incongrus » et ses angles à 45 ou 90°, est censé évoquer les circuits imprimés et notamment ceux utilisés jusqu’au début des années 90, avant que les composants se miniaturisent et que les pistes métalliques s’affinent.

    Ces caractères m’ont toujours évoqué ce genre de circuits.

    D’où l’association à l’électronique et à l’informatique, à l’époque où les micro-ordinateurs étaient composés de « cartes électroniques » encore assez grossières.

    Non ?

  5. By Jean-no on Mai 29, 2009

    C’est vrai que ça peut rappeler les circuits imprimés, dont l’usage a commencé à se diffuser au moment de l’invention de ces typos, mais celles-ci ont surtout été créées pour mélanger des caractères lisible par l’homme à des pâtés magnétiques lisibles par les machines. Ceci dit la piste du circuit imprimé, qui est à mon avis une coïncidence, explique sans doute que ces caractères restent considérés comme « cybernétiques ».

  6. By Nicolas B. on Fév 9, 2014

    Voilà, c’est aux circuits imprimés que me font penser ces typos ! Avec leur pattes larges.

  1. 4 Trackback(s)

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