Vide-greniers
octobre 2nd, 2011 Posted in Mémoire, Personnel, VintageDans ma ville, il y a deux vide-greniers par an. Un au printemps et l’autre au début de l’automne. J’y fais toujours un tour attentif, principalement à la recherche de livres et de films. Je m’y improvise aussi, sans le vouloir, archéologue de l’existence des vendeurs, ou plutôt il m’arrive de me faire croire que, devant ce qui est déballé, j’arrive à me faire un portrait des exposants ou à récapituler un peu de leur histoire personnelle.
Une fois, par exemple, je suis tombé sur un stand où étaient exposés, parmi des objets plus banals du quotidien, une guépière (le sous-vêtement) blanche apparemment assez luxueuse, des guides pratiques liés à l’harmonie du couple et d’autres au plaisir sexuel, quelques magazines de charme et un ressort destiné à la musculation. Derrière le stand, une femme à l’air revêche, assez grande, bientôt la cinquantaine, se tenait debout à côté d’un homme assis au physique effacé et du même âge. Ce genre de vision complexe (objets, visages, postures) créée en quelques seconde une histoire : le badaud peut se croire capable de faire le récit des errances d’un couple et se dire que, si tout cela est vendu, abandonné, c’est que les solutions si longtemps recherchées ont été trouvées, ou au contraire, que l’on a fait le deuil définitif d’une harmonie de couple et que l’on expose, que l’on revendique un peu impudiquement cette défaite. Bien sûr, tout ça peut aussi bien être une illusion, il est possible que les objets présentés ne soient pas liés à l’histoire intime de ceux qui les bradent, ou que le fait de vendre tout cela ait une autre signification : un besoin subit de place ou d’argent par exemple, ou sentiment que ce sont des choses qui attireront un même public et qu’il faut donc les regrouper.
Aujourd’hui, j’ai vu un jeune adulte qui vendait une collection de documents (films, disques, papier) en rapport avec le chanteur et danseur Justin Timberlake ; une collection de films d’horreur nettement « gore » (la série Hellraiser entre autres) ; et puis, juste entre les deux tas, un petit livre intitulé Conseils d’un homo aux hétéros pour séduire les femmes. Là aussi, il y a matière non pas à imaginer une histoire mais à tenter de construire un personnage attiré par les oxymores, et donc plutôt intéressant, qui compte sur l’expertise d’un homosexuel pour vivre sa vie d’hétérosexuel, qui se passionne pour un chanteur plutôt « solaire », sain et apparemment éloigné de toute bizarrerie, tout autant que pour des films où dégoulinent les détails sordides, malsains, et les projets démoniaques.
Souvent, les stands sont le témoignage d’années de lycée (romans classiques, Balzac-en-veux-tu-en-voilà, livres consacrés au baccalauréat) ou d’université. Tel carton laisse penser à des études en sociologie interrompues au bout d’un an. Ailleurs on trouve un livre intitulé Qu’est-ce que la communication ? (ou quelque chose du genre), un autre nommé BTS de communication, un troisième intitulé Les métiers de la communication et de la publicité et enfin, un livre dont le titre est Que faire avec un BTS ?. Là encore on pense pouvoir se faire une idée précise d’un parcours.
On trouve parfois aussi un petit tas de livres d’informatique grand public, assez médiocres, mais qui témoignent d’un vague projet : Tous les meilleurs sites Internet, Créer son site Internet, Gagner de l’argent sur Internet et enfin Les secrets du référencement sur Internet. Projet abandonné, là encore, à un euro le livre, ou trois, non, deux euros les quatre. Le vide-grenier, c’est accepter de laisser partir les choses, les périodes, les projets passés, les passions anciennes.
Certains cartons, contiennent des collections importantes : revues d’art, de voyages ou de sciences. Leurs vendeurs ont souvent du mal à vendre ces objets à l’unité. On trouve aussi des tas de romans vendus par abonnement tacitement reconductible France-loisirs, avec leur la « sélection du mois » qui était (est ?) envoyée aux abonnés incapables de se décider en temps et en heure : Moi, Christiane F., Le Pull-over rouge, Le cheval d’Orgueil,... De temps en temps, on trouve un livre qui n’était pas « sélection du mois » : Le grand livre du bricolage, Emmanuelle ou encore Histoire d’O.
J’étais en train de réfléchir à la manière dont les objets que l’on a, que l’on a eu ou dont on est en train de se séparer peuvent définir (ou sembler définir) une personne et un parcours, lorsque j’ai trouvé, au fond d’une caisse, Les Choses, de Georges Perec, roman qui met en scène un jeune couple au travers des objets qu’ils possèdent ou qu’ils veulent posséder. Roman que jusqu’ici je n’avais jamais possédé moi-même.
La boucle est bouclée !
5 Responses to “Vide-greniers”
By Marguerite on Oct 3, 2011
Il existe une jolie chanson sur thème ! « C’est Dingo des gadoues » de Xavier Lacouture, en écoute là : http://xavierlacouture.free.fr/discobox.htm
sur l’album brocantology.
By PCH on Oct 3, 2011
Saine lecture que celle des Choses… (moi j’aime aussi « le parti pris des choses » poésie magnifique de Francis Ponge,ce n’est pas une autre histoire).
Il y a aussi dans cette propension de nos contemporains à VENDRE ce qu’ils ont aimé (quand on aime, on se fourvoie…) quelque chose d’assez connexe avec :
– ce chacun pour soi dont témoignent les désaffections (ou démissions peut-être) syndicales; désaffection aussi, probablement, de la pratique de la religion-catholique- messe et tutti quanti dominicale, tout comme le repos du même nom, cependant conquis de luttes successives, mais à nouveau de nos jours brisé par des pratiques auxquelles les syndicats (tiens) tentent vainement de s’opposer;
– le « plaisir » de jouer au marchand et à la marchande, évidemment;
– la (petite) prise de risque correspondant à la location de son mètre linéaire (à Paris, c’est 15 euros le mètre quand même);
– la présence de « vrais » professionnels (de l’arnaque évidemment aussi);
– un vrai sujet de thèse de socio…
Par ailleurs, je signale au secrétaire du bureau du Bulletin Perec (qui recense toutes les apparitions de cet auteur dans les organes quels qu’ils soient) la mention de « Les Choses » sur ce blog. Avec votre permission anticipée.
By Anne on Oct 3, 2011
Le vide-grenier est aussi l’occasion de se débarasser de ce que l’on a jamais aimé, des cadeaux que l’on juge épouvantable et qui finalement ne reflètent pas ce que nous sommes ou avons aimé mais plutôt ce qui ne nous ressemble pas.
Vous pourrez ainsi trouver sur mon stand les livres et les film qui ne m’ont pas plu (les autres je les garde),
– les cadeaux ratés : mugs en tout genre, porte encens ou suspensions en bambou, habits trop petits ou trop grands… (plaisir de les voir quitter vos placards, joie de les vendre)
– les objets que tous les amis et voisins vous demandent de vendre pour eux… autant de fausses pistes dans le jeu qui consiste à imaginer l’histoire du vendeur à partir de son étalage.
Le stand est alors un peu un miroir inversé qui ne témoigne pas forcément de notre histoire personnelle et du temps passé mais qui dit tout ce que nous ne sommes pas, le challenge étant de le vendre !
By isabelle on Oct 3, 2011
Merci pour ces réflexions…
Pendant les grandes vacances, flânant dans un des innombrables vide-greniers de l’Ardèche en été, je me disais que chaque stand, avec ses « propriétaires » assis derrière leur étalage, feraient une galerie de photos-portraits sociologiques parfaits. Ce qui me rappelle ce très bon livre : Material World, portrait de familles avec toutes leurs possessions étalées devant leurs maisons : http://www.menzelphoto.com/books/mw.php
By lael on Déc 11, 2011
j’ai toujours détesté les vides greniers (probablement parce que je suis déjà bien trop envahie chez moi), mais là, votre regard est passionnant ! Vu sous cet angle, je me dis même que ça serait très intéressant d’effectuer ainsi ces « portraits » pour s’en inspirer pour mes personnages de romans. j’aime bien cette idées des objets qui définissent une personne.