Profitez-en, après celui là c'est fini

Les décimales du futur

novembre 3rd, 2008 Posted in Ordinateur au cinéma, Programmeur au cinéma

Les décimales du futur (The Final Programme, sorti en 1973, aussi appelé Last days of man on earth) est un film étrange réalisé par Robert Fuest à partir d’un roman de la série des aventures de Jerry Cornélius, par Michael Moorcock. Le nom de Jerry Cornélius doit vous être familier. Son créateur Michael Moorcock avait encouragé qui le voulait à écrire ses propres aventures de Jerry Cornélius, ce qui en fait un personnage « libre de droit » ou « collaboratif » avant la lettre (il y en a eu d’autres depuis : Le Poulpe en littérature policière ou Anlee en art contemporain, par exemple, mais aussi les expériences amateur de littérature collaborative qui ont fleuri sur Internet).
Des auteurs tels que Moebius (Le garage hermétique) ou Norman Spinrad (Le dernier hurrah de la Horde d’or ) ont ainsi écrit leurs propres aventures de Jerry Cornélius.

Très british, The Final Programme rappellera tantôt Orange mécanique, tantôt des séries télévisées telles que Le Prisonnier et Chapeau melon et bottes de cuir (dont le réalisateur a du reste signé moult épisodes, dans l’ancienne et dans la nouvelle série, il n’y a donc pas de hasard), mais aussi des films « rock’n’roll » tels que Performance (avec Mick Jagger), les films des Beatles ou des Monkees, le Tommy du groupe The Who, L’Homme qui venait d’ailleurs, Zardoz, et même, pourquoi pas, le Blow-up d’Antonioni — dont le caractère « psychédélique » est cependant très rigoureusement encadré et traité avec distance.

Le film se déroule dans un futur proche où, aux dires du héros, la troisième guerre mondiale a commencé à l’insu de tous, car chacun est trop occupé à regarder des publicités à la télévision. De nombreux indices laissent en tout cas présager une fin du monde toute proche.
Le héros, Jerry Cornélius (Jon Finch, acteur spécialisé dans le film d’horreur et le théâtre shakespearien), est un prix Nobel de sciences et un jeune dandy néo-romantique londonien qui mène une existence fantasque et collectionne des véhicules incongrus : avions de chasse, sous-marins nazis, hélicoptères.  Son frère est un toxicomane fou furieux qui cloître leur sœur dans la maison familiale, située à la campagne.
Leur père, qui menait des recherches scientifiques secrètes en Laponie vient tout juste de décéder et la première séquence du film est une cérémonie de crémation dans un paysage nordique désert.
Un des anciens collègues de Cornélius père réclame à Jerry, avec insistance, un microfilm sur lequel se trouve le résultat d’années de recherche en biologie et en informatique.

Le micro-film se trouve dans la demeure familiale que Jerry envisage de détruire au napalm pour se venger de son frère qui y réside. Jerry, accompagné de trois savants et d’une femme mystérieuse, Miss Brunner (Jenny Runacre, actrice de Casavettes, Pasolini et Antonioni), se rend donc dans la maison pour y récupérer le précieux microfilm. Le lieu est un dédale piégé qui envoie des flashs lumineux aptes à rendre ceux qui y sont soumis épileptiques, ce qui est illustré par des effets spéciaux de solarisation et de colorisation au cachet tout à fait intéressant. La maison contient bien d’autres pièges : on s’y fait gazer, empoisonner par des fléchettes, tromper par des jeux optiques divers ou ralentir par des énigmes à résoudre.
David, le frère de Jerry, tente d’assassiner ce dernier et c’est finalement leur sœur à tous deux, Catherine, qui est accidentellement tuée.
Un temps maîtrisé par Miss Brunner, David parvient à s’enfuir.

Au passage, on comprend (sans grandes explications) que Miss Brunner a le pouvoir étrange d’absorber des personnes et leurs talents. C’est ainsi que l’on verra mystérieusement disparaître Jenny, son amante, dont elle récupère la virtuosité de pianiste.
David décide de vendre le microfilm au docteur Baxter (Patrick Magee, qui interprète Mr Alexander, l’écrivain dans Orange Mécanique) mais Jerry l’y retrouve et le tue tandis que Miss Brunner absorbe le docteur Baxter.
Trainé en Laponie dans une ancienne base secrète nazie, Jerry découvre l’objet des travaux de son père : il préparait la création d’un être d’un genre nouveau à l’aide d’un ordinateur nommé Duel. Cet ordinateur (« le plus complexe du monde ») est relié aux cerveaux des plus grands savants décédés, qui sont maintenus en activité dans des aquariums. La connaissance de ces savants est centralisée par Duel en attendant d’être implanté dans le cerveau de l’être que l’on s’apprête à créer.
On notera au passage qu’il est toujours fait référence à l’ordinateur DUEL comme à une entité de sexe féminin (she’s called DUEL).

Au cours d’une discussion technique, Jerry affirme que la chose est impossible : comment transférer le savoir de tant de cerveaux en un seul sans dépasser les capacités de stockage de ce dernier ? Il y aura, prédit-il, surcharge.

Miss Brunner, qui est ma programmeuse informatique du système, explique à Jerry que, pour contourner le problème, ce n’est pas un cerveau qui va être utilisé comme réceptacle pour tout ce savoir, mais deux, dans deux corps réunis en un seul. L’être qui naîtra de l’opération sera, je cite : « un être humain hermaphrodite capable de se fertiliser lui-même, de se se régénérer, immortel, capable de s’auto-répliquer ».

Cette créature devait être conçue par la fusion de Miss Brunner et d’un grec prénommé Dimitri, qui se trouve enfermé dans une cellule de verre quoiqu’il soit consentant. Mais Miss Brunner a un tout autre projet, elle veut que ce soit Jerry Cornélius qui fusionne avec elle. Elle tente de tuer Dimitri, qui cherche alors à tuer Jerry, car il refuse de perdre son statut d’être l’élu. Mis hors d’état de nuire (mais pas encore tout à fait mort), Dimitri est donc remplacé par Jerry et amené dans une salle où sont concentrés des rayons solaires particuliers qui permettent la réalisation finale du projet de création du nouvel être humain. Les choses ne se passent pas exactement comme prévu, car Jerry refuse d’être passivement absorbé, il décide d’être partie prenante dans le processus (ne me demandez pas de vous expliquer ça) et de devenir avec Miss Brunner « le nouveau messie ». Jerry et Miss Brunner roulent sur un lit dans un simulacre (?) de rapport sexuel sous l’influence des rayons du soleil boréal. Dans le laboratoire voisin, les savants s’affolent, atteints par quelque radiation, et meurent de manière sanglante.
Lorsque tout est fini, une sorte d’homme de Néanderthal sort de la chambre où Miss Brunner et Jerry ont fusionné. Dimitri, mourant, demande : « alors vous êtes le nouveau messie ? ». La créature répond : « Je n’en suis pas sûr Dimitri. Disons juste que je suis la fin d’une époque et qu’il est temps d’en construire une nouvelle ».

Le film est édité par Studio Canal dans une collection intitulée « Les films inclassables ».
Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse bien d’un film inclassable. Au contraire, lié à la période du rock psychédélique (même si la bande son est principalement composée de musique de parade) et à la veine fantastique, science-fictionnesque ou bizarre britannique (Zardoz, The Wicker man, The Avengers…), Les décimales du futur me semble, à sa manière, un film un peu banal et passablement bâclé.
Le futur proche qui sert de cadre au récit n’est pas spécialement développé, notamment, et ce manque de cadre s’avère vite être une faiblesse criante à mon sens.
Le personnage de Jerry Cornélius, par sa manière d’être à la fois détaché et impliqué, indifférent et passionné, est sans doute ce qu’il y a de plus intéressant dans le film.

L’idée d’une hybridation entre informatique et cerveau, entre composants électroniques et biologie humaine n’est pas si fréquente, du moins dans le registre fantastique. C’est un sujet récurrent chez Cronenberg (Scanners, Videodrome, eXistenZ), et on le retrouve aussi dans le film Génération Proteus (Demon Seed, 1977), où un ordinateur viole la malheureuse Julie Christie dans le but de lui faire un enfant. On retrouve aussi cette notion dans un Disney débile-léger, The Computer wore tennis shoes, et dans Superman III où la revêche Vera Webster fusionne avec un ordinateur créé pour supprimer l’homme d’acier.
L’ordinateur sert ici de dépôt, il est utilisé pour centraliser la connaissance qui peut ensuite être implantée dans un nouveau cerveau. C’est peut-être l’idée la plus originale du film.

Ce film me laisse, pour tout dire, un peu perplexe. J’ai la vague intuition de ce qu’il aurait peu être s’il avait été scénarisé et réalisé de manière légèrement moins auto-satisfaite : cela aurait donné un épisode de The Avengers, un peu plus trash et un peu plus « sexuellement explicite » (nous sommes en pleine libération sexuelle pour le cinéma, notamment britannique). Mais je ne suis pas persuadé que ça aurait vraiment valu le coup.

  1. 3 Responses to “Les décimales du futur”

  2. By Wood on Nov 3, 2008

    Ca alors, j’ignorais qu’un bouquin de Moorcock ait jamais été adapté au cinéma. Il faut que je voie ce film.

    Si on m’avait demandé, j’aurais dit que de tout ce qu’il a écrit, c’est Jerry Cornelius qui se prêtait le moins à l’adaptation. Les romans sont à peine compréhensibles (le premier volume, passe encore, mais les suivants sont vraiments trop… expérimentaux ? Psychédéliques ?). Dans les autres romans de Moorcock, on retrouve souvent un personnage qui est le compagnon du héros pour une brève période et dons les initiales sont celles de Jerry Cornelius… Il semble parfois ne plus très bien se souvenir de son nom (« Jahry a’Cohnel ? Ah non, cette fois je suis Jaspar Colinadous, bien sûr ! ») son apparence varie, mais il est toujours accompagné d’un petit chat noir pourvu d’ailes de chauve-souris)

    – En passant, un autre exemple de personnage « collaboratif », Octobrianna : http://en.wikipedia.org/wiki/Octobriana

  3. By Jean-no on Nov 3, 2008

    Intéressant, Octobriana ! Le caractère psychédélique du roman d’origine ne m’étonne pas… Et ce qui est bizarre d’ailleurs c’est d’en tirer une histoire assez conventionnelle, du coup tout semble assez artificiel.

  4. By Wood on Nov 3, 2008

    Au fait le premier chapitre du roman reprend exactement la trame de la première histoire d’Elric le Nécromancien, « La cité qui rêve », écrite par Moorcock en 1961, mais en changeant l’époque et le nom des personnages. Après ça part dans d’autres direction…

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