Profitez-en, après celui là c'est fini

Ceux qui nous veulent du bien

avril 15th, 2011 Posted in Lecture, Parano

Les éditions de La Volte et la Ligue des droits de l’homme se sont associés pour publier en août 2010 Ceux qui nous veulent du bien, une sélection de dix-sept nouvelles centrée sur le sujet des libertés publiques et privées face aux nouvelles technologies. Le livre, qui contient trois-cent quarante pages, a une sur-couverture sur laquelle est juste écrit : Souriez, vous êtes gérés. Le graphisme général, assez réussi quoiqu’un peu littéral, évoque les circuits imprimés. Chaque nouvelle est introduite par des données anthropométriques et biographiques consacrées à son auteur, en clin d’œil, bien sûr, aux questions de fichage policier. Le recueil est introduit par une préface de Dominique Guibert, secrétaire général de la ligue des droits de l’homme.

L’ensemble est inégal, mais certains textes sont franchement pertinents ou réussis. J’ai apprécié Échelons, par Thomas Day, qui raconte l’histoire d’une fillette qui communique mieux avec les machines qu’avec les humains et qui est pourchassée pour cette raison ; Spam, par Jacques Mucchielli, qui évoque les séquelles d’un vétéran de la guerre au cerveau littéralement infecté de publicités virales ; Les événements sont potentiellement inscritset non modifiables, par Bernard Camus, qui montre comment on peut lire une dépêche AFP ; Paysage Urbain, par Ayerdhal, qui évoque la manière dont des décisions urbanistiques apparemment de bon sens servent à créer de l’exclusion ; Remplaçants, de Gulzar Joby, où des petits bourgeois, traqués à chacun de leur déplacement, embauchent des « périphériques » pour aller au zoo à leur place tandis qu’eux sortent de la ville pour s’encanailler ; Ghost in a Supermarket, par Éric Holstein, où une société de « profilage » sur Internet est déstabilisée par les incohérences d’un acheteur : et si ce n’était pas un homme mais une intelligence artificielle ? Trajectoires, par Danel, un peu dans la veine des Rapports minoritaires de Dick ; Annah à travers la Harpe, un Orphée 2.0 par Alain Damasio ; Des myriades d’arphides, par Sébastien Cevey, Un spam de trop, par Philippe Curval, et Le point aveugle, par Jeff Noon, qui se demandent comment on peut disparaître dans un monde de traçabilité totale ; Sauver ce qui peut l’être, par Prune Matéo et Vieux salopard, par Paul Beorn, qui explorent la question du libre-arbitre ; etc.

La plupart des textes renvoient à d’autres grands textes de la science-fiction. Impossible de ne pas penser à Philip K. Dick, William Gibson, Bruce Sterling ou encore John Brunner. On peut supposer que le sujet rend inévitables l’invocation de telles références. Reste que l’idée de recourir à la science-fiction pour évoquer des mutations technologiques et sociales en cours me semble une idée très intéressante. La science-fiction fait cela depuis qu’elle existe, bien évidemment, puisque c’est même en grande partie son objet, mais elle le fait depuis sa tour d’ivoire : ses auteurs parlent à ses lecteurs, et les spéculations qu’elle propose n’atteignent souvent un large public qu’avec un grand retard et sous la forme diminuée et consensuelle des blockbusters hollywoodiens. Ici, la réflexion d’auteurs de fiction fraie avec des débats politiques urgents, et cela me semble une excellente initiative.

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