Le retour de la fin du monde
mars 14th, 2011 Posted in Au cinéma, Bande dessinée, Images, Pas gaiCe qui me fascine en voyant défiler les tristes images du Japon dévasté par une catastrophe naturelle et menacé par un accident nucléaire, c’est à quel point elles me semblent familières. Malgré leur envergure exceptionnelle et leur brutalité, ces évènements, j’y avais déjà assisté, et les japonais, plus encore que moi, tant les fictions qu’ils consomment regorgent de catastrophes de ce genre.
Nos journaux télévisés montrent à quel point les écoliers japonais sont entraînés à s’abriter sous leurs tables de classe dès qu’une secousse s’annonce. Ils évoquent aussi l’excellence des constructions anti-sismiques, en nous disant que les japonais sont toujours prêts à l’éventualité d’un tremblement de terre majeur ou d’un monstrueux tsunami. Mais cela va plus loin à mon avis. Par des récits de science-fiction surtout, les Japonais se sont aussi préparés psychologiquement. Et cette préparation par l’imaginaire fantastique n’a pas de destination pragmatique, elle ne dit pas comment se comporter pendant une catastrophe, elle établit la fatalité de la catastrophe.
Bien entendu, pour produire des catastrophes crédibles, des récits « habités », il faut aussi que l’idée de l’éventualité d’une fin du monde soit bien ancrée dans l’esprit des auteurs de ces récits, ils faut qu’ils y croient eux-mêmes pour y faire croire.
Marshall McLuhan disait que la bande dessinée est un média « froid », c’est à dire un média qui réclame un effort conscient à son public et implique, en contrepartie, une certaine distanciation. Et ce n’est pas faux. J’ai pourtant connu un authentique sentiment d’effroi à la lecture de deux bandes dessinées, Dragon Head, par Minetarō Mochizuki et Ardeur (1980), par Alex et Daniel Varenne. Or ces deux séries sont des récits de fin du monde. Ardeur est un effrayant voyage dans une Europe ravagée par l’hiver nucléaire, écrit en plein « réchauffement » de la guerre froide. Je reparlerais peut-être un jour de cette série que je tiens pour un chef d’œuvre, du moins pour ses premiers tomes.
Dans Dragon Head, un train se retrouve prisonnier d’un tunnel à la suite d’un séisme. Trois collégiens — deux garçons et une fille — survivent et essaient de quitter l’endroit et de comprendre ce qui est arrivé au Japon, apparemment victime d’une catastrophe majeure. Les divers protagonistes rencontrés au cours du récit connaissent tous les états de la peur : les uns se montrent pragmatiques, les autres basculent dans la folie complète. Personne ne sait rien, le pays entier est plongé dans les ténèbres, isolé du reste du monde.
Même Ponyo sur la falaise (2009), de Hayao Miyazaki, qui a les apparences d’un conte pour enfants inspiré de la petite sirène d’Andersen, et qui est souvent présenté comme un des films les plus légers de son auteur, constitue à mon avis une lugubre évocation de l’absence, de la mort, du désastre, et de la violence du rapport de l’homme à la nature. L’héroïne qui donne son titre au film est la cause d’un tsunami qui noie une petite ville côtière. Si le spectateur choisira de croire que les pensionnaires d’une maison de retraite immergée sont sauvés de la noyade par un abri sous-marin plus ou moins magique, il n’est pas interdit de ne voir dans cette intervention qu’une fantaisie consolatrice.
Je trouve intéressante l’image qui suit, enregistrée sur une chaîne d’informations en continu il y a quelques heures. Confronté à l’impensable, le témoin des effets du désastre se sent projeté dans la fiction :
On pourrait bien sûr parler aussi de la manière dont les américains, autres familiers des catastrophes (tornades, séismes, inondations), ont toute une production cinématographique notamment, autour de ce thème. Ce qui ne concerne pas que les désastres naturels, d’ailleurs : l’accident de la centrale de Three Miles Island avait été décrit par avance dans le film Le Syndrome Chinois, et on aurait du mal à dénombrer toutes les images prémonitoires des attentats du onze septembre 2011 qui ont été inventées pour des fictions.
Et ici, en France, au fait ? À quoi nous préparons-nous ?
À quoi ne nous préparons-nous pas ?
(article que je dédie à Julien, Claude et Hajime)
25 Responses to “Le retour de la fin du monde”
By Tom Roud on Mar 14, 2011
C’est vrai que les Japonais ont beaucoup exploré cette thématique, mais il faut dire aussi qu’il y a deux facteurs importants :
– d’abord, le Japon est une terre où la nature est à la fois luxuriante et parfois hostile. Ce n’est pas exactement le croissant fertile, c’est montagneux, et typhons, tsunamis tremblements de terre sont là quotidiennement. D’où une fond culturel (et une religion) animiste, acceptant les contraintes naturelles.
– surtout, le Japon s’est pris 2 bombes atomiques sur la figure, et l’inconscient japonais reste marqué par ça. Godzilla, les super sentai, etc… sont les enfants directs d’Hiroshima et Nagasaki. Je trouve d’ailleurs un peu naif (voire indécent compte tenu du contexte) le débat actuel en Occident sur le nucléaire à la suite la catastrophe, oubliant que les Japonais ont été meurtris dans leur chair par les radiations et occultant le fait qu’ils ont fait ce choix énergétique en toute connaissance de cause. A mon avis ils ont et auront beaucoup à nous apprendre en matière de débat nucléraire, il faudrait suivre cela de plus près.
By Jean-no on Mar 14, 2011
@Tom Roud : je me suis retenu de mettre des images de Gen d’Hiroshima, superbe récit d’un survivant de la bombe A, car on sortait un peu du sujet mais c’est vrai que ça aussi fait partie de leur imaginaire en la matière.
By Julien on Mar 14, 2011
Apparemment ce roman est un classique et l’ancêtre du genre : http://en.wikipedia.org/wiki/Japan_Sinks
2 films en ont été adaptés
By Ksenija on Mar 14, 2011
Ce à quoi la France ne se prépare certainement pas, c’est le déplacement de 210.000 personnes dans un rayon de 20 km autour des centrales, dixit un expert de sécurité nucléaire (sur France Info, ce matin, j’ai zappé son nom).
By mrbbp on Mar 14, 2011
Perso je me souviens d’un film qui m’a bcp marqué et qui se passe en France: Malvil, avec Serrault, Villeret, Trintignant,,,
http://fr.wikipedia.org/wiki/Malevil_(film)
Et j’avais croisé aussi un docu de la bbc sur quoi faire après un accident nucléaire…
C’était flippant aussi.
Puis j’avais vu, plus tard, Dream de Kurozawa avec la séquence avec les fumées radioactives colorées et j’avais trouvé ça pueril et hors d’âge (cette peur du nucléaire) tant on nous l’a vendu (le nucléaire) et le vend comme sûr.
By Fatima on Mar 14, 2011
@Tom Roud: Je partage votre sentiment sur le débat nucléaire qui fait couler beaucoup d’encre en ce moment et risque d’éclipser d’une part la détermination du peuple japonais et le soutien moral, pragmatique qui se multiplient sur les réseaux sociaux.
@Jean-No: Merci pour cette comparaison!
By Altshift on Mar 14, 2011
Il me semble que le débat sur le nucléaire n’a jamais cessé depuis que la politique d’indépendance énergétique de la France a fait de la multiplication des centrales une priorité. Je me souviens par exemple de cet autocollant qui fleurissait un peu partout était-ce dans les années 70 ou 80 ?
Mais il est normal que certains découvrent ou redécouvrent le problème à l’occasion d’incidents successifs qu’on s’empresse de leur faire oublier.
Pour ce qui est de la fin du monde, s’il est probable qu’elle arrivera un jour ou l’autre quelle qu’en soient les causes, ça fait un moment que des témoins de jéhovah tentent régulièrement de m’alerter sur le sur le sujet en singeant l’apocalyse devant ma porte. Brrr… ça fait froid dans le dos. Qu’on l’imagine à travers les images d’actualité, ou à travers la bande dessinée récente ou plus ancienne (google fit bien de préciser que cette image peut être protégée par les droits d’auteurs), il semble bien que cette fin du monde fasse partie d’un imaginaire collectif sans cesse remis au goût du jour, comme pour bien dire à ceux qui restent combien ils ont de la chance.
Reste que comme souvent, entre l’information nécessaire sur ces événements dramatiques et la diffusion en boucle d’images en tant que spectacle destiné à nourrir le mythe et la peur, la frontière est ténue.
By Bishop on Mar 14, 2011
Il faut voir le film la Bombe sinon pour l’esprit, même si là c’est dans un contexte guerre froide. L’ultime point de toutes les fictions japonaises reste la destruction de Tokyo, sorte d’horizon de toutes leurs visions catastrophiques.
Heureusement pour eux, on n’en est pas là dans la réalité.
By Bobby on Mar 14, 2011
Un avant/après assez douloureux d’images satellites
By Chixculub on Mar 14, 2011
Je m’étonne, quand on évoque le Japon et le nucléaire, qu’on mentionne systématiquement Godzilla… en oubliant Astro Boy, superhéros japonais ultrapopulaire (il paraît qu’il y a des statues qui le représentent, là-bas) né dans les années 1950 et qui fonctionnait à l’énergie atomique (son nom japonais: Tetsuwan Atomu)…
N’aurait-il pas aidé à faire passer aux Japonais la pilule du nucléaire, si je puis dire ?
By Jean-no on Mar 14, 2011
@Chixculub : On peut bien entendu parler d’Astro Boy, et d’une foule d’autres mangas. Godzilla est intéressant car c’est le réveil de la nature face à l’arrogance de la science des humains, quelque part. Ce qui me rappelle que je suis très curieux de l’adaptation américaine de Astro Boy. J’ai beaucoup apprécié Pluto, remake en manga d’un épisode d’Astro Boy par Naoki Urasawa.
By Denis H. on Mar 14, 2011
J’avais également été sidéré par Dragon Head. Par contre je ne connais pas Ardeur, il faudra que je me le procure à l’occasion.
Concernant la production cinématographique américaine, avez-vous lu « La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre » de Naomi Klein ? Ce n’est pas mon cas, mais je pense que ce pourrait être une lecture intéressante sur le sujet.
By Denis H. on Mar 15, 2011
Retour sur commentaire : « sur le sujet », pas vraiment — je voulais dire « en relation avec le sujet » : je sais bien qu’il n’est pas question de cinéma dans le bouquin de Klein. Je voulais simplement dire que je vois un lien entre la « doctrine du choc » et la manière dont nombres de blockbusters nous renvoient des images-catasrophes qui fascinent et séparent. Pas tous certes, et la « production américaine » ne se résume pas à Hollywood, même s’il faut bien admettre que ce genre de films sont le plus souvent issus de la grande industrie.
Mais je suis légèrement hors-sujet.
By Jean-no on Mar 15, 2011
@Denis H. : je suis assez curieux du livre de Naomi Klein.
By Mirabo on Mar 15, 2011
C’est étrange, j’ai également trouvé « Ponyo sur la falaise » d’une violence rentrée bien ambiguë – par rapport au reste de l’œuvre de Miyazaki…
By La Reine des Grenouilles on Mar 15, 2011
Même avant de s’habituer aux catastrophes au travers des images d’apocalypses véhiculées par la science fiction ou les souvenirs de la bombe atomique, il me semble que le Japon a toujours été un des pays les plus aptes à parler de monstres. De même qu’il est impossible de se battre contre un territoire hasardeux, il faut apprendre à s’accommoder des youkai et kami divers, apprendre à supporter leur présence et à faire avec.
By jyrille on Mar 15, 2011
J’ai eu la même réflexion devant Ponyo sur la falaise. Cela était effrayant mais c’est tourné comme étant inoffensif. Les enfants n’y ont vu que de la joie.
Côté français, il y a Malevil, que je n’ai jamais vu en entier. Catastrophe nucléaire il me semble.
By Eléonore. on Mar 15, 2011
en France nous nous préparons à la crue centenale de la Seine. Je viens de faire un petit truc là-dessus, je le mets en ligne dès que je rentre. E.
By Panix on Mar 15, 2011
Je me souviens d’une illustration parue dans Ça m’intéresse il y a bien de ça, euh, 15 ans peut-être, représentant le promenade des Anglais à Nice submergée par une vague géante pendant que le Negresco est jeté à terre par un séïsme. Il s’agissait de la prédiction par Haroun Tazieff d’une catastrophe tectonique pour la Côte d’Azur. Encore non avérée. Jusqu’à quand ?
By nv on Mar 15, 2011
+1000.
Exactement la même réaction, avec Akira et Ponyo en tête de mes évocations directes. J’y ajoute des scènes d’apocalypse de 20th century boys, même s’il ne s’agit pas de catastrophes nucléaires. (au passage, Pluto est en effet excellent).
J’ai un billet en brouillon que je n’arrive pas à finir qui tentait de parler justement de cet imaginaire de la destruction, dans le manga d’anticipation. Il mérite grave d’être affiné, avant publication (ou de ne pas être publié). Pas connaissance de mangas parlant explicitement de tsunamis, en revanche…
By Yoann Moreau on Mar 16, 2011
Sabouret et Bouissou vont dans ton sens, avec un superbe petit montage de Libé