Suivre la balle (philosophie basket-ball)
mars 12th, 2011 Posted in MémoireQuand j’étais au Lycée, j’avais une prof de sport, madame Testaud, qui n’avait pas totalement perdu espoir en moi dans certaines disciplines, et notamment, le basket-ball — il faut dire que sans être un géant, je faisais plutôt partie des « grands ». J’arrivais régulièrement à prendre la balle, à m’approcher du panier et à lancer, mais je marquais plutôt rarement. En fait je m’arrêtais, je visais avec concentration et je tirais, sans trop de résultat. Et cette madame Testaud me disait chaque fois « Tu dois suivre la balle ! ». Je n’y ai d’abord pas prêté attention, mais elle insistait, « suis la balle ! ». J’ai essayé de comprendre ce qu’elle voulait dire par là mais l’injonction, plutôt simple en apparence, me semblait finalement un peu absurde à la réflexion : comment ça, suivre la balle ? Pourquoi faire ? On marque ou on ne marque pas, non ? Une fois le lancer exécuté, à quoi bon continuer à courir ?
Mais j’ai fini par faire ce qu’on me demandait en abandonnant l’ambition de comprendre, j’ai suivi la balle. Et j’ai commencé à marquer.
« Suivre la balle », dans mon cas, ça a signifié, très concrètement, que je n’ai pas abandonné le ballon après l’avoir lancé mais que mon geste s’est inscrit dans une continuité cinétique : courir, envoyer, continuer à courir, rattraper la balle si le coup est manqué,… Au fond ça ne s’explique pas très bien, ça ne s’argumente pas, ça s’expérimente, comme toutes les actions qui engagent le corps et son intelligence spécifique1.
Mais au delà du basket-ball, de la balistique et du sport en général, j’ai conservé cette idée de « suivre la balle » que j’essaie de m’astreindre à appliquer à un certain nombre des choses que je fais. Je dis que j’essaie, parce que ce n’est pas forcément ma pente naturelle. « Suivre la balle » signifie alors être vraiment dans ce qu’on fait, ne pas faire les choses à moitié, ne pas croire qu’il suffit de lancer une idée, mais accompagner son évolution, ne pas seulement produire une œuvre (artistique ou autre — dans mon cas un site internet ou un livre sur le langage Processing, par exemple), mais la rendre publique, puis s’intéresser à la manière dont elle sera reçue, l’archiver ou documenter son existence, etc.
(image : photogramme extrait du neuvième épisode de la belle et terrible série The Wire)
- Les grands sportifs ont souvent des phrases obscures qui, si on les applique, fonctionnent. Par exemple Bruce Lee : « Le bon praticien d’arts martiaux n’est pas tendu, mais prêt », « Je ne crois pas en Dieu, je crois au sommeil », « Les pensées sont des objets », « Ce qu’on cherche, ce ne sont pas les branches, ce sont les racines », « Il faut suivre le flux, s’écouler dedans (…) rien n’est fixe », etc. [↩]
10 Responses to “Suivre la balle (philosophie basket-ball)”
By Bishop on Mar 12, 2011
Très bon principe, mais beaucoup plus difficile à mettre en place :/
Sinon c’est toujours intéressant de voir « l’intelligence » des gestes qu’on apprend. Un savoir qui ne s’apprend pas par cœur, mais par « mouvement ».
By Jean-no on Mar 12, 2011
Je crois que je viens d’écrire ces lignes parce que je culpabilise de ne pas être allé aux portes ouvertes de mon école au Havre :-)
By Jean-no on Mar 12, 2011
@Bishop : oui, il y a une mémoire du corps et une intelligence du corps, c’est très étonnant, ça passe sous le radar de l’intelligence cognitive mais c’est là que beaucoup de choses se passent, pour nous (l’émoi artistique, souvent, par exemple). Et tout ça se passe vraiment dans le mouvement.
By nico tübingen on Mar 12, 2011
be water my friend : http://www.youtube.com/watch?v=sonZq6ZnF90
By troiscarres on Mar 12, 2011
C’est une belle histoire !
By david t on Mar 12, 2011
excellent le florilège de bruce lee. :)
By Wood on Mar 13, 2011
Si je m’attendais…
Si je m’attendais, de ta part, à un billet sur les leçons de « philosophie de la vie » que tu as reçues de ton prof de sport du lycée, comme dans un film Hollywoodien de 3ème zone…
Pour bien faire, tu devrais être assis sur un mur en pierre au bord d’un champ, à raconter cette histoire à ton fils, et il y aurait une musique sirupeuse avec une tonne de violons…
By Jean-no on Mar 13, 2011
@Wood : ouais, chais pas quoi te dire, ça m’a pris…
By Bobby on Mar 13, 2011
En fait, tu « suis ta balle » que lorsque tu devines par avance (par ton geste, tes appuis, ton feeling) qu’il y a des chances que tu ne rentres pas ton shoot. On donne aussi ce conseil aux joueurs les moins adroits, ou aux intérieurs (‘sont plus près du cercle dès le départ). Mais tu ne peux pas suivre ta balle à chaque shoot car tu perds en concentration et en fluidité dans la fin de ton geste (donc tu minimises tes probabilités de marquer encore +).
Moi j’ai confiance en mon geste et en mon shoot, donc après le tir, j’assure plutôt le repli défensif ;D
By sylvain fesson on Mar 15, 2011
En tant qu’ex fan de basket toujours un peu pratiquant et ado qui a eu des posters de Bruce Lee dans sa chambre avec ce genre de phrases dessus « pas de technique comme technique pas de limite comme limite » j’ai envie de t’envoyer un gros « Like ».
Sylvain