Profitez-en, après celui là c'est fini

L’épouvantail au couteau entre les dents

janvier 27th, 2011 Posted in Écrans et pouvoir, indices

Avertissement : je n’ai pas particulièrement décidé de voter pour Jean-Luc Mélenchon aux prochaines élections présidentielles. Je tombe souvent sur lui à la télévision — il doit y passer beaucoup car je la regarde peu — ou dans des extraits vidéo en ligne. Je n’ai pas lu son livre Qu’ils s’en aillent tous ! : Vite, la révolution citoyenneJ’ai, comme tout le monde, des opinions politiques, mais elles ne sont ni le sujet, ni le moteur du présent article.

C’est le billet d’André Gunthert Le populisme expliqué aux enfants et les discussions qui l’ont accompagné qui me donnent envie, à mon tour, de commenter la forme qu’a pris la médiatisation de Jean-Luc Mélenchon, médiatisation dont l’expression la plus pure et la plus explicite peut être synthétisée dans le dessin de Jean Plantu pour l’Express du 19/01/2011, que je reproduis ci-dessous.

Tout d’abord, le dessin : parallèles (et non symétriques), Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon lisent un seul et même discours dont le titre est « tous pourris ». L’un et l’autre portent des brassards qui imitent ceux des nazis. Pour que nous reconnaissions les protagonistes, Plantu écrit leur nom en toutes lettres en bas de leurs pupitres. Il pouvait l’éviter dans le cas de Mélenchon, qui est plutôt reconnaissable, mais sans doute pas dans le cas de Marine Le Pen qui n’est pas spécialement ressemblante. Entre les deux figures se trouve, cachée au fond, un visage rigolard dont le sourire, identique à celui de Marine Le Pen, est apparemment celui du fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen. Le titre, « L’ascension des néopopulismes », appuie l’idée que l’on peut mettre dans le même sac des gens que, a priori, tout oppose, mais que l’on accuse justement de mettre eux aussi tout le monde dans le même sac : « Tous pourris ! »1.

C’est tout de même du lourd, associer une personnalité publique à l’extrême-droite. Certains, pour n’avoir pas réussi à faire entendre leur défense, y ont beaucoup perdu2, qu’ils aient été victimes d’une rumeur, d’une phrase ambiguë ou qu’ils aient amplement mérité cette association. Ce n’est pas exactement le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui sait parfaitement se faire entendre et qui parvient à être présent dans les médias, enfin tant qu’il joue leur jeu, tant qu’il reste dans le rôle qu’on lui a attribué. C’est paradoxal : pour se défendre des attaques caricaturales dont il est l’objet de la part de gens qui n’ont pas la réputation d’être excessifs (récemment : Plantu, Barbier, Quatremer, Cambadélis,…), Mélenchon doit jouer les durs, les colériques. En revanche, lorsqu’il explique posément sa vision des enjeux politiques du siècle qui commence, en donnant son analyse de l’histoire, ses arguments, ses observations, il n’est pas spécialement relayé.

Ce qui est officiellement reproché à Mélenchon, c’est de faire dans le registre « populiste » (ou, allez savoir pourquoi, « néo-populiste »). « Populisme » est un mot intéressant, qu’il est plutôt étrange d’employer comme un gros mot en démocratie, puisque le « populisme » consiste à s’appuyer sur le peuple, tandis que la « démocratie » est le gouvernement par le peuple : un populisme sincère est donc fondamentalement démocratique tandis que son opposé, l’élitisme, ne peut pas l’être. Christophe Barbier, dans un éditorial en vidéo, rapproche le « qu’ils s’en aillent tous » de Mélenchon du « sortez les sortants » de Pierre Poujade en 1956. Et comme tous ceux qui font cette comparaison, il rappelle que le poujadisme3 est l’ancêtre du Front National, ce qui est relativement faux, car si Poujade a bel et bien lancé la carrière de Le Pen, il s’en est éloigné bien vite et ne l’a plus jamais soutenu, même de loin.

De plus, « sortez les sortants » était un assez bon slogan, dans le plus pur esprit d’une démocratie qui fonctionne bien et dont le principe n’est pas de trouver le bon dirigeant, mais d’avoir le droit de se débarrasser des médiocres. La démocratie, c’est l’alternance.
Finalement cette utilisation du « populisme » comme synonyme de « démagogie » est suspecte, d’autant que de démagogie, la classe politique française ne manque pas, tous bords confondus. Passons.

Le référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005

J’ai l’impression que ce qui est vraiment reproché à Mélenchon, ce sont deux choses distinctes.

La première, c’est que s’il maintient sa candidature et persiste à séduire l’électorat, il peut empêcher le Parti Socialiste de passer le premier tour de l’élection de 2012. Le traumatisme de l’accession au second tour du Front National en 2002 reste assez vif et me semble confusément associé à un second traumatisme, le rejet du traité constitutionnel européen en 2005, qui a acculé l’état à imposer un texte similaire, sans référendum, trois ans plus tard4. Dans l’un ou l’autre cas, il n’était pas prévu que les électeurs aient l’idée de voter autrement que ce qu’on avait prévu pour eux : en deux élections, il est apparu que la démocratie française ne fonctionnait plus, ou qu’elle fonctionnait trop bien.
On peut comprendre que la démocratie trouve une limite à sa tolérance face aux anti-démocrates (royalistes, islamistes,…), mais lorsque son élite laisse entrevoir qu’elle s’est, au fond, toujours méfié du peuple dont elle réclame pourtant le suffrage, et que tout discours légèrement différent devient « populiste », il y a de quoi s’interroger, et c’est une des vertus de cet emballement médiatique autour de Jean-Luc Mélenchon.

Le second grief est sans doute corporatiste : Jean-Luc Mélenchon s’en prend aux médias, et plus spécifiquement aux journalistes, et il le fait de manière plutôt virulente. Les journalistes se défendent, donnant raison à Pierre Bourdieu lorsqu’il affirmait que les médias se réservaient l’exclusivité du droit de critiquer les médias. Mélenchon qualifie David Pujadas de « larbin » et de « laquais » dans Fin de concession, le dernier film de Pierre Carles ; il s’énerve contre un jeune étudiant en journalisme ; et depuis, il répète ce genre d’agressions, de manière de plus en plus caricaturale et excessive, pour le grand plaisir des cadreurs du « Petit journal » sur Canal+, notamment.
Bien que cela lui profite temporairement, Mélenchon risque de s’enfermer dans un rôle un peu mécanique de pourfendeur médiatique et médiatisé des médias, sans doute bien plus proche du « taisez-vous Elkabbach ! » de Georges Marchais que du « Le Pen dit la vérité, on le bâillonne » du Front National.
Les remarques « à chaud » que fait Mélenchon (lorsqu’il note qu’on essaie de le faire parler du débat sur la réouverture des maisons closes en pleine manifestation pour les retraites ou lorsqu’on lui demande pour qui il votera au second tour de l’élection à laquelle il se présente, par exemple), sont intéressantes, car il a tout à fait raison sur ce genre de choses. Il est rarissime que quiconque résiste à faire ce que la caméra lui demande de faire, il est rarissime qu’un ministre ou un député ose dire qu’il se moque du football et qu’il est là pour parler de choses qui relèvent plus de sa compétence. Devant une caméra, on ne casse pas l’ambiance. Lui, l’ose, ce qui n’est pas désagréable5.

Il semble cependant, et c’est en quoi le cas me paraît exemplaire, que Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà perdu son duel avec les journalistes, car puisqu’on ne peut pas le montrer comme clown, on le montrera comme bête fauve, et les journalistes joueront à se faire peur en le faisant rugir et montrer les crocs. Ils ne prennent pas beaucoup de risques, car les accidents sont plus rares dans les médias que dans les vrais cirques.

(lire ailleurs : Vous avez raison d’avoir peur de Mélenchon – Növovision ; Au delà de la limite, il n’y a plus de bornes – J.L. Mélenchon)

  1. Il faut signaler que Jean-Luc Mélenchon nie avoir dit ou pensé ce « tous pourris » qu’on lui attribue. En revanche il a bien qualifié la presse de « métier pourri ». []
  2. Comme Françoise Hardy, Daniel Guichard, Michel Sardou, Alain Delon, Brigitte Bardot, Dieudonné… Situation qui rappelle l’hilarant et glacial Confort intellectuel de Marcel Aymé (1949), où le narrateur, un écrivain, doit quitter l’hôtel où il réside car les autres clients lui trouvent « une tête de collaborateur » et s’en sont plaints à l’hôtelier. []
  3. Le poujadisme est un groupe politique né du ras-le-bol des petits commerçants face à la pression fiscale. On les a beaucoup méprisé, ils avaient l’air bien mesquins et rappelaient sans doute aux français les privations de la guerre (tickets de rationnement, marché parallèle,…) qu’a incarné le petit commerce. Aujourd’hui, plus besoin d’en parler, la grande distribution a laminé tout ce qui pouvait l’être en matière de petit commerce.  []
  4. Note : je n’ai jamais compris pourquoi on soumettait aux citoyens un texte aussi long, aussi technique et aussi peu apte à faire rêver à des principes forts pour l’Union européenne. Pour ma part, j’avais malgré tout voté « oui ». []
  5. Bien sûr, on peut reprocher à Mélenchon ses exigences autocrates vis à vis des médias, qui sont un peu dans la veine d’Hugo Chavez, qu’il soutient : dans un pays libre et démocratique, les journalistes ne sont pas censé être le service de relations publiques d’un candidat… Mais ils ne sont pas non plus censés être le service de relations publiques de ses adversaires. []
  1. 6 Responses to “L’épouvantail au couteau entre les dents”

  2. By Pascal Rousse on Jan 27, 2011

    Bonjour,

    Bravo et merci pour ce billet (et pour celui d’André Gunthert). Je ne pense pas voter pour Jean-Luc Mélanchon et je ne partageais pas ses positions sur l’Europe, mais il m’est très sympathique et je le trouve même assez pertinent sur le plan politique, quand d’autres peinent à sortir d’un certain « sectarisme ». Enfin, des avis sensés sur ses relations aux médias et notamment sur l’affaire de son altercation avec le journaliste stagiaire ! Cela me confirme dans l’estime que j’ai pour l’ensemble de ce site que je consulte presque quotidiennement.

    Bien à vous

  3. By PdB on Jan 27, 2011

    (le dessinateur/caricaturiste dont vous reproduisez l’oeuvre s’est trompé de doigt pour la créature qui incarne, à présent, après son père-qui la marque à la culotte-cette France-là : majeur, et non index) Dans votre note 4, vous omettez de dire que les médias sont, d’abord et avant tout, leurs propres attachés de presse (voir le nouveau directeur du quotidien – au 1#° mars, à moins que cette nomination n’échoue-qui paraît le matin sous le titre bien usurpé de »libération »). Il me semble (JLM a le trop grand tort de se réclamer de l’idéologie communiste qui est, comme on sait, le plus ignoble et le plus ringard des partis à prendre dans ce monde gouverné par l’appât du gain, l’arrivisme et l’avidité).

  4. By Audrey Gourd on Jan 29, 2011

    Serait-ce un signe de plus pour déclarer la mort du journalisme d’opinion (l’ancien, celui crée par des élites) par la démocratisation de l’expression de l’opinion et l’ouverture au non professionnels de la profession ?
    Cela me parait fort probable et expliquerait que ce journalisme (d’élite) ne parlerait plus que d’eux et des sujets qu’ils s’autorisent à traiter ou qu’on leur portent à traiter jusque dans leurs bureaux… comme de vrais chargés de relations publics (qu’importe la couleur politique du journal)

  5. By La râleuse chronique on Jan 29, 2011

    Bonjour,

    C’est par mon fils (bidouilleur informaticien, tel qu’il se définit) que j’ai eu connaissance de votre blog et par voie de conséquence de cet article lequel, me disait il, était susceptible de m’intéresser, ce qui s’est avéré être le cas.
    Le dessin satirique de Plantu a beaucoup fait parler – avec d’autant plus de commentaires plus ou moins ironiques vis-à-vis du sieur Mélenchon. Ce dernier n’a, en effet, pas apprécié l’humour du dessinateur et l’a fait savoir haut et fort. Une erreur monumentale, à mon avis, de la part de ce monsieur qui s’est fait une spécialité de la critique offensive.
    Parlant de ce dessin, vous dites : « … un visage rigolard dont le sourire, identique à celui de Marine Le Pen, est apparemment celui du fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen. »
    Un détail (de l’histoire ;-) ) savoureux que je n’avais pas repéré. Pas plus, me semble t-il, que les journalistes (ou prétendus tels) que je n’ai jamais entendu le mentionner.

    Pour revenir aux réflexions que m’ont inspiré certains passages de votre article :

    – « … En revanche il a bien qualifié la presse de ‘métier pourri’. »
    Je pense que Monsieur Mélenchon illustre parfaitement l’homme politique dans toute son hypocrisie. N’est ce pas, justement, pour avoir l’assurance des honneurs de la presse que Monsieur Mélenchon vilipende les journalistes avec autant de véhémence ?

    – « ‘Populisme’ est un mot intéressant, QU’IL EST ÉTRANGE D’EMPLOYER COMME UN GROS MOT en démocratie, puisque le ‘populisme’ consiste à s’appuyer sur le peuple… »
    Je n’y avais jamais songé mais ô combien vous avez raison.

    – « Bien que cela lui profite temporairement, Mélenchon RISQUE de s’enfermer dans un rôle un peu mécanique de pourfendeur médiatique et médiatisé des médias, sans doute bien plus proche du « taisez-vous Elkabbach ! » de Georges Marchais que… »
    Je crois qu’on ne peut même plus parler de risque et que c’est maintenant devenu un truisme.

    – « Il semble cependant, et c’est en quoi le cas me paraît exemplaire, que Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà perdu son duel avec les journalistes, car puisqu’on ne peut pas le montrer comme clown, on le montrera comme bête fauve, et les journalistes joueront à se faire peur en le faisant rugir et montrer les crocs. »
    Je ne peux qu’être d’accord là encore avec votre analyse et conclusion.

  6. By robo32ex on Fév 1, 2011

    la tête en fond, elle me fait plutôt penser à Pierre Poujade, vieux.

  7. By Altshift on Mar 14, 2011

    Il est plus que probable, à propos du métier de journaliste et de leur formation, que Mélanchon sache de quoi il parle et ait lu quelques publications telles que PLPL ( http://www.homme-moderne.org/plpl/l0205/index.html ) ou Le PlanB ( http://www.leplanb.org/ ), proches par ailleurs il me semble de P. Carles que vous évoquez.

    Evidemment, l’arme fatale du parti socialiste a toujours été de faire passer tout ce qui est plus à gauche que lui (et c’est vite fait en cette saison) pour des staliniens, des nazis rouges… etc; même arme fatale, évidemment qu’emploient les journalistes larbins du gouvernement.

    Finalement, il n’est pas tellement surprenant que Plantu qui bosse pour son boss emprunte encore une fois ici les pentes glissantes de la démagogie et de l’assimilation grossières d’un discours de gauche qui ressemble y vraiment (et paraît honnête) à une extrême droite toujours aussi xénophobe et anti-populaire.

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