Aussi vrai que nature
mai 4th, 2008 Posted in Interactivité, VintageJe ne me lasse pas de la collection de vieux Science & Vie de mes parents. Cette fois, il s’agit du numéro 792 (septembre 1983). J’ai un peu écrasé la mise-en-page de l’article pour n’en garder que l’essentiel.
Le jeu commenté, Battle for Normandy, est un wargame qui existait en versions Apple II, Tandy TRS80 et Atari 400/800, et qui était édité par Strategic Simulations Inc., une société très importante de l’époque (Warlords, AD&D) devenue depuis un simple label actuellement laissé en friche par son dernier propriétaire en date, UbiSoft.
Il est intéressant de voir la notion de « vérité » associée à des images qui ne cherchent pas à obtenir une ressemblance optique avec le réel, comme le font les jeux en 3D. Cela peut faire sourire si l’on a en tête des titres assez récents et mettant eux aussi en scène le débarquement allié sur les plages normandes en juin 1944, comme Brothers in arms, Company of heroes, Medal of Honor ou Call of Duty, mais au fond, ça a un sens, car la ressemblance optique n’est pas tout.
La course à l’illusion visuelle en 3D est perdue d’avance. Les effets spéciaux de films comme The Mask, Abyss ou Terminator 2, qu’on disait en leur temps « impossibles à distinguer du réel » sont à présent terriblement datés et ceux de Spiderman et autres blockbusters plus récents connaitront vraisemblablement le même sort, car l’œil du spectateur s’affine au fur et à mesure de l’arrivée des nouvelles images. Les œuvres qui ne souffrent pas de ce vieillissement accéléré sont sans doute celles dont les auteurs n’ont qu’une confiance limitée dans le pouvoir d’illusion de la 3D, et qui s’astreignent à certains grands principes, que je résumerais comme suit :
- Avoir une esthétique qui leur soit propre. Tigres et Dragons et Hulk par Ang Lee, Serenity par Joss Whedon, Starship Troopers par Paul Verhoeven et Minority Report par Steven Spielberg sont autant de blockbusters à mon sens très réussis sur ce point. C’est un art délicat : certains auteurs impriment à leurs images en 3D un style trop fort, c’est pour moi le cas de Pitof (Catwoman, Vidocq, les effets spéciaux des films de Jean-Pierre Jeunet,…).
- Ne pas utiliser les trucs à la mode. Il y a eu l’année du morphing, l’année des déformations, l’année des gens qui se transforment en un tas de billes, l’année du métal fondu, l’année des incrustations dans des images d’archives, l’année des liquides vivants, l’année des cailloux, etc. Chacune de ces nouveautés, qui correspondait à l’arrivée d’un nouveau logiciel, est apparue avec une simultanéité embarrassante dans divers films, films publicitaires, clips,…
- Créer ses propres outils, afin que ses images ne ressemblent à celles d’aucun autre, c’est le cas par exemple de Michel Gondry, chez qui on peine à deviner ce qui est fabriqué en carton et ce qui est réalisé informatiquement.
- Avoir un vrai scénario, c’est à dire une trame, un sujet, des personnages bien construits, etc. Je suis conscient que ce « etc. » est un peu léger, je renvoie le lecteur aux centaines de milliers de pages publiées sur le sujet et notamment au très populaire livre Écrire un scénario, par Michel Chion et, dans un genre bien différent, au Story de Robert McKee.
- Appliquer tout ces principes à la fois, comme le fait John Lassetter au sein de Pixar depuis ses films Luxo Jr. (1986) et Tin Man (1988).
Avec les jeux vidéo et autres œuvres « immersives », on peut ajouter les critères d’ergonomie et de qualité fonctionnelle – c’est à dire de jouabilité. Et justement une belle image 3D injouable est à certains égards moins « vraie » qu’une image rudimentaire mais bien pensée en 2D.
Il y a une forme de représentation visuelle que je ne trouve jamais kitsch et qui constitue un compromis entre la vision optique (perspective conique) et la carte. Ce sont les perspectives axonométriques/isométriques et leur cousine la perspective cavalière, mises au point par des ingénieurs (notamment militaires, c’est d’ailleurs de là que vient le « cavalier » de la perspective cavalière) en réponse à leurs besoins propres. C’est peut-être justement parce qu’elles correspondent à un impératif conceptuel que les cartes et les perspectives axonométriques vieillissent moins (y compris visuellement) que les images qui cherchent à nous bluffer visuellement.
3 Responses to “Aussi vrai que nature”
By Wood on Mai 4, 2008
Voilà, bien dit. C’est pour ces raisons que les films de Ray Harryhausen, comme « Le septième voyage de Simbad » ou « Jason est les Argonautes » vieillissent aussi bien.
By Jean-no on Mai 4, 2008
J’y pensais tiens. Je me suis toujours demandé comment ils ont été vus à leur époque.
By Stéphane Deschamps on Mai 5, 2008
Bin en tout cas quand j’étais môme ça filait quand même bien les miquettes, les squelettes de Jason.
J’imagine qu’à l’époque ç’a été un choc du même ordre.
Je viens de voir Ratatouille, j’en étais ému tellement c’est bien fait. On en recause dans vingt ans :)