Arts numériques
septembre 26th, 2008 Posted in Interactivité, LectureUn livre copieux et abondamment illustré consacré aux arts numériques en France, c’était une bonne idée. Je ne pense cependant pas que ce livre-là puisse se vanter d’épuiser la question.
Premier détail rédhibitoire, l’oubli de l’accent sur « numériques », faute que je trouve franchement étrange de la part d’un graphiste aguerri comme l’est le directeur artistique du livre — je tairai son nom par charité. Bizarrement les titres intérieurs du livre retrouvent leurs accents… Cela sent donc un peu le « vite fait mal fait ».
De nombreuses coquilles et noms écorchés (Michel Lancelot pour Michel Ocelot par exemple) appuient cette impression.
Second point gênant, le prix : trente euros (deux-cent francs, rappelez-vous) pour 300 pages sur papier magazine au format 16×22, ça me semble cher. Mais peut-être suis-je juste pingre.
Parmi les auteurs, il y a quelques noms bien connus, comme ceux d’Annick Bureaud, Anne-Marie Morice, Nathalie Magnan, Fred Forest,… J’avoue que je ne connais pas très bien les coordinateurs de l’ouvrage qui appartiennent à Musique et cultures digitales, association qui édite un guide annuel consacré aux festivals numériques et une revue (MCD) centrée sur les mêmes sujets. Cette filiation se ressent fortement dans l’ouvrage qui donne la part belle aux festivals. Un texte très intéressant, signé Marika Dermineur, pose une assez grave question : et si cette manie du festival était nocive aux arts numériques ? La question se pose car un festival, ce n’est pas une exposition (M. Dermineur cite en exemple Les immatériaux, 1985 et La IIIe biennale de Lyon, 1995), ce n’est pas une « date », il n’y a pas un travail critique profond. Le festival, comme son nom l’indique, c’est la fête, saisonnière et circonscrite à une durée très limitée . C’est un cadre intéressant, notamment par sa capacité à drainer un public peu sensibilisé à l’art contemporain, mais un festival est presque mécaniquement contraint au sensationnalisme et ce que l’on y voit est souvent condamné à l’oubli à court terme. L’ouvrage recense donc de nombreux festivals, mais ne contient aucune perspective historique digne de ce nom. Le titre Arts numériques est légèrement abusif à mon sens, je ne vois pas comment on peut faire l’impasse sur une chronologie des nouveaux médias dans l’art. Les courts essais de divers auteurs qui se trouvent au début du livre sous l’inquiétant titre « tendances » contiennent des éléments historiques et citent de grands noms mais il manque une synthèse structurée. La bibliographie ne contient pas trente livres et se rend coupable de quelques oublis embarrassants — Frank Popper et Abraham Moles, pour commencer — et mentionne des livres qui ne sont que faussement liés au contenu de l’ouvrage, comme Code de création, par John Maeda. La liste des cent artistes sélectionnés est elle aussi curieuse. On trouve côte-à-côte de jeunes artistes très prometteurs (comme l’excellente Éléonore Saintagnan), des artistes historiques ou des artistes à la mode. Ce genre de sélection subjective est toujours difficile à établir. Mais il y a de terribles manques. Jean-Louis Boissier, le collectif Ultralab™, Étienne Cliquet, Michel Gondry, Douglas Edric Stanley, Paul Devautour, Matthieu Laurette ou encore Antoine Moreau, auraient tous mérité d’être mentionnés, par exemple. J’ajouterais même la pionnière Vera Molnár, qui produit sans discontinuer des œuvres numériques depuis une quarantaine d’années.
Je me pose quelques questions sur la rédaction des notices biographiques. En lisant celle qui est consacrée à Claude Closky, j’ai tout de suite reconnu sa biographie sur l’encyclopédie contributive Wikipédia, qui n’est d’ailleurs pas créditée1 . J’ai voulu vérifier si d’autres articles de Wikipédia avaient été utilisés, mais il semble que ce soit un cas isolé. Beaucoup de notices ont visiblement été rédigées par les artistes eux-mêmes et il y a même souvent leur adresse e-mail en dessous2 .
Tout cela ressemble furieusement à un de ces annuaires professionnels que l’on voit dans les rayons cinéma, architecture ou arts graphiques des librairies : lieux, institutions, bonnes adresses, personnalités notables du moment, il ne manque que les bonnes tables. Une seule œuvre est décrite (Ex-îles, d’Electronic Shadow, qui apparaît sur la couverture), les autres sont justes présentes sous la forme de photographies souvent flatteuses mais pas toujours parlantes.
Je suis un peu méchant, mais voilà, je suis assez déçu par ce livre qui aborde son sujet d’une manière qui me semble superficielle. Le panorama des festivals et des lieux, notamment en province, reste intéressant.
Apparemment, le livre devrait trouver son prolongement sur le site de la « communauté des arts digitaux », www.digitalarts21.com.
22 Responses to “Arts numériques”
By Wood on Sep 26, 2008
Premier détail rédhibitoire, l’oubli de l’accent sur “numériques”
Mais… On ne met pas d’accents en capitales ?
By Nathalie on Sep 26, 2008
Les secrétaires ne mettent pas d’accent sur les capitales parce qu’avant, du temps des machines à écrire, on ne pouvait pas : ça n’en fait pas pour autant une règle typographique.
By Jean-no on Sep 26, 2008
Ah mais si, si, au contraire, on accentue les capitales. Et d’ailleurs le graphiste du livre le sait bien puisqu’il accentue ses autres titres en capitales.
Certains mots sont illisibles sans accents (été) et rendent la lecture pénible et laborieuse, d’autres produisent des contre-sens fâcheux : interne/interné, juge/jugé, tue/tué, sinistre/sinistré, suicide/suicidé (L’INTERNE TUE SAUVAGEMENT)…
By Jean-no on Sep 26, 2008
Tiens, un extrait du Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale qui est la référence dans le domaine :
En français, l’accent a pleine valeur orthographique. Son absence ralentit la lecture et fait hésiter sur la prononciation, sur le sens même de nombreux mots. Aussi convient-il de s’opposer à la tendance qui, sous prétexte de modernisme, en fait par économie de composition, prône la suppression des accents sur les majuscules. On veillera à utiliser systématiquement les capitales accentuées, y compris la préposition À.
By Wood on Sep 26, 2008
Ah, au temps pour moi.
Je trouvais que ces contre-sens avaient un certain charme, justement. Je ne me suis jamais posé la question de l’utilité d’une règle, en matière de langage.
Par ailleurs, je ne sais pas comment faire une majuscule accentuée avec mon clavier. (probablement ALT + quelque chose, ou alors un copier-coller depuis la table de caractères)
By Jean-no on Sep 26, 2008
Sous Windows ce n’est pas toujours facile. Il y a néanmoins un outil nommé « table de caractères » dans « accessoires -> outils système » qui te permet de connaître les codes de chaque caractère… Par exemple « É » c’est Alt +0201. Très pénible à saisir effectivement.
Les règles en typographie ne sont pas des conventions montées de toutes pièces par l’académie française, elles obéissent juste à un impératif très rationnel qui est la lisibilité. Un bon livre sur le sujet est le « Manuel de typographie française élémentaire » d’Yves Perrousseaux aux éditions Atelier Perrousseaux. On le trouve partout pour une quinzaine d’euros. Il y a quelques cours intéressants sur le web aussi.
By sf on Sep 26, 2008
Il est possible de ne pas accentuer une capitale si le résultat obtenu avec accent, dans le cadre d’un composition particulière comme une couv par exemple, est jugé pas-très-heureux.
C’est l’œil du graphiste qui décide.
Toutefois, dans ce cas précis, il est possible que l’accent n’ait pas été inclus dans le jeu de polices choisi pour le titre. Est-ce la même typo utilisée pour les titrages intérieurs ?
By Jean-no on Sep 26, 2008
Oui c’est la même police qui est utilisée pour les titrages intérieurs.
By sf on Sep 26, 2008
Elle me fait penser à la série « Numb3rs ».
By Jean-no on Sep 26, 2008
Je pense que la typo est la Tarzana, par Zuzana Licko, chez Emigre.
By Alex' on Oct 5, 2008
@Wood: Au temps ? Autant ? OTAN ?
@Jean-no: le E type epsilon de cette typo existe aussi avec un accent ? Je demande ça parce que ça a l’air d’une typo anglo-saxonne – le genre qui n’inclue pas forcément de lettres accentuées (et pour cause).
By Jean-no on Oct 9, 2008
Encore un commentaire qui s’était retrouvé dans les spams, Alex’, désolé. C’est peut-être à cause de tes urls écrites comme ceci : [url=]… Cette forme ne vaut pas pour WordPress en tout cas.
La Tarzana contient bien des accents. Généralement les typos Emigre sont extrêmement soignées.
By Alex' on Oct 9, 2008
C’est probable !
Il faudra que je songe à mettre les bonnes balises.
Et merci pour la réponse.
By Philou on Nov 7, 2008
« autant pour moi », et en emporte le vent.
mach’s kurz,
am Jünsten Tag ist es nur ein Furz.
Si les bonnes habitudes de parler seulement des copains perdure dans tous les mondes, les oublis de personnalités ne sont pas si étonnantes, de la part des « noms bien connus » cités, qui ne se fréquentent qu’entre eux.
By Yann Le Guennec on Mai 17, 2009
Antoine Moreau est certainement parmi les artistes français contemporains qui ont le mieux compris la nature de l’Internet et mis en oeuvres ses caractéristiques. Ceci étant dit, la notion même d' »arts numériques » pose problème. Pourquoi faire du numérique un terme fondateur d’une pratique? Il y a dans la peinture de François Morellet par exemple des concepts bien plus « numériques » (ici algorithmiques) que dans bien d’autres pratiques nommées ainsi. Je préfère la notion d’arts plastiques, qui me semble plus ouverte et peut parfaitement intégrer des technologies numériques, sans s’y restreindre à priori. S’il y a historiquement une distinction entre les domaines de l' »art contemporain » et de l' »art numérique », doit-on la renforcer où favoriser sa disparition?
By Jean-no on Mai 17, 2009
Le terme « arts numériques » est un peu réducteur mais faute de mieux, je pense qu’on peut se comprendre en l’utilisant. Par contre je ne crois pas que les arts numériques soient extérieurs à l’art contemporain – pas plus que d’autres médiums en tout cas – on peut sans doute dire que c’est une sous-culture de l’art contemporain (avec des pratiques, des lieux, des évènements, des personnes identifiées au genre), comme la vidéo, la photo, la performance ou le land-art.
By Yann Le Guennec on Mai 17, 2009
+ j’aimerais bien trouver en ligne le texte M.Dermineur. Je vois tout d’un coup les festivals évoqués comme une tentative de relocalisation dans le temps et l’espace de pratiques artistiques qui ont justement débordé ces contraintes de médiation.
By Jean-no on Mai 17, 2009
Je ne sais pas si elle l’a mis en ligne quelque part. Le site créé par l’éditeur est un peu bordélique, je ne m’y retrouve pas tellement http://www.digitalarti.com
By Yann Le Guennec on Mai 17, 2009
(j’ai fait une faute d’accord avec le complément d’objet direct dans mon commentaire précédent, il faut enlever ‘es’ à ‘débordées’) … je continue à réfléchir là dessus : art contemporain / art numérique, et je suis ok sur le fait que http://www.digitalarti.com est actuellement un vrai souk sur le plan ergonomique.
By laurent on Déc 3, 2009
Bonjour,
A propos de Digitalarti, n’hésitez pas à nous envoyer vos suggestions pour améliorer l’ergonomie ;-)
Vous pouvez m’envoyer un mail à laurent@digitalarti.com
Laurent.
By Jean-no on Déc 3, 2009
Quand je vais dessus, ça me dit « site offline – Digitalarti is currently under maintenance. We should be back shortly. Thank you for your patience ».
By laurent on Déc 10, 2009
On faisait une mise à jour, désolé ;-)
Le site est de nouveau en ligne, et nous sommes à l’écoute pour vos commentaires éventuels.
Laurent