Profitez-en, après celui là c'est fini

Ce qu’il reste

septembre 20th, 2008 Posted in Mémoire, Parti, Personnel

Ce matin, j’ai assisté à la crémation du père d’un ami, quelqu’un à qui je dois mes premières escapades au festival d’Angoulême, et à qui je dois une éphémère carrière de graphiste (un autocollant pour une société de fabrications de piscines), ma première commande de fresque et enfin, ma première vente d’un tableau. Il a aidé beaucoup de gens d’ailleurs, notamment des artistes.
Il s’appelait Bernard Desjardin.
Il était assez jeune – soixante-cinq ans -, il est mort de manière assez foudroyante, le moment était donc triste.
J’ai vu, avant et après la cérémonie, un grand nombre de gens pour la plupart un peu perdus de vue et qui avaient tous, comme moi, le point commun d’avoir connu le défunt : famille, amis, employés. Comme toujours dans ce genre d’occasion, chacun a été amené à raconter sa vie aux autres : où l’on habite, combien d’enfants on a, quel métier on fait, comment on se porte. En rentrant chez moi, seul avec mes pensées, j’ai eu le sentiment, l’hallucination passagère d’avoir raconté toutes ces choses non pas aux gens présents, mais bien à Bernard, l’homme dont je venais de voir le cercueil emporté sur le monte-charge mécanique du crématorium. Je me suis remémoré ses traits (bien plus vivants subitement qu’ils ne l’étaient lors de la diffusion d’un diaporama deux heures plus tôt) et sa voix, ses expressions, ce qu’il aurait pu dire d’amusant ou d’un peu sarcastique, à la façon que je lui connaissais de dire les choses.

Chacun d’entre nous existe par son réseau social. Par les amis qu’il se fait, par la famille dont il est issu et par la famille qu’il se construit, par ses connaissances. Et ce qu’il reste d’une personne, outre ses œuvres, ses biens, les conséquences de ses actions et les souvenirs que l’on a de lui, c’est ce réseau social. Voir une seule des personnes présentes n’aurait pas pu me rappeler grand chose du défunt, mais les voir tous me l’a assez brutalement fait revenir, comme le fait d’assembler tout un puzzle à l’exception de sa pièce centrale peut nous dire assez exactement à quoi ressemble cette pièce centrale. Mieux, ce souvenir devenait celui d’un homme vivant que je pouvais m’attendre à voir surgir à son propre repas de funérailles, comme Tom Sawyer, et avec qui j’aurais pu finir la dernière conversation entamée il y a plus d’un an dont je ne me rappelle rien sinon qu’elle avait été interrompue, chacun devant aller de son côté, pressé par dieu sait quoi de pressant.

Pour la plupart des lecteurs du présent billet, cette histoire relève de l’anecdote, mais je tenais à la raconter tout de même car elle a un sens, ainsi que je l’ai affirmé péremptoirement plus haut, qui est que nous existons (pour nous-mêmes et pour les autres) par les autres. Il peut bien sûr exister mille témoignages de nous (photos, enregistrements, œuvres), mais le seul qui soit vivant, ce sont les vivants. En leur parlant, on s’adresse à celui qui nous liait à eux.
Généralement, je me défile pour les enterrements, mais je m’en rends compte, j’ai tort.

  1. 7 Responses to “Ce qu’il reste”

  2. By Erik Ferran on Sep 20, 2008

    Je crois bien que je me souviendrai longtemps qu’assister à un enterrement, c’est « assembler tout un puzzle à l’exception de sa pièce centrale » pour « nous dire assez exactement à quoi ressemble cette pièce centrale ».
    Pour ça, et pour tout le reste du blog qui me passionne, merci beaucoup.

    Bonne continuation.

  3. By Stéphane Deschamps on Sep 23, 2008

    Le seul truc qui m’emmerde vraiment dans les enterrements (pardon my french) c’est quand un curé nous dit « tout le monde l’aimait ». Merde, tout le monde c’est juste le quarteron de famille et d’amis. « Tout le monde », généralement, ne connaît pas le défunt et n’en a rien à faire.

    Je déteste quand les curés disent ça. Et il n’y a qu’eux pour le dire.

    Pour le reste, tu as raison de ne plus te défiler. D’abord parce que nous aussi on vieillit, et que d’une certaine manière les morts sont de plus en plus proches de nous (affectivement et généalogiquement). Ensuite parce que c’est souvent l’occasion de raccrocher quelques wagons avec la famille.

  4. By Jean-no on Sep 23, 2008

    Là, il n’y avait pas de curé. Ce qui d’ailleurs énervait un ami peintre qui m’a dit « tout de même, les curés, ce sont des professionnels de la mort ». Ce qui m’a rappelé l’enterrement de ma grand-mère, fan inconditionnelle de Voltaire, qui avait tenu à ce que son cousin curé défroqué lise sa lettre d’adieu (écrite dix ans plus tôt à mon avis) devant sa tombe.
    Là, il n’y avait pas de cérémonie religieuse et finalement seuls les enfants du défunt ont parlé – et passé des musiques qui leur rappelaient des souvenirs.

  5. By Clovis on Nov 29, 2008

    URGENCE
    Veuillez dire à Bernard DUJARDIN de vite régler la situation de Monsieur LOKONON Avocès du BENIN, le chef des sorciers noirs avant qu’il ne soit trop tard.
    il maitrise le dossier.
    v’est de la part de Clovis

  6. By Jean-no on Nov 30, 2008

    Vous vous trompez manifestement de personne, le Bernard des (et non du) jardin que j’ai connu est décédé, mais c’est amusant, je parie qu’il aurait bien ri en lisant ce post avec des manaces de sorciers, alors je le publie.

  7. By Shaz on Sep 7, 2009

    Vous les connaissez sans doute mais je vous recommande les articles consacrés aux liens entre les personnes sur le blog de Gregory Chatonsky (semble en panne aujourd’hui).

  8. By Benoît on Août 8, 2013

    >> nous existons (pour nous-mêmes et pour les autres) par les autres.

    « Je dis, moi, Albert Jacquard, ‘je’. D’où ça me vient ? Ça ne me vient pas de mes gènes. Mes gènes ne m’ont pas appris à dire ‘je’.
    Qui m’a appris à dire ‘Je’ ? Les autres. Et je résume ça par une phrase clé : « Si je dis ‘je’, c’est que l’on m’a dit tu ».
    Albert Jacquard, décembre 1995 à Beaubourg

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