Images en vrac (2)
novembre 8th, 2010 Posted in Surveillance art, VracQuelques images trouvées à droite et à gauche, que je commente dans le pire désordre.
Sur Google Street View, les visages ou les plaques minéralogiques sont généralement floutées, mais ici c’est (sur demande de son propriétaire), une maison entière qui a subi ce traitement :
Si on regarde attentivement les émissions tournées dans des lieux publics, on s’aperçoit que, pour prévenir tout problème de droit à l’image et toute accusation de publicité déguisée, les réalisateurs ont tendance à appliquer des flous sur les visages, les noms de rue, les numéros, ou les publicités. Sur les photogrammes qui suivent, une peintre de rue et un accordéoniste voient leurs figures escamotés à l’image de cette manière.
Il a existé plusieurs procédés de masquage plus ou moins discrets en vidéo (pastilles, bandeaux, pixellisation), mais deux méthode semblent s’imposer à présent : le flou et l’inversion des images. L’inversion des images rend illisible les plaques, les enseignes, les affiches. L’effet est souvent discret mais désorientant, car certains lieux ou objets familiers deviennent subitement étrangers, comme (ci-dessous) la rue de la Paix ou l’étiquette d’un produit.
Ces effets sont tellement faciles à appliquer numériquement que les chaînes y ont recours quasi-systématiquement et construisent peu à peu un monde visuel qui, sans que nous en ayons toujours conscience, trouble nos repères spatiaux et notre capacité à reconnaître des objets ou des visages. Comme dans les rêves, peut-être, dont certains détails nous semblent à portée de mains tout en étant impossibles à identifier ou à fixer.
Avec les marques, l’identification peut se faire malgré les techniques de dissimulation, comme par exemple avec les rayonnages de soda aperçus dans l’émission On a échangé nos mamans.
On remarque au passage dans cette émission que l’adresse du site de la campagne sanitaire « manger-bouger » ne s’affiche pas devant les produits de consommation « trop gras, trop salés, trop sucrés », mais dans une séquence où une « maman » montre à une jeune fille comment on épluche et comment on cuisine des légumes frais.
À propos de marques, le créateur de jouets Lansay importe en France un concept qui a déjà fait fureur en Grande-Bretagne, le Jeu du Logo et des marques, un jeu de société, qu’on est même en droit d’appeler « jeu de société de consommation ». Les publicités destinées au jeune public à l’heure des émissions de dessins animés vantent ce jeu « éducatif ».
Très Idiocracy, on peut tout à fait imaginer que dans nos sociétés, l’identification des marques supplée un jour définitivement à la lecture.
Toujours à propos de logos, voici un carton qui a été distribué dans toutes les boites-au-lettres de ma ville :
Édité par une société domiciliée dans les Yvelines, cette carte n’a (comme l’indique une ligne illisible sans loupe) aucun rapport avec des services administratifs officiels. C’est un bon exemple de « cuckoo design », d’imposture entretenue par une parenté graphique : profitant de l’identification immédiate du logo du conseil général du département et mélangeant ses numéros de téléphone à ceux de services publics (pompiers, police), une société privée se fait passer pour ce qu’elle n’est pas et profite à coup sûr de la confiance qu’inspirent les institutions territoriales.
Dans un registre radicalement différent, je découvre la championne du monde d’échecs, Alexandra Kosteniuk. Son site contient des milliers de photographies. Sur certaines couvertures de magazine, le grand maître est doté des attributs de l’intelligence et de la concentration : expression sévère, vêtements sobres, cheveux tirés en arrière, lunettes et, plus généralement, attitudes qui évoquent la réflexion.
D’autres supports de presse s’intéressent à cette jeune femme pour son physique particulièrement avenant : plus mannequin de mode ou rock star que « mastermind », elle se prête volontiers au jeu et prend des poses :
Mais ce qui m’étonne le plus, ce sont les clichés que réalise son photographe habituel — que je suppose être son mari et manager. Ici, l’image n’est plus du tout maîtrisée et semble parfois même extrêmement malhabile, comme avec les portraits présentés ci-dessous, notamment celui où la championne du monde pose en maillot de bain sur une plage de Miami, les fesses maculées de boue et un pamplemousse à la main. Nous sommes clairement dans le registre de la photo de vacances.
Les différentes images que renvoie cette championne montrent sans doute que l’iconographie des femmes dans le monde du jeu d’échecs n’est pas fixée. Est-ce que cela signifie que l’image de la beauté et de la jeunesse d’une femme ne colle pas, visuellement parlant, avec celles de l’intelligence et de la stratégie qu’évoque le jeu d’échecs ? Qu’il faut des lunettes et les cheveux tirés en arrière pour être crédible dans le rôle ? Est-ce que c’est une dichotomie iconique spécifique à la culture russe (toujours plus exotique qu’on ne l’aurait cru) ? Je n’en ai aucune idée mais il me semble que ça pose des questions.
Pour finir, sans rapport, les photos incroyables du japonais Kohei Yoshiyuki, qui a découvert au début des années 1970 l’existence de couples exhibitionnistes et de voyeurs dans un jardin public de Tokyo. Intrigué, il s’est mêlé à eux pendant des semaines et a pu les photographier à leur insu à l’aide de pellicules infra-rouge et d’un discret éclairage portatif adapté.
Ces images sont plutôt chastes et rappellent le documentaire naturaliste, on s’attendrait presque à entendre la voix de Sir David Attenborough décrivant avec détachement les comportements de chacun. Ce qui distingue ces photographies des films animaliers de la BBC, c’est que nous nous situons, en en étant spectateurs à notre tour, à la même place que les curieux des parcs tokyoïtes. Ces images de surveillance documentent donc aussi notre propre propension au voyeurisme.
15 Responses to “Images en vrac (2)”
By Christophe D. on Nov 8, 2010
Je trouve assez bizarre ces demandes de floutages de maisons dans Google StreetView Allemand. Que des centaines d’autos et de piétons passent chaque jour devant ces maisons ne pose à priori pas de problème à leur propriétaire — sauf pour ceux qui ont effectivement construit un mur permettant de se cacher de la rue ‘pour de vrai’. Mais attention, si 3 visiteurs par an aperçoivent leur demeure sur StreetView, c’est la psychose. Mis à part pour le plaisir d’embêter un géant américain du net, je ne comprends pas le raisonnement.
Rien que le fait de flouter les visages me laisse dubitatif… Lorsqu’on se promène dans la rue, porte t-on un masque ?
By Christophe D. on Nov 8, 2010
Heu sinon, ne pas y voir de cause à effet avec mon précédent commentaire mais j’ai trouvé très amusantes les photos de Kohei Yoshiyuki ;-)
By Thierry on Nov 8, 2010
« Les différentes images que renvoie cette championne montrent sans doute que l’iconographie des femmes dans le monde du jeu d’échecs n’est pas fixée. »
Cette joueuse d’échec n’est-elle pas simplement un peu en avance sur l’évolution de l’iconographie officielle? On dénonce beaucoup les images mises sur les réseaux sociaux à l’adolescence et qui vont vous suivre toute votre vie. Mais est-ce que à terme, ça ne va pas plutôt entraîner une modification des critères de l’iconographie officielle? D’ici quelques années ne sera-t-il pas normal, sinon nécessaire, d’avoir des photographies genre photos de vacance, montrant nos ministres dans leur prime jeunesse biturés où les fesses à l’air ?
By Fred Boot on Nov 8, 2010
Joueuse d’echec aux fesses maculees de boue, jeu des logos, maisons floues et photos de voyeurs nippons… Eh be, quand tu fais un article compilatoire ca en jette ! :)
By Jean-no on Nov 8, 2010
@Christophe : c’est étonnant à quel point les gens sont devenus chatouilleux avec leur image et celle de leurs biens. Pour la maison floue, je suppose que les gens ne veulent pas qu’on prépare le cambriolage de leur maison par satellite ? Je ne sais pas.
@Thierry : je ne sais pas. Sur FaceBook justement les gens apprennent vite à maîtriser leur image, finalement.
@Fred : n’est-ce pas !
By Thierry on Nov 8, 2010
@Jean-No Alors peut-être pas la biture et les fesses, mais en tout cas le coté amateur qui donne l’impression de proximité. Sur ces images, la joueuse d’échec, c’est ma copine. Je pense que l’on demandera bientôt aux pros de faire des façons façon amateur sous l’influence de l’esthétisme des réseaux sociaux, un peu comme les paparezzi qui sur des photos officielles, mises en scène par la com de la personne photographiée, vont mettre du bruit numérique et du flou de bougé pour donner l’impression de photos volées.
By Jean-no on Nov 8, 2010
@Thierry : je ne pense pas que ce soit le cas ici (la masse d’images est trop incohérente pour que ce soit voulu) mais l’évolution que tu décris est tout à fait crédible.
By Pashupati on Nov 8, 2010
Les expressions de la championne d’échec sur le première série de photos ne me semblent pas sévères.
By delfine on Nov 8, 2010
@ Thierry : euh, pardon, je vois pas l’avangardisme iconographique dans ces images…
des femmes à poils pour vanter n’importe quel produit, c’est … comment dire … déjà vu?
soyons sérieux, la boue sur les fesses, on n’est pas près de la voir ailleurs que sur les fesses des filles. Je pense plutôt qu’elle a fait ces photos parce qu’une fille « juste » intelligente, c’est pas très glamour. Peut-être que c’est un peu flippant pour ses collègues masculins. Elle pourrait prendre leur place au Panthéon des grosses têtes. Faut aussi qu’elle prouve qu’elle est une bombe sexuelle, histoire de remettre les choses en place.
sérieux, on demande pas à Kasparov de poser en maillot de bain… Ses neurones suffisent à sa crédibilité.
By Thierry on Nov 8, 2010
@ delfine « soyons sérieux, la boue sur les fesses, on n’est pas près de la voir ailleurs que sur les fesses des filles. »
Mon enthousiasme :-) m’a sans doute entraîné un peu loin comme me l’a fait remarquer Jean-no. Mais ce qui est frappant dans les 3 dernières images, c’est que l’on est loin des registres de la com habituelle et que même avec le sable sur les fesses, ce n’est pas non plus le calendrier Pirelli.
L’appellation « photo de vacance » me semble tout à fait justifiée et me semble susceptible de devenir un genre en soi qui deviendra incontournable dans quelques années dans les stratégies de com pour créer une proximité entre la personne publique et son public.
By Jean-no on Nov 8, 2010
@Pashupati : tout dépend de ta définition du mot « sévère ». Voilà les synonymes que propose le Wiktionnaire : rigide, sans indulgence, austère, qui ne se relâche pas, simple, dépouillé, sans superflu, sans recherche d’élégance.
@Delfine : tout en comprenant très bien ce que tu dis, je dois admettre que je préfère la championne en maillot de bain à Kasparov en maillot de bain. Cela crée un conflit moral et politique en moi mais bon voilà c’est comme ça.
By Xavier on Nov 8, 2010
Cette masse de photos est étonnante, entre la photo de charme, les photos de vacances de Monsieur Tout le monde sur n’importe quel hébergeur et la promotion de CD de photos à vendre !
On croirait quasiment avoir à faire à un fake, c’est-à-dire une personne inventée avec un site accréditant son existence fictive par la multiplicité des prises de vues, des poses, des lieux, etc.
Au sujet d’Alexandra Kosteniuk, elle a écrit un article sur sa relation à Internet. Ce qui va dans le sens de certains des commentaires : elle fait sa promotion.
By david t on Nov 9, 2010
la maison floutée, c’est pour qu’on la remarque, évidemment.
By uthagey on Nov 9, 2010
Etonnante, cette absence de réactions quant aux photos de Kohei Yoshiyuki , sinon celle de Christophe D. qui les qualifie d’amusantes..
Sans le dire, le sens de votre billet va vers le constat que les gens revendiquent un droit à l’image (sous la forme d’un droit à l’anonymat et à la …disparition de l’espace public), et que dans le même temps ils sont prêts à se donner en spectacle dans les jardins de tokyo ou de quelque autre grande ville, comme sur Internet.
Evidemment, ce ne sont pas forcément les mêmes « gens » qui font l’un et l’autre.
l’inversion se fait au niveau de la conscience d’être filmé et/ou vu ou de la potentialité à pouvoir être vu et même être filmé/photographié à cette occasion.
les grands médias (Google), la Télévision ou tout autre support ouvert « à tous » rend possible d’être surpris dans son quotidien sans qu’on l’ai souhaité, désiré, accepté. Alors, la tendance semble être de protéger de cette intrusion même quand la possibilité d’être reconnu est quasi nulle et en tout cas bien moindre que les chances que l’on a d’être vu (déjà peu nombreuses en rapport qux nombres d’internautes dans le monde. Inversion d’images et floutages (de Gu… allais-je dire)vont de pair avec cette culture du procès qui s’est peu à peu installée.
Dans le même temps, donc, une autre culture, exhibisionniste, s’installe (ou se renouvelle).
Blogs, sites spécialisés ou jardins publics deviennent ainsi des scènes où chacun peut « prendre le risque » (notion importante ici que cette notion de risque à …) d’être vu et même reconnu lors d’ébats sexuels toujours considérés comme éminemment privés (ou serait la transgression, l’interdit, sinon ?)
Mais peut-être aussi que, dans ce dernier cas, la possibilité de l’être effectivement (reconnu) est bien plus grande.
Hypothèse : ceux qui pratiquent et ceux qui regardent forment une même communauté, qu’ils soient actifs ou passifs. La fréquence des connexions, des rencontres (physiques ou visuelles) possibles entre les deux groupes augmentent d’autant plus que cette communauté est plus circonscrite et ce que montre l’un est ce l’autre veut voir, en allant le chercher (sur le lieu même, ou derrière son écran).
En somme on semble rechercher la discrétion quand menace bigbrother, et on est prêt à s’exhiber si l’on sait que le potientiel regardeur ne sera pas un prédateur.
Voilà, je ne suis pas sur d’être très clair. Mais enfin…
By Jérôme on Nov 12, 2010
C’est donc pour cela que les images sont inversées, c’est étrange car lorsque l’on conçoit une image on le fait pour qu’elle soit lue dans un sens précis, dans l’autre tout peut tomber à plat.