Profitez-en, après celui là c'est fini

La bande dessinée à la Biennale du Havre

novembre 7th, 2010 Posted in Bande dessinée

Jean-Marc Thévenet connaît bien la bande dessinée : ancien directeur du festival d’Angoulême, ancien rédacteur en chef du journal Pilote, scénariste, essayiste, créateur de la mythique « collection X » (intense laboratoire de création narrato-graphique du début des années 1980) chez Futuropolis,… la liste de ses états de service dans le domaine est longue comme le bras. À présent directeur de la biennale d’art contemporain au Havre, il a choisi de placer la troisième édition de cette manifestation sous l’intitulé « Bande dessinée et art contemporain, la nouvelle scène de l’égalité ».

La biennale est éclatée entre plusieurs lieux du Havre. Puisque je n’avais qu’une heure pour la visiter, je n’ai vu que l’exposition située au musée maritime.
J’ai apparemment raté des choses très intéressantes sur les autres sites.

Depuis la mémorable exposition Bande dessinée et figuration narrative, qui s’est tenue au musée des arts décoratifs en 1967, on entend régulièrement que « La bande dessinée entre au musée » ou que « la bande dessinée fraie avec l’art contemporain ». Pour une fois, c’est vrai, l’hybridation n’est pas artificielle, on n’a pas l’impression d’assister aux noces de la carpe et du lapin. Enfin pas tout à fait.

L’exposition ne se contente pas de présenter des pop-artists qui s’inspirent avec condescendance de la bande dessinée, ni d’exposer des planches originales ou des agrandissements de cases de Pratt ou d’Herriman, non, nous sommes placés ici devant une création de caractère hybride et qui ne paraît souffrir d’aucun complexe.
Car il n’est pas question ici de déguiser la bande dessinée en art contemporain mais juste de montrer la production d’auteurs de bande dessinée pour qui le livre n’est qu’un des supports possibles (Winshluss, Ruppert et Mulot, Atrabile, Ilan Manouach, Olivier Bramanti, Brecht Evens,…) ou d’artistes contemporains tout à fait ouverts à la bande dessinée, comme Wim Delvoye, Raymond Petitbon, Franck Scurti ou Jean-Michel Alberola.

Cette exposition est sans doute moins un manifeste que le bilan d’étape d’un processus démarré depuis bien longtemps et où l’on peut inclure diverses manifestations passées (MoMa, Maison rouge, Bibliothèque nationale,…) et pour lequel on peut citer des auteurs tels que Philippe Druillet, Enki Bilal, François Schuiten/ Benoît Peeters et Marc-Antoine Mathieu (autant pour son travail sur l’objet-livre que pour ses remarquables scénographies d’expositions liées à la bande dessinée au sein de l’agence Lucie Lom), Jochen Gerner (présent à la biennale), Benoît Jacques, Thomas Ott ou encore les membres de l’Oubapo. C’est aussi l’aboutissement de plusieurs décennies d’expositions réalisées dans le cadre du festival d’Angoulême notamment, et de vingt ans de bande dessinée « indépendante », avec des micro-éditeurs qui ont souvent cherché à donner une pertinence au principe de l’exposition, je pense particulièrement (dans le champ francophone) à l’Association, Fremok, Atrabile, le dernier cri, Six pieds sous terre, la cinquième couche ou encore Café Creed.

Mais l’égalité que proclame le titre de la biennale existe-t-elle vraiment sans arrières-pensées ? La bande dessinée pose un pied dans le « white cube », c’est vrai, et nombre de ses auteurs ne semblent plus se sentir concernés par les frontières du genre/médium. Bien souvent, ces auteurs ont fréquenté les mêmes écoles d’art que les autres artistes et ne sont manifestement plus intimidés par l’art contemporain, contrairement aux visiteurs des expositions qui ne se sentent pas toujours bienvenus dans les galeries ou les centres d’art : la réputation sympathique et sans façons de la bande dessinée devient subitement un énorme avantage vis-à-vis du public non-averti. Dans le rapport entre art contemporain et bande dessinée, les problèmes ne font peut-être que commencer.

Lire ailleurs : Rencontre au Havre, par Pilau Daures, sur du9 ; Entre la BD et l’art contemporain, un certain flou conceptuel, par Thierry Groensteen, sur Neuvième art 2.0.
Les photographies sont de Charlie Varin.

  1. 7 Responses to “La bande dessinée à la Biennale du Havre”

  2. By Stan Gros on Nov 8, 2010

    Ouah, il y a des planches originales de Vaughn Bodé? Rien que pour voir ça je serais tenté de faire le voyage.

  3. By Jean-no on Nov 8, 2010

    Je te déconseille de venir car l’exposition est terminée :-)

  4. By Stan Gros on Nov 8, 2010

    Ha zut « les planches originales conservées depuis plus de 30 ans ont dû être décrochées au bout de quelques jours car elles s’abîmaient à la lumière ». Bah, toute façon j’avais pas vraiment envie d’y aller.

  5. By Jean-no on Nov 8, 2010

    Eh oui… Je ne les ai pas vues d’ailleurs, ces planches originales. J’ai vu des graffitis inspirés de Bode par des graffiteurs locaux et par Mark, le fils Bodé.

  6. By Stan Gros on Nov 8, 2010

    C’est drôle, en fait je pense qu’il y a très longtemps (enfin, quand j’étais aux Beaux-Arts) j’avais très envie qu’une expo comme celle-là existe (et à l’époque je m’y serais certainement précipité), et maintenant qu’elle arrive je m’en fiche tellement que je n’étais même pas au courant. Je vieillis, je crois bien.

  7. By Jean-no on Nov 8, 2010

    Et tu vas voir, ça va en empirant.

  8. By Guy on Nov 8, 2010

    En tout cas pour moi qui suis encore aux Beaux-Arts ça a été très stimulant de pouvoir visiter cette expo, en coup de vent hélas, ça me donne quelques armes en plus pour défendre la BD contre mes professeurs…
    Et puis ça change du sempiternel numéro spécial BD de Beaux Arts Magazine!

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