Profitez-en, après celui là c'est fini

Images en vrac

octobre 24th, 2010 Posted in Filmer autrement, indices, Parano, Vrac

Je manque de temps pour écrire, alors voici un billet qui saute du coq à l’âne…

Tout d’abord, une image amusante, « réalisée sans trucage » dans un hôtel crasseux de Béziers par Laurence Guenoun, sur la route des vacances :

Cette scène de film d’horreur est un peu le remake « vidéosurveillé » d’une scène très habile de L’Étoile mystérieuse, par Hergé. Tintin, venu observer une étoile menaçante au télescope, connait un instant d’effroi en voyant apparaître l’image d’une araignée gigantesque. En fait, celle-ci avait une taille banale mais se baladait sur la lentille.
Cette araignée revient ensuite à deux reprises dans le récit, une fois sous forme de rêve et une autre fois, sous la forme d’une simple araignée rendue effectivement géante au contact d’un aérolithe aux propriétés étranges.

Toujours dans le registre astronomique, j’ai aimé l’initiative de Luc Geissbühler, un directeur de la photographie qui, à titre personnel et avec l’aide de sa famille et de ses amis, a entrepris de filmer la terre vue de l’espace, à l’aide d’un iPhone et d’un ballon météorologique.
Le Brooklyn space program a été un succès complet.

Grâce à son système de vidéo-surveillance, la famille Mann de Coventry a pu comprendre comment son chat Lola s’est retrouvé piégé dans une poubelle pendant une quinzaine d’heures : une passante, Mary Bale, employée de banque de quarante-cinq ans, a ressenti le besoin subit de jeter le chat qu’elle caressait dans la poubelle. Une plaisanterie qu’elle n’a pas su expliquer elle-même et en a fait la personne la plus haïe de Grande-Bretagne. Un groupe Facebook rassemblant 30 000 personnes a permis de l’identifier.

Je vois un rapport entre le Brooklyn Space Project de la famille Geissbühler et l’aventure du chat Lola : dans les deux cas, une caméra a permis à de simples particuliers de réaliser (expressément ou accidentellement) un témoignage scientifique : astronomie ou géographie dans le premier cas, éthologie ou psychologie (je ne sais de quoi, au juste, relève l’accès de cruauté incongru et un peu pervers de Mary Bale) dans l’autre.
La multiplication des caméras est un fait récent qui ne semble pas en voie de ralentir : les nouvelles générations de smartphones ne contiennent plus un mais à présent deux objectifs, qui sont parfois capables de filmer en haute définition. La vidéo-surveillance, quand à elle, se démocratise et les particuliers ou les commerçants s’en équipent de plus en plus couramment et sans respecter un cadre législatif très strict.
Des caméras robotisées et de plus en plus autonomes, associées aux possibilités de stockage et de transmission des données vont nous permettre d’observer la nature comme jamais auparavant.

J’aime beaucoup le principe du Suivi photographique des insectes pollinisateurs, lancé par le Muséum d’Histoire Naturelle, qui compte sur la collaboration des particuliers équipés d’appareils numériques pour observer la pollinisation des fleurs, par sessions de vingt minutes. Un protocole scientifique a été rédigé à destination des participants volontaires. Le principe est simple : il faut veiller sur une fleur et observer les insectes pollinisateurs qui la visitent. Ici, la contribution d’une foule d’amateurs permet de collecter des informations qu’il serait terriblement coûteux d’obtenir autrement, dans le but de documenter et peut-être de comprendre un des plus graves phénomènes écologiques récents : l’inéluctable disparition des abeilles.

Le « crowdsourcing » peut aussi s’appliquer à la lutte politique. Jean-Luc Mélénchon et le parti de Gauche ont recommandé, je cite, « de photographier et filmer beaucoup et de tout mettre sur les réseaux sociaux », ajoutant que « c’est la meilleure des protections ». C’est un conseil assez avisé. On a vu l’impact que pouvait avoir un film amateur sur le traitement médiatique d’un dérapage policier, comme avec le tir de flashball reçu en pleine figure par un lycéen de seize ans à Montreuil (ci-dessus) : face aux images, la préfecture a rapidement abandonné sa ligne de défense, qui consistait à affirmer que le jeune homme, victime de deux fractures du crâne et d’un décollement de la rétine, avait provoqué les policiers par des jets de projectiles.

La multiplication des points de vue peut pallier aux manquements de la presse, dont la couverture des évènements peut souffrir d’angles morts. La photo qui suit, scannée dans 20 Minutes,  est assez éloquente : les photographes professionnels ont tous leurs objectifs braqués sur trois jeunes « pilleurs » (ou pilleuses, semble-t-il), occupés à voler des sacs à main dans une vitrine brisée. Plutôt que de rendre compte d’évènements, les photojournalistes font ici des clichés, au sens figuré autant qu’au sens littéral.

On le sait, l’irruption médiatique des « casseurs » dans un mouvement social est souvent le moment où une partie de l’opinion publique se retourne contre le principe de la grève et des manifestations. C’est pourquoi on soupçonne fréquemment les « casseurs » d’être de provocateurs issus des rangs de la police et commettant des dégradations dans un but de communication.
J’ai eu un voisin viré de la police, employé au service d’ordre la RATP qui se vantait d’être régulièrement recruté pour ce genre d’action… Je n’ai jamais su si c’était vrai. Mais comme j’ai aussi connu des activistes d’inspiration (prétendument) libertaire (indubitablement) amateurs d’arts martiaux et toujours prêts à en découdre contre le fascisme, contre ce qu’ils estiment être du fascisme (ceux qui ne partagent pas leurs idées) ou encore la société de consommation, j’ai d’abord accepté les images qui suivent comme ce qu’elles prétendaient être :

Un homme au visage dissimulé par une capuche démolit une vitrine. Un quinquagénaire s’approche pour l’en empêcher mais est agressé d’un coup de pied de karaté dans le dos.
En visionnant la vidéo, beaucoup ont tout de suite dit : « ce sont des flics ». Pas moi, mais j’ai sans doute eu tort. L’élément déterminant de cette vidéo, ce n’est ni l’usage des arts martiaux, ni l’emploi d’une matraque « tonfa », ni même le ballet étrange des pseudo-anarchistes. Ce qui est troublant c’est tout simplement l’origine de la vidéo. Postée sur Youtube le soir-même de la manifestation par un particulier qui a ensuite supprimé son compte, ces images émaneraient de l’agence Reuters mais n’avaient, au moment de leur diffusion sur Internet, montrées sur aucune chaîne de télévision. La première chose qu’il faut vérifier lorsque l’on trouve une information sur Internet, c’est son origine : qui l’a produite, qui la diffuse ? Une bonne leçon.

Beaucoup se sont ému des deux autres vidéos postées sur Dailymotion par l’agence MoasPress, association de journalistes indépendants. L’une montrait un journaliste de Canal+ se faisant matraquer par des CRS, la seconde, un journaliste de TF1 lui aussi brutalisé par les forces de l’ordre. L’un et l’autre tentent de rappeler leur statut : « Je suis journaliste ». On entend même à un moment : « Ne nous tapez pas dessus, on n’est pas comme les autres ». Ce cri du cœur a choqué beaucoup de gens sur les forums ou sur Twitter, qui au lieu d’entendre « la presse doit être libre de circuler pour rapporter des informations impartiales » ont compris « les journalistes sont au dessus des autres citoyens, du côté de la police et de l’état ». Cette réaction est une nouvelle illustration de la crise de confiance dont sont victimes les journalistes, et notamment les journalistes de télévision, accusés de servir le pouvoir en diffusant les informations qui l’arrangent.

Une autre image produite par MoasPress m’a intéressé. Dans une gare, des manifestants mettent hors d’état une caméra de surveillance…

Il y a quelques jours, Reporters sans frontières a remis son rapport annuel sur la liberté de la presse : si l’on excepte la Suisse, les Pays-Bas et la Scandinavie, la liberté de la presse est en recul dans toute l’Europe. La France se situe actuellement au 44e rang du classement, en baisse à peu près constante depuis la création de cet indice, en 2002. À l’époque, la « patrie des droits de l’homme » était classée au 11e rang. Le caractère démocratique de la France n’est-il plus qu’un vieux mythe ? A-t-il jamais été autre chose, au fait ?

Lire ailleurs : Policiers ou casseurs ?, sur Arrêts sur images ; L’imaginaire démocratique, meilleur allié de l’autocratie française, par A. Gunthert.

(images : Laurence Guenoun ; ©Hergé/Moulinsart/Casterman ; Brooklyn Space Program ; Sky News ; Bibi ; Rue89 ; 20 Minutes ; Reuters ; MoasPress)

  1. 9 Responses to “Images en vrac”

  2. By Bishop on Oct 24, 2010

    Tu as vu toutes les vidéos comiques sur le Chat? Sinon la liberté d’expression et la transparence sont de véritables mythes en France plus que des réalités.

    Cela me fait aussi penser à la vidéo du début de la semaine au conseil municipal de Paris avec un élu vert qui s’emporte sur la vidéo surveillance et réclame des caméras sur nos élus et les véritables personnes dangereuses.

    La technologie est véritablement à double tranchant. Sans la vidéo amateur jeudi dernier, le tir de flash ball n’aurait probablement pas été si médiatisé dans ma ville (et le scandale aurait été, un peu, moins grand). C’est prendre conscience de ces capacités qui aujourd’hui est important.

    (Sinon un petit « r » en trop traine dans l’article « à peur près »)

  3. By Jean-no on Oct 24, 2010

    @Bishop : J’ai vu une vidéo où « Gros minet » jette « Grand mère » dans une poubelle, mais c’est tout.
    Ma position sur les caméras c’est que leur nombre ne va pas cesser d’augmenter. Mon inquiétude en revanche c’est que certains systèmes de surveillance permettent de faire des choses dont le public n’a pas conscience : reconnaître les visages, lire sur les lèvres, analyser les mouvements de personnes, etc. Sur la surveillance je ne me fais pas d’illusions : elle augmentera. Du coup la « sousveillance », doit progresser elle aussi. On devrait tous avoir une caméra sur nous et être prêts à témoigner d’une bavure, d’un fait divers, d’un accident ou d’un évènement… Faute corrigée.

  4. By Jean-no on Oct 24, 2010

    @Bishop : j’ai ajouté l’affaire de Montreuil, du coup.

  5. By Bishop on Oct 25, 2010

    Tu pourrais me balancer le lien de la vidéo vers le quinquagénaire qui se fait attaqué par les « pseudos » casseurs. Elle peut me servir pour un cours la semaine prochaine :’).

  6. By Jean-no on Oct 25, 2010

    @Bishop : clique sur l’image, et hop, tu tombes sur l’articles d’Arrêts sur Images qui contient la vidéo !

  7. By Bishop on Oct 25, 2010

    Fufu…je n’avais pas vu que c’était des liens…

  8. By Jean-no on Oct 25, 2010

    @Bishop : c’est une vieille habitude, je mets toujours un lien vers les photogrammes youtube etc., mais je ne mets jamais les vidéos (car les vidéos s’envolent, les captures restent). Mais bon, c’est sûr que ça n’est pas écrit, on peut passer à côté :-)

  9. By Simon on Oct 27, 2010

    J’aime assez bien rappeler que la « patrie des droits de l’homme » ce sont les États-Unis …

  10. By Jean-no on Oct 27, 2010

    @Simon : ? Si on appelle la France « patrie des droits de l’homme » c’est à cause de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, inspirée par la déclaration d’indépendance américaine mais aussi par la constitution corse, bien plus ancienne, inspirée par Jean-Jacques Rousseau. Tu remarqueras les États-Unis ne se désignent quasiment jamais comme « patrie » (fatherland), ils utilisent d’autres mots, eu égard aux conditions très spécifiques de la naissance du pays, construit sur un cimetière indien comme dirait Stephen King.

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