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La revue Planète et la cybernétique (5)

août 15th, 2010 Posted in La revue Planète, Sciences

Je continue mon exploration systématique de la revue Planète, en quête d’articles se rapportant à la cybernétique et à l’informatique.

Planète n°34 mai-juin 1967, pp.72-89

Les machines intelligentes du jeune docteur Michie, un reportage au Centre de recherches sur les machines intelligentes d’Édimbourg, par Jacques Bergier.

Dans sa rencontre avec Donald Michie (retenu par l’histoire comme un très important chercheur en Intelligence Artificielle, collaborateur d’Alan Turing pendant la guerre, créateur du premier logiciel de résolution du jeu de morpion, décédé en 2007, à quatre-vingt-trois ans, dans un accident de voiture), Bergier est étonné par le fait que le laboratoire qu’il visite n’ait pas lieu dans un « fantastique laboratoire de science-fiction avec des machines et des robots dans tous les coins » mais dans ce qui ressemble à une villa anglaise des plus classiques où l’on boit le thé à cinq heures et où la seule bizarrerie est une grosse machine à écrire électrique à sphère de marque IBM permettant de communiquer avec la « machine intelligente » du laboratoire.
Jacques Bergier est invité à poser une question à la machine. Guidé par le professeur Michie, il demande des informations sur un dénommé Smith, et l’ordinateur lui répond avec la fiche d’un patient de l’hôpital de la ville. Très étonné par l’efficacité du résultat, il continue :
« – Parlez-moi de Charles de Gaulle
La réponse est immédiate :
– Je n’ai jamais entendu parler de Charles de Gaulle, il faut d’abord ajouter son nom à mes listes !
J’ai de nouveau le souffle coupé. »

On sent Jacques Bergier fasciné par des conversations homme-machine qui nous sembleraient à présent assez anodines. Il semble aussi étonné par la jeunesse des chercheurs, qu’il souligne plusieurs fois, par exemple en parlant de Robin Popplestone, inventeur du langage « pop » : « Le nom du jeune “Pop” restera peut-être dans l’histoire comme celui d’un des hommes ayant le plus élargi les bornes de l’esprit humain. Par esprit humain il faut entendre désormais l’esprit humain guidé et assisté par la machine ». Bergier doute un peu de la parole de Popplestone lorsque celui-ci affirme que n’importe qui peut comprendre la théorie des ensembles et l’algèbre de Boole.

De son côté, le professeur Gregory, spécialiste en imagerie informatique, explique qu’il s’occupe de dessin en trois dimensions et étudie la perception humaine. Jacques Bergier tente un rapprochement avec les « porte de la perception » de William Blake et d’Aldous Huxley, mais visiblement ce n’est pas le sujet.
Il est aussi souvent question d’amplifier l’intelligence, formulation qui semble être celle de l’auteur de l’article, plutôt que celle des chercheurs qu’il a rencontrés. L’américain Marvin Minsky est cité. Bergier s’inquiète un peu du retard de la France dans le domaine de l’intelligence mécanique. Il évoque cependant le « plan calcul » mis en route en 1966.

Bergier, qui était notoirement obsédé par l’idée du « surhomme psychique » est peut-être un peu déçu en constatant que les ordinateurs « pensants » sont surtout amenés à automatiser des usines à gaz ou à résoudre le célèbre problème du commis voyageur. Cela ne l’empêche pas de frétiller à l’idée de la « quatrième génération d’ordinateurs », équipés de circuits intégrés, qu’il décrit comme « des cristaux spécialement étudiés pour remplir 20 ou 30 fonctions électroniques à la fois ». Cette évocation un peu new-age de « cristaux » (qui concerne en fait le bête silicium) me semble typique de Bergier, qui se voulait alchimiste.

Retour aux angoisses de science-fiction avec l’évocation des prédictions de Douglas F. Parkhill1 : « La société future où l’homme ne sera plus le seul être intelligent, la cyberculture, comme le dit Parkill, fera planer de terrifiantes menaces sur l’humanité. La cyberculture peut, selon lui, nous précipiter dans la nuit sans fin d’un fascisme automatique, qui se perpétuerait lui-même automatiquement ». Les réflexions de Parkhill semblent concerner le contrôle de l’information et de l’automation plutôt que des histoires d’ordinateurs pensants. Bergier considère que « Parkhill est ici visiblement influencé par de terrifiantes nouvelles de science-fiction du style de Sam Hall, de Poul Anderson » mais ajoute que « la menace n’en existe pas moins. Si des dictatures utilisent à fond l’informatique, les démocraties seront obligées d’en faire autant et l’on risque d’arriver à un monde bien pire que le 1984 de George Orwell ». D’autant, précise Bergier, que si les ordinateurs peuvent amplifier l’intelligence, ils ne peuvent pas amplifier la morale. « Sans même aller jusqu’à la sinistre antiutopie de monsieur Parkhill, on peut se demander ce qui arrivera le jour où un spécialiste du hold-up installera chez lui une console le reliant à la multigrille des amplificateurs d’intelligence, qui lui permettront de réaliser le hold-up parfait ».

Optimiste malgré tout, l’auteur voit dans l’ordinateur un moyen pour chacun de faciliter diverses tâches quotidiennes fastidieuses, et évoque la possibilité qu’un jour, chacun puisse être équipé d’une console individuelle qui coûterait moins de 1000 dollars (ce qui correspond à ~6500 dollars actuels) , voire moins, et qui serait reliée à d’énormes ordinateurs bien plus chers.
Bergier croit très fort (il l’avait prévu dix ans plus tôt dans un ouvrage de futurologie) à la généralisation de cartes de paiement contrôlées informatiquement pour remplacer l’argent liquide.

  1. Douglas Parkhill, The Challenge of computer utility, Addison-Wesley, 1966. []

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