Du design et de l’art
avril 28th, 2008 Posted in Après-cours, Design, L'art et moi, VintageQuand je suis arrivé en cours préparatoire, à six ans, j’avais une très haute estime de mes capacités artistiques. Je crois que j’étais d’ailleurs considéré par ceux qui venaient de ma classe d’école maternelle comme « le meilleur en dessin », sans la moindre contestation (j’ignore si c’était fondé mais j’avais en tout cas le sentiment de susciter une admiration générale). J’avais notamment peint à la gouache, sur une grande feuille, un loup dans des bois qui reste pour moi comme mon Prix de Rome malgré le peu de souvenirs véritables que j’en ai. Les arbres étaient bien marrons et j’avais pris soin de leur dessiner des racines et des branches, il devait aussi y avoir des fruits, des feuilles et des oiseaux un peu partout, j’étais le roi du détail.
Madame Bismuth, notre institutrice, nous avait imposé un premier sujet de dessin. Il s’agissait, pour chacun, de figurer sur une feuille un personnage masculin et un personnage féminin. Le meilleur « garçon » et la meilleur « fille » dessinés devraient ensuite être utilisés pour surplomber la liste des élèves classés par sexe.
Je nourrissais l’ambitieux projet de surprendre, d’étonner, de sortir de mes automatismes d’artiste, de mettre ma pratique en danger. J’étais confusément persuadé que mon grand talent était connu de ma jeune institutrice et que celle-ci ne m’aurait pas pardonné, à juste titre, de m’en tenir à une réussite facile telle que mon célèbre « bois avec un loup ».
J’ai donc décidé de faire du design – sans le savoir. Je me suis demandé comment symboliser de manière minimaliste et claire les deux groupes, « filles » et « garçons ». J’avais bien remarqué les personnages-bâton qui sont dessinés sur les portes des toilettes publiques des aéroports – pour moi, ils n’existaient que dans les aéroports, ne me demandez pas pourquoi. J’en ai donc repris le principe, en espérant que l’on ne m’accuserait pas d’avoir copié.
Bien que je me sois appliqué, j’ai fini mes deux dessins très vite, et j’ai donc pu les rendre avant tout le monde. Je garde un souvenir terrible de l’accueil qui leur a été fait. Qu’est-ce que c’était que ça ? Ce n’était pas du dessin, c’était du n’importe quoi, j’étais un authentique imbécile, un je-m’en-foutiste, un paresseux, un incapable, ça n’allait pas se passer comme ça, j’allais devoir tout refaire.
Je crois qu’aucune critique un peu brusque (juste ou injuste) de mes travaux ne m’a véritablement atteint après celle-là. On ne m’a pas laissé plaider ma cause mais j’en aurais du reste été bien incapable : je ne connaissais pas le mot graphisme, je ne savais pas ce que signifiait schématiser ni ce qu’était la signalétique.
Alors j’ai repris une feuille et tous les crayons de couleur imaginables, et je suis reparti de zéro. J’ai dessiné un homme, avec des moustaches, avec un chapeau, avec des pantalons, et puis une femme avec une jupe de toutes les couleurs et de longs cheveux, mais après ma stylisation inspirée des toilettes des aéroports, tout ça me semblait grossier, vulgaire, méprisable. Elle voulait du banal, du facile ? Elle allait être servie ! Cela lui plut, d’ailleurs, et pendant toute l’année, c’est mon dessin et aucun autre qui est resté affiché au dessus de la liste des garçons – mais pas mon dessin de fille.
Cet épisode aura été mon premier contact avec la frontière qui sépare l’art du design.
3 Responses to “Du design et de l’art”
By Baptiste on Mai 3, 2008
Mon traumatisme personnel, c’est d’avoir été obligé, en maternelle, de dessiner le soleil avec des « rayons », alors que j’avais bien constaté que cette convention était arbitraire…
By Stéphane Deschamps on Mai 5, 2008
Moi finalement, j’ai du bol. Catalogué très tôt « nul en dessin », je m’en sors sans traumatisme finalement…
By Kyua Iruka on Sep 21, 2015
Ah comme c’est bon de se sentir comprise dans cet horrible solitude face à l’incompréhension de l’adulte. Petite anecdote personnelle : toute jeune j’ai aimé peindre, dès que j’ai pu tenir à peu près convenablement un pinceau, je me mis en tête de colorer toutes les feuilles blanches mises à ma disposition. J’étais très fière de mes bonhommes qui n’avaient pas les bras dans les airs mais bien le long du corps, je me sentais bien importante de cette découverte alors que mes camarades, irrémédiablement, traçaient deux bâtons perpendiculaires au corps de leurs bonhommes, cinq autres petits traits fixés à l’extrémité des « bras » en fil de fer. Comme si on se baladait les bras bien droits et les doigts touts écarquillés… Franchement… Je me sentais bien supérieure avec mes madames et mes messieurs à l’allure plus naturelle. Mais voilà, un jour proche des fêtes de fin d’année, la maîtresse de maternelle nous demande de dessiner notre sapin. Je suis enchantée car je l’ai beaucoup admiré ces derniers temps et je pense être capable de le peindre illuminé dans toute sa splendeur. Pour se faire, j’ai coloré de jaune, de bleu, de rouge, mon beau sapin vert. J’avais aussi remarqué que les guirlandes paraissaient nettement plus sombres lorsque ses petites lumières étaient allumées. Me voilà traçant de grosses guirlandes noires avec de petits brins de couleurs (les reflets sur les guirlandes)… Bien mal m’en pris, la maîtresse poussa un long soupir de découragement en voyant mon « oeuvre » et me demanda pourquoi j’avais gâché mon si beau sapin en le barrant de noir de bord en bord : « c’est très laid maintenant, on ne pourra pas l’afficher dans la classe ». Ne pouvant répondre simplement « c’est une représentation hyperréaliste avec les capacités d’un môme de cinq ans », je me tue, déçue et blessée. J’ai refait un sapin comme « on voulait qu’il soit », il a été affiché dans la classe… Et j’ai affiché MON VRAI « beau » sapin dans ma chambre et c’est lui que j’ai gardé en mémoire.
J’espère que cette petite histoire vous fera autant sourire, qu’elle amènera une bouffée d’empathie et de fraîcheur à votre journée, comme la votre pour moi.