Profitez-en, après celui là c'est fini

Copyright fiction

juillet 3rd, 2010 Posted in Bande dessinée

Un jour prochain, l’assemblée vote l’abrogation de la loi « Lang » sur le prix unique du livre. En compensation pour les éditeurs, elle décrète l’interdiction des publications à compte d’auteur.
Aussitôt, les auteurs de fanzines doivent entrer en clandestinité, car il est devenu « interdit de distribuer des imprimés autres que publicitaires ». Les libraires ne veulent plus avoir affaire aux micro-éditeurs et les propriétaires de copy-shops les dénoncent à la police. Un des membres du petit groupe d’auteurs de bande dessinée amateur dont on suit la destinée est impliqué dans un fait-divers tandis qu’un autre passe à l’ennemi : un éditeur ayant pignon sur rue va publier son tout premier album.

Voilà le point de départ de Blackbird, une série en bande dessinée par Pierre Maurel, photocopiée et agrafée à la main, comme il se doit.
Pierre Maurel, qui  publie notamment chez de petits éditeurs tels que L’Employé du moi et Six Pieds sous terre, s’est déjà intéressé au rapport entre création, passion, profession, argent et illusions perdues (ou retrouvées) avec son album Michel, où un auteur de documentaires radiophoniques au chômage tentait de retrouver ce qui le motivait réellement tout en enchaînant des métiers abrutissants.

Avec Blackbird, Pierre Maurel nous parle évidemment de la liberté des créateurs face aux circuits établis ou du besoin impérieux de s’exprimer1, mais on pourrait partir de Blackbird pour se poser des questions très terre-à-terre car régulièrement, des lois tout ce qu’il y a de réelles sont votées pour restreindre la liberté des créateurs sous des prétextes vertueux. Je me rappelle par exemple que, il y a quelques années, un texte a été voté pour interdire la production de films dont les participants ne sont pas rémunérés au tarif syndical de leur corps de métier sous le statut d’intermittent du spectacle. La mesure sert à limiter certains abus, mais elle rend difficile la création de courts-métrages (qui coûtent mais ne rapportent pas) ou l’existence du cinéma « pirate » de gens tels que, au hasard, John Waters et Jean Rollin. On pourrait aussi parler de la loi sur les publications destinées à la jeunesse, qui a fêté ses soixante ans, ou des règlements de distribution des messageries de presse qui contraignent éditorialement les magazines de bandes dessinées, et on pourrait parler aussi de la manière dont le droit d’auteur peut entraver la création qu’il est censé protéger — et qu’il protège souvent.

On peut aussi rapporter ces questions aux débats très actuels qui entourent la publication amateur sur le web, que beaucoup sont tentés de « réguler » en proposant de manière redondante des lois d’exception, qui tendent à limiter le droit d’expression et le droit d’informer dès lors que le support de publication est le réseau Internet.
Les lois récemment votées dans l’Italie de Silvio Berlusconi devraient nous alerter sur les dangers que nous courons nous-mêmes ici. Du reste, les lois Davdsi, Hadopi et Loppsi contiennent certaines dispositions qui permettent virtuellement d’entraver la publication sur le web. Il est un peu question de web dans Blackbird, d’ailleurs : on pirate les réseaux, on filme ses actions « choc » avec un téléphone avant de les envoyer sur Youtube,…

Au delà des thèmes mentionnés, ce que Blackbird m’évoque le plus, c’est sans doute Hicksville, de Dylan Horrocks, où les habitants d’une petite ville de Nouvelle-Zélande prêtent à la bande dessinée, et notamment à la bande dessinée d’auteur et à la micro-édition, une importance que personne ne lui a jamais donné ailleurs.

Quatre numéros de Blackbird sont parus à ce jour, on peut se les procurer directement auprès de l’auteur.

Mise à jour 04/2011 : Les six numéros de Blackbird sont sortis et on peut sans doute toujours se les procurer auprès de l’auteur, mais ils ont aussi été compilés sous la forme d’un joli recueil publié par les éditions L’Employé du moi.

(lire ailleurs : Blackbird n°1 à 3, par Maël Rennou, sur le site Du9)

  1. Ou, pour reprendre un mot récent de Jean-Luc Godard, particulièrement approprié aux questions d’édition, de s’imprimer : « la liberté d’expression elle est là, le bébé qui sort du ventre de sa maman, c’est ce qu’il fait, il s’exprime (…) mais la liberté d’impression (…) c’est ça qui est interdit ». — J.L.G., Rencontre publique Mediapart/Arte, 18/06/10 []
  1. One Response to “Copyright fiction”

  2. By Stan Gros on Juil 4, 2010

    Dis donc je ne connaissais pas du tout ce Pierre Maurel, ça l’air pas mal du tout.

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