Profitez-en, après celui là c'est fini

Iron Man 2

juin 2nd, 2010 Posted in Hacker au cinéma, Interactivité au cinéma, Robot au cinéma

Je sors de voir Iron Man 2. L’expérience aurait pu être très désagréable car le son était réglé au delà du seuil de la douleur, chose qui ne m’était pas arrivé au cinéma depuis des années. J’ai assisté à la séance en me bouchant les oreilles tout du long, mais je dois dire que j’ai plutôt apprécié cet Iron Man 2, qui a les mêmes qualités que le premier film mais qui lui est à mon avis  supérieur.
Dans Iron Man 1, le marchand d’armes Tony Stark réalisait à ses dépens que ses propres produits étaient utilisées par les ennemis de son pays. Kidnappé par un chef de guerre afghan, il s’échappait en créant un exo-squelette sur-armé, pour rentrer chez lui abandonner le commerce des armes.
On retrouve dans Iron Man 2 un même traitement ambigü de la question du « Complexe militaro-industriel » (qui est le sujet des aventures d’Iron Man dès la création du personnage en 1963), mais dans une perspective cette fois bien plus trouble, grâce à l’évocation des rapports qu’ont entretenu deux personnages : Anton Vanko et Howard Stark. Anton Vanko, qui a été le collaborateur d’Howard Stark, meurt dès les premières minutes du film dans une Russie misérable. Son fils Ivan promet de le venger.

Howard Stark, quant à lui, est mort depuis bien longtemps lorsque le récit commence. On ne le connaît plus que sous forme d’un film « corporate » aux teintes passées où il présente sa réalisation, un parc d’exposition technologique. Howard Stark évoque furieusement Walt Disney, créateur de Tomorrowland (1955), inventeur d’Epcot (achevé après sa mort, en 1982) et auteur de plusieurs pavillons pour la foire de New York (1964), dont le parc Stark reprend en grande partie l’aspect. Walt Disney est un personnage central de l’imaginaire américain et notamment, du rapport que les américains ont entretenu avec leur futur immédiat tout au long de la guerre froide, dans des domaines aussi variés que la vie quotidienne, le développement industriel et la conquête spatiale.
Un beau sujet de thèse.
Vanko père et Stark père sont les co-inventeurs de la technologie de production d’énergie qui a permis l’existence d’Iron Man. Un jour, Howard Stark a provoqué l’expulsion de Vanko hors des États-Unis. Une fois revenu en union soviétique, l’ingénieur russe est envoyé en déportation pour trente ans de goulag. Si Stark a cru bon de se débarrasser de Vanko c’est, nous dit-on, parce qu’il s’était rendu compte que ce dernier n’était motivé que par l’argent. Amusante accusation de la part d’un milliardaire.

À gauche, Walt Disney posant avec l’ingénieur Wernher Von Braun, inventeur des missiles balistiques pour le compte du IIIe Reich (photo Nasa). Au centre, une affiche pour la foire internationale de New York et à droite, le parc d’attraction futuriste Epcot/Future World (photo Carlos Cruz). Cesont les références à mon avis transparentes qui ont permis de construire le personnage de Howard Stark et de son parc Stark Expo.  

Tony Stark n’est pas au courant de ce contentieux et se trouve plutôt surpris lorsqu’Ivan Vanko s’en prend à lui. Nick Fury, directeur du S.H.I.E.L.D., un service secret ultra-secret dont Howard Stark est co-fondateur, explique toute l’affaire à Tony, sans pour autant salir la mémoire de son père, alors qu’il y avait de quoi, puisque le résumé que l’on peut faire est qu’Howard Stark a profité de la nationalité étrangère de son associé pour l’évincer et pour profiter seul des fruits de leurs inventions communes. Le héros industriel de l’Amérique serait donc aussi et surtout une crapule. Quand à la soif de vengeance d’Ivan Vanko, elle n’est pas seulement compréhensible, elle est légitime. Howard Stark symbolise à sa manière tous les « dirty little secrets » (de polichinelle) de la géopolitique américaine : des savants venus de pays ennemis « blanchis » et exploités ; d’anciens alliés utilisés, trahis, abandonnés à leur sort puis traités en ennemis (Saddam Hussein, Ousama Ben Laden ou le général Noriega). Le scénario ne nous dit tout cela que du bout des lèvres et n’assume évidemment pas son propos jusqu’au bout, mais tout cela n’en reste pas moins induit.

Si Tony Stark est candide en apparence, il n’en est pas moins névrosé et son comportement le mène constamment aux limites de l’auto-destruction sociale et même, vitale. Robert Downey Jr, qui interprète Tony Stark, le fait suffisamment bien pour que l’on reste persuadé que l’acteur est aussi insupportable que le playboy milliardaire qu’il incarne.

Le personnage d’Ivan Vanko est la synthèse de deux super-villains du panthéon Marvel1 : la Dynamo Pourpre — sorte de Iron Man soviétique, créé et incarné par Anton Vanko, qui finira par devenir ami et collaborateur de Tony Stark dans le comic-book originel —, et le brutal Blacklash (en anglais Whiplash), un criminel employé par la Maggia (équivalent Marvel de la Maffia), qui utilise des fouets tranchants2
Mickey Rourke incarne excellemment le personnage au traits et au corps marqués par une vie de lutte et de frustrations. Son accent russe est crédible, tout comme sa manière de devenir un physicien de génie dès lors qu’il chausse ses lunettes. Le film repose en partie sur ses épaules et serait sans doute bien plat sans cette présence. Mais justement, il est là.
Mis en prison après avoir tenté d’affronter Iron Man, Vanko est ensuite libéré par Justin Hammer, un marchand de canons concurrent de Tony Stark. Hammer, qui n’a ni le succès (notamment avec les femmes) ni le talent de Stark, est nettement plus sophistiqué que son adversaire : il mange de la grande cuisine en se tenant droit même lorsqu’il est seul à manger tandis que Tony Stark n’aime que les hamburgers et offre sur un coup de tête sa collection d’art contemporain (acquise en son nom par son assistante Pepper Potts) à l’association des boy-scouts d’Amérique. Ce que symbolise Tony Stark, c’est une version candide de la géopolitique américaine : il est incapable de réfléchir à la légitimité de ses actions, il est accaparé par une existence hédoniste, il évite pudiquement de mesurer les conséquences véritables de ses activités et ne s’intéresse pas aux racines de sa situation. Hammer est plus cynique. Il ne veut pas réellement établir une paix mondiale mais seulement vendre ce rêve aux politiques et obtenir de juteux contrats avec l’armée.

En 1977, Iron Man combattait les samouraïs robots du terrible « Mandarin » (Strange #108, juin 1978)

Le monde politique est représenté par le sénateur Stern, pendant une parodie de commission parlementaire où les représentants du peuple tentent d’imposer à Tony Stark de livrer son exo-squelette à l’armée, sous prétexte que d’autres pays cherchent à mettre au point le même genre d’objet et qu’il est dangereux pour la nation de ne pas en avoir toute la maîtrise… Tony Stark s’amuse alors à diffuser des vidéos3 qui montrent que l’Iran, la Corée du Nord et même Hammer Industries sont à mille lieues de pouvoir fabriquer leur propre « Iron Man ». Belle réponse à l’obsession des « Armes de destruction massive » de l’administration Bush — belle réponse mais un peu tardive, car il est un peu facile de se moquer de l’aventure bushiste une fois que celle-ci est universellement considérée comme un fiasco.
La manière dont l’armée est traitée par le film est discrètement grinçante. Fascinés comme des enfants par les jouets technologiques, obsédés par la taille des armes et et persuadés de leur toute-puissance, les militaires tombent dans tous les pièges et ne prennent jamais les bonnes décisions. Dans le premier film, ils décident d’abattre Iron Man la première fois qu’ils le croisent, sous l’unique prétexte qu’ils ne comprennent pas ce qu’il est. Quand au lieutenant-colonel Rhodes, il s’avère fidèle jusqu’à la bêtise envers sa hiérarchie et envers la bannière étoilée, jusqu’à être complètement dépassé par les évènements. Il trahit son ami Tony Stark et livre une armure créée par ce dernier à Hammer Industries.

En résumé, Iron Man 2 possède l’embryon de thèmes très politiques, mais cela échappera à mon avis à la majorité de ses spectateurs, d’autant que le scénario ne s’appesantit pas sur ces traits de manière explicite. Toutes ces pistes retombent finalement comme un soufflé : le sort d’Ivan Vanko est un peu trop rapidement réglé (quel gâchis !) et chacun retourne à sa place sans se poser beaucoup de questions. Les crimes d’Howard Stark envers Anton Vanko restent impunis, la vengeance d’Ivan Vanko ne se réalise pas, et ça, c’est le happy-end.
Le film tient en revanche une promesse, qui est l’intervention du personnage de Natasha Romanoff, agent du S.H.I.E.L.D. La déontologie la plus élémentaire me force à signaler à ce stade que Natasha Romanoff, dite « la veuve noire », ancienne espionne russe à la chevelure auburn, que j’ai connu dans les aventures de Daredevil il y a maintenant trente-trois ans, est la première femme dont je sois tombé amoureux. Mon objectivité peut donc être mise en cause, d’autant que le rôle est parfaitement interprété par Scarlett Johanson.
Je ne pense cependant pas être le seule à jubiler en voyant ce bout de fille démolir le portrait du pataud garde du corps de Tony Stark (interprété par Jon Favreau, le réalisateur) ou à la voir affronter Pepper Potts (Gwyneth Paltrow), la fidèle collaboratrice enamourée de Tony Stark, dans un catfight feutré.

Natasha Romanoff tiraillée entre ses deux prétendants : œil de faucon, dont elle a autrefois exploité la naïveté, et Daredevil, le justicier aveugle… (Strange #95, novembre 1977)

Curieusement, ce qui ne fonctionne pas tellement dans cet Iron Man, ce sont toutes ses scènes de combats — à l’exception notable de l’apparition d’Ivan Vanko, venu se battre presque à mains nues sur le circuit du grand prix de Monaco. Face aux déchaînements de rayons énergétiques, aux lancers de roquettes, et à l’orgie de robots tueurs, on s’ennuie un peu, d’autant que ces séquences sont noyées dans une bande son heavy-metal plutôt pénible4.
Bref, un film plaisant où l’on savoure par avance des situations attendues (à quel moment Ivan Vanko va-t-il trahir Justin Hammer ?…) mais qui reste inabouti malgré une extraordinaire richesse thématique.

Lire ailleurs : « Shoot to thrill » Iron Man Superstar (Alexis Hyaumet).
Publicité : Les comic-books scannés m’ont été prêtés par la librairie de bandes dessinées d’occasion de Jérôme Lafargue (mon petit frère), située au 83 rue Pajol dans le 18e arrondissement de Paris, métro Marx Dormoy.

  1. Puisque l’information n’est pas forcément évidente pour tout le monde, spécifions que Marvel est un éditeur de comic-books américains, que l’on retient pour les héros créés par Stan Lee : Spiderman, Iron Man, Daredevil, les Fantastiques, les Vengeurs, les X-Men,… Marvel est le concurrent de toujours de DC (Detective Comics) qui édite Superman, Batman, Wonder Woman, Flash,… []
  2. Cette manière de réécrire l’histoire d’un personnage peut surprendre, mais pour les lecteurs de comics — dont j’ai longtemps fait partie —, une telle pratique est tout à fait fidèle à logique de l’univers Marvel, un univers constamment renouvelé, recréé en fonction des changements d’époque (statut des femmes, statut des noirs, issue de la guerre du Viet-nam…), un peu à la manière des mythologies antiques auxquelles il est à juste titre souvent comparé : les épisodes s’accumulent en étant fidèles à l’essence du héros et à quelques situations emblématiques, mais sans s’imposer pour autant une logique historique stricte. Les épisodes fondateurs des séries (les débuts du Green Goblin, la naissance Hulk,…) ont souvent été réécrits à de nombreuses reprises, parfois dans le but d’actualiser certains personnages, parfois pour justifier un futur lointain déjà connu… Ne parlons pas de l’intervention très courante des univers parallèles (qui permettent de reprendre une histoire bien connue en en modifiant des éléments plus ou moins importants) ou de la série « What if? » dont le principe est précisément de réécrire des récits classiques en modifiant un de leurs éléments, par exemple « et si ce n’était pas Peter Parker qui avait été piqué par une araignée radioactive ? ». Cette manière de ne jamais laisser l’histoire encombrer le présent me semble particulièrement typique de la mentalité états-unienne. []
  3. Tony Stark est un excellent pirate informatique, tout comme Ivan Vanko. L’un et l’autre ont droit à une courte scène où, en trois manipulations (Vanko au clavier, Stark avec une interface visuelle façon iPhone), ils prennent le contrôle d’un système informatique qui n’est pas le leur. []
  4. Mais on entend aussi le Robot Rock, de Daft Punk, ce qui est plus rafraîchissant. []
  1. 14 Responses to “Iron Man 2”

  2. By ben on Juin 2, 2010

    Toujours le dernier ;¬)
    spoiler :
    C’est sans doute les scènes de combats qui gâchent ce film et le passage du DIY un accélérateur de particule dans ton salon.
    Idem pour la bande son !
    Je ne sais plus si je l’ai vu en 2D ou 3D !

    En super héros qui doute kick-ass est plus efficace :)

  3. By Fred Bird on Juin 2, 2010

    Je l’aurais sans doute déjà loué, mais maintenant j’ai vraiment hâte !

    (et j’aurais sans doute raté tout l’analyse)

  4. By Bishop on Juin 2, 2010

    Ah Blacklash était un personnage sans intérêt donc c’est finalement mieux qu’il ait été « mélangé » avec la Dynamo Pourpre (souvent mal utilisé, les russes sont encore plus naifs que les américains dans Marvel mais tout de même plus intéressant).

    Sinon je n’avais pas remarqué certains détails que tu notes, dommage, ou heureusement?, que le film reste très superficiel pas déplaisant.

    La « chute » après le générique de fin étant prévisible dans une perspective « ultimate ».

    Sinon le rôle de Natasha ne rend pas honneur à Scarlett bien que le personnage soit intéressant -trop peu de scènes-. Au moins elle n’a pas été massacré comme son amant Daredevil…

  5. By Jean-no on Juin 2, 2010

    T’inquiète pas pour la veuve, c’est juste un apéritif, la dame revient dans le film The Avengers (2012), réalisé par l’immense Joss Whedon (Buffy, Angel, Firefly). Daredevil en a pris plein la figure, mais il y a un gâchis encore plus énorme : Elektra.
    J’ai raté la chute d’après générique, je souffrais tellement du son que je me suis sauvé en sachant très bien qu’il y aurait un twist final puisque c’est la mode mais tant pis. Me raconte pas, je verrais le DVD :-)

  6. By Sophie D. on Juin 3, 2010

    Je n’avais pas vu le premier (j’avais un a priori négatif sur le héros Ironman, les affiches ne m’avaient pas trop convaincues…) on m’a emmené voir au cinéma le second opus, que j’ai plutôt apprécié (j’ai donc regardé le 1 pas longtemps après!)
    J’ai aussi tout de suite pensé à Walt Disney en voyant la vidéo de présentation très corporate, d’ailleurs pour ceux qui n’auraient pas vu ce lien (et aussi pour les autres), je vous conseille d’aller voir l’exposition Dreamland qui est en ce moment à Beaubourg, il y a entre autres une partie qui est consacrée à l’EPCOT project de Walt Disney.

  7. By Sophie D. on Juin 3, 2010

    correction : les affiches ne m’avaient pas trop convaincue

  8. By Sophie D. on Juin 3, 2010

    recorrection : j’ai vraiment un bug avec cet accord convaincu!!!

  9. By Wood on Juin 3, 2010

    Je note qu’à aucun moment dans le film Tony Stark ou Nick Fury ne remettent en cause le comportement de feu Howard Stark, qui a fait expulser ce vilain russe qui ne pensait qu’à se faire de l’argent, hou le vilain ! Comme punition il est mort dans la misère, bien fait pour lui.

  10. By Jean-no on Juin 3, 2010

    @Wood : c’est ce que je trouve intéressant, on peut écrire une histoire bien différente de cette version officielle, fournie par un chef d’agence de renseignement qui plus est.

  11. By darkoneko on Juin 9, 2010

    « le sort d’Ivan Vanko est un peu trop rapidement réglé (quel gâchis !) »

    Tout le monde s’est barré avant l’explosion et on ne le vois pas dedans ; donc la loi des séries veux qu’il soit toujours vivant :)

  12. By Jean-no on Juin 9, 2010

    @Darkoneko : on le voit gisant, quand même, non ? Je n’ai pas eu le courage de rester après le générique pour voir s’il y avait un « twist » prometteur…

  13. By Wood on Juin 9, 2010

    Ce qu’on voit après le générique ne concerne pas Ivan Vanko.

    (tu as remarqué que Nick Fury et son collègue du SHIELD ne cessent de mentionner les ennuis qu’ils ont « dans le sud » ?)

  14. By Jean-no on Juin 9, 2010

    Ah c’est pour annoncer le film Vengeurs (de Joss Whedon) ?

  15. By Noam A. on Mar 23, 2011

    toujours, au bout de l’errance sur le web, je tombe sur un lien pointant vers hyperbate, c’est quand même sacrément bath, ! Alors pour la peine, lecteur de longue date, je lâche un p’tit com’ pour dire que c’est rudement chouette chez vous.

    et comme ça arrive sur le post de cette vieille tête de fer,
    voici une spéciale dédicace Ironic Man :
    http://www.flickr.com/photos/nor-khat/4098382490/
    Sacré Iconic Man, tout de même : le visage le plus expressif de tout l’univers Marvel ! Avec trois trous dans la tôle…
    http://www.flickr.com/photos/nor-khat/3100392330/in/photostream/

    NN.AA.

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