Max Headroom
novembre 5th, 2008 Posted in logiciels, Ordinateur célèbre, SciencesMax Headroom est une icône des années 1980, au point d’avoir été choisi pour la couverture du volumineux livre New Wave (Mariel Primois et Jean Rouzaud, avec le regretté Jean-François Bizot, 1997). Il est pourtant mal connu, en témoigne la présentation qui est faite de lui dans le livre :
1987. Max Headroom, un type comme vous et moi ?
Beaucoup pensent que cet homme au sourire épatant est un acteur. Les mêmes pensent que le président des États-Unis est un acteur. Ni l’un ni l’autre, Max Headroom est pourtant une créature télévisuelle, une créature virtuelle sortie des cerveaux de Ricky Morton et d’Annabel Jankel.
Des mensurations banales, des goûts moyens, il incarne la star des années quatre-vingt : la boite noire. Il fera fureur deux saisons en présentant des news clippées avec ricanements synthétiques sur Channel 4.
Effectivement, on a souvent présenté Max Headroom comme le tout premier présentateur « virtuel » de télévision. C’était un abus, à plusieurs titres. Tout d’abord, il n’est pas le premier présentateur « virtuel » — au sens de « artificiel » — puisque l’on pourrait qualifier de la sorte tous les personnages dessinés ou les marionnettes qui présentent des émissions télévisées, notamment en direction du jeune public. On me dira qu’il ne s’agit pas de ce virtuel-là, mais d’un virtuel exclusivement informatique, et donc que Max Headroom a été le tout premier présentateur à être modélisé sur ordinateur.
Mais c’est faux aussi, car malgré ce qu’ont laissé croire ses concepteurs à l’époque, Max Headroom était en fait Matt Frewer, un acteur couvert d’un masque réalisé par le sculpteur John Humphreys1 . Pas un gramme de modélisation informatique en 3D ici.
Débarqué en 1985 (et non 1987 comme il est dit plus haut) sur la chaîne britannique Channel 4, il animait le Max Headroom Show, une émission de diffusion de vidéoclips. Cadré en plan rapproché, sous les épaules, et incrusté sur un fond géométrique en mouvement, Max Headroom avait un visage long, un front haut, des cheveux blonds artificiels plaqués en arrière, un smoking noir brillant et une cravatte assortie. Tantôt il portait des ray-bans et tantôt il laissait voir ses yeux clairs. Il lui arrive de bégailler comme un disque rayé, la hauteur et la vitesse de sa voix, ses expressions et son intonation changent brusquement comme s’il était atteint d’un problème neurocomportemental tel que le syndrôme de Tourette, ou victime d’interférences, d’un problème de magnétoscope, d’un bug. Insolent, irrévérencieux, arrogant, il peur ronfler de manière ostentatoire pour faire savoir à son interlocuteur qu’il l’ennuie, se montre volontiers blessant ou humiliant. Il est la quintessence du présentateur de télévision : vide, n’existant que par et pour l’écran, sans affect, insupportable. Adorant s’écouter parler, il passe son temps à produire des phrases de comique de stand-up telles que « Je peux comprendre pourquoi les gens préfèrent la télévision à la radio. Ils remarquent à quel point il est ennuyeux de regarder la radio » ou « Il est facile de savoir quand un politicien ment : ses lèvres bougent ».
Dans son émission, on le voit interviewer Sting, Roger Daltrey ou les Duran Duran. Les artistes se trouvent dans un décor de studio un peu toc et Max Headroom s’adresse à eux depuis un téléviseur.
Afin d’inventer une raison d’être à ce personnage, ses concepteurs ont créé un téléfilm intitulé 20 minutes into the future, diffusé le 4 avril 1985 précisément. Deux ans plus tard, le même scénario a été refilmé dans une version plus courte pour devenir le pilote d’une série télévisée américaine qui a eu quatorze épisodes en tout, distribués sur deux demi-saisons.
Foisonnant d’idées, le feuilleton Max Headroom est sans doute la première série télévisée que l’on peut qualifier de « Cyberpunk », registre qui a depuis été représenté sur le même support par les séries Robocop et Dark Angel notamment.
20 minutes into the future
L’histoire de Max Headroom commence par celle d’Edison Carter, reporter vedette de la chaîne Canal 23, dans un monde gouverné par la télévision. Carter cherche à savoir la vérité sur une nouvelle technologie baptisée Blipverts, des spots publicitaires tellement rapides qu’ils causent des troubles nerveux chez certains de ceux qui y sont soumis, jusqu’à les tuer. Ce que découvre le héros constitue un embarras pour ses employeurs qui décident de le faire assassiner. Un petit génie de l’informatique, Bryce Lynch, qui est aussi l’inventeur des Blipverts, parvient à répliquer le cerveau d’Edison Carter dans un ordinateur, donnant vie à une entité virtuelle, Max Headroom. Le but de Bryce et du patron du canal 23 est de remplacer le reporter vedette, qu’ils croient mort, par son double virtuel. Le nom de Max Headroom vient de la dernière chose qu’a vu Carter avant d’être assommé : un panneau de signalisation indiquant une hauteur maximale pour les véhicules (max. headroom).
Vendu comme cadavre à une banque d’organes, Carter survit à son coma et reprend son enquête. L’ordinateur qui contient Max Headroom atterrit quand à lui dans la régie d’une station de télévision, Big Time, qui a, selon le mot de Max Headroom, deux employés et trois spectateurs. Depuis ce média libre (et itinérant), Max Headroom laisse libre cours à son exubérance et mélange mauvais calembours et dénonciations de malversations.
Max Headroom et Edison Carter forment alors un très efficace tandem de redresseurs de torts (ce qui me rappelle le mot de Lemmy Caution dans Alphaville : Avez vous remarqué que journaliste commence par la même lettre que justicier ?).
L’air de ne pas y toucher, la série traite du rapport entre information et divertissement, entre spectacle, religion, médecine et business, entre le pouvoir des networks et la liberté de chacun. Des thématiques très politiques et plutôt novatrices ou en tout cas rares pour l’époque bien qu’il s’agisse tout de même d’une série à l’ancienne, une série pré-Twin Peaks, c’est à dire sans véritable progression des personnages ou de l’intrigue sur la durée : à chaque épisode, les compteurs sont remis à zéro, avec un vague suspense sentimental (Carter déclarera-t-il sa flamme à la belle Theora Jones ?).
L’histoire aurait par ailleurs été plus intéressante si les scénaristes avaient osé aller au bout de leur idée, en laissant Edison Carter mourir pour de bon et en faisant de Max Headroom non un clone mais bien la survie numérique d’une « âme ».
La bande musicale est signée par Midge Ure et Chris Cross, deux légendes de la musique New Wave (Visage, Ultravox). Les réalisateurs et scénaristes, Annabel Jankel et Rocky Morton, sont quand à eux deux importants réalisateurs de clips vidéo de la même époque (Talking Heads, Tom Tom Club, Elvis Costello).
La série était sans doute un peu en avance sur les préoccupations du grand public, bien que beaucoup l’aient regrettée et qu’elle ait obtenu trois Emmy Awards. Elle a été peu diffusée hors des pays anglo-saxons et du Japon et n’est, pour l’instant, toujours pas éditée en DVD, du moins pas officiellement puisqu’il existe tout de même des DVDs pirates réalisés à partir d’enregistrements Laserdisc.
Une rumeur récurrente prétend que William Gibson (Neuromancien, Johnny Mnemonic) a écrit le scénario d’un épisode jamais tourné pour Max Headroom, mais il semble que ce soit infondé.
La célébrité
Ce ne sont sans doute ni son émission ni sa série qui ont rendu Max Headroom célèbre, mais tout le reste.
Il a notamment été employé par le groupe Art Of Noise (pour le titre et le clip Paranoimia), et surtout, il a prêté son image à une campagne pour la marque Coca Cola. Cette campagne intense (je découvre régulièrement de nouveaux posters, badges ou tee-shirts qui s’y rapportent) a été une des causes de la disparition de Max Headroom, car il y faisait la promotion du « New Coke », un produit créé pour remplacer le Coca Cola classique et pour concurrencer Pepsi auprès des jeunes, mais qui n’a jamais convaincu le public. En dehors de quelques erreurs de communication (notamment un spot comparatif où on voit Max Headroom humilier une cannette de Pepsi et que le public interprêtait comme une publicité pour la marque Pepsi), la campagne a cependant connu un vrai succès (peu de campagnes de pub se déclinent à ce point sous forme produits dérivés), jusqu’à faire complètement oublier le produit.
Headroom a été interviewé par David Letterman, un animateur de talk-show américain qui lui ressemble énormément par son humour et son agressivité, par Newsweek (dont il fait la couverture), Starburst, Sinclair Programs, Smash Hits et même par Playboy magazine, qui lui découvre/fabrique une âme soeur, Maxine Legroom (Sondra Greenberg) dans l’édition de janvier 1987 de la légendaire revue de charme.
On le trouve aussi transformé en distributeur de bonbons, on voit sa figure sur des tee-shirts, des posters, en autocollants, sur des mugs, sous forme de livres, sur des montres, des horloges… Mais, une fois la série disparue, son univers visuel s’avère rapidement limité et le personnage disparaît complètement vers 1988.
Max Headroom a créé une sorte de modèle, car on le retrouve recyclé ou pastiché à de nombreuses reprises. Dans le second épisode de Retour vers le futur, par exemple, les consommateurs du « Café 80s » sont accueillis par des téléviseurs sur lesquels les têtes de Michael Jackson, Ronald Reagan et de l’Ayatollah Khomeini prennent les commandes et se disputent. Devant leur frénésie, le héros du film, Marty, les fait tous taire en disant : « donnez-moi juste un Pepsi ! » — réplique plutôt amusante si l’on se rappelle du rapport entre Max Headroom et les marques de soda. Le fond animé et les bégaiements des personnages font directement référence à Max Headroom. Il en va de même avec le pompiste du film Nirvana et pour de nombreuses autres intelligences artificielles de présentateurs, d’hôtesses, de secrétaires ou de conseillers que nous avons pu voir dans des publicités ou des films depuis.
Le retour
Tout dernièrement, c’est à dire vingt ans après la disparition de Max Headroom, Channel 4 a redonné vie à son animateur impertinent pour promouvoir le passage à la diffusion numérique.
Dans le spot, on voit un Max Headroom vieilli, radotant, depuis l’écran d’un téléviseur ancien. Devenu pensionnaire d’une maison de retraite, il explique à l’infirmier blasé qui le promène que, dans les années 1980, il fut une célébrité, et qu’il avait toujours eu raison : « un jour vous serez digitaux, comme moi ! ».
Je n’arrive pas à me rappeler de beaucoup d’histoires d’êtres humains devenus des programmes informatiques avant Max Headroom. Le thème est un peu présent dans Les décimales du futur, mais il est à peine ébauché. On s’en approche plus avec l’extraordinaire personnage de Brian O’blivion dans le film Videodrome de David Cronenberg. O’Blivion (comme oblivion, « oubli ») est décédé mais personne ne le sait en dehors de sa fille qui diffuse ses cassettes vidéo pré-enregistrées.
Il y a eu énormément d’exemples, en revanche, après Max Headroom et notamment depuis l’avènement du World Wide Web qui crée un territoire pour les entités virtuelles. Je peux citer Neurobrain dans la série télévisée Robocop, Jobe dans le film Le Cobaye, le Serial killer Karl Hochman dans Ghost in the Machine, le major Motoko Kusanagi dans Ghost in the Shell… La liste peut aisément être continuée — n’hésitez pas à me suggérer des références en commentaire à cet article.
Ce qui est intéressant avec ce principe de la survie d’un individu sur support informatique c’est qu’il ne s’agit pas complètement de science-fiction, que cela relève même moins du fantastique que ne le font les promesses consolatoires des religions en la matière.
Avec le livre, déjà, on pouvait accumuler des connaissances et permettre à une tournure d’esprit de survivre à son possesseur. L’humeur ou la sensibilité de Proust ou de Rousseau existeront par exemple pour toujours, il suffit chaque fois d’ouvrir leurs livres pour leur redonner une existence. Existence incomplète (puisque reposant sur ce que l’auteur a voulu ou a pu faire connaître de lui-même) bien sûr, mais qu’est-ce qui est complet dans ce genre de registre ? D’autres supports d’enregistrement (son, image) permettent eux aussi de raviver dans une certaine mesure des personnes décédées.
L’art et la littérature servent en tout cas pour partie à faire survivre à leurs détenteurs les concepts, les percepts et les affects de ces derniers2 .
Mais l’interactivité ajoute une dimension à tout cela, elle permet de déléguer dans le temps, y compris par delà la mort, sa capacité d’action, ou en tout cas une partie de sa capacité à agir, y compris physiquement.
Je traîne un vieux projet artistique ou philosophique à ce sujet, nous en recauserons plus en détail.
- Les photographies du maquillage de Max Headroom ont été piquées sur le site du sculpteur John Humphreys. Je lui ai demandé la permission de les utiliser mais à vrai dire je n’ai pas reçu de réponse à ce jour. [↩]
- cf. Deleuze qui parle d’une « trinité » concepts-percepts-affects dans son cours Image temps – image mouvement, transcrit sous forme de texte sur www.webdeleuze.com (où les explications se perdent un peu au milieu des râleries du philosophe au sujet de l’exiguïté des salles de cours à l’université Paris 8). [↩]
4 Responses to “Max Headroom”
By FYTHELER on Nov 30, 2008
Pardon, I don’t speak French…yet. My artificial intelligent computer is trying to teach me! May we see more of the Playboy Pictoral of (Sandy Greenberg’s) MAXINE LEGROOM? She greatly compliments (Mat Frewer’s) MAX HEADROOM in more then one way! Uh…Merci?
By Jean-no on Nov 30, 2008
@Fytheler : Sorry, I just found a few stuff on the Internet (you’ll easily find the same yourself) but I don’t have the January 1987 edition of Playboy magazine where Maxine Legroom in presented. She is sometime confused with another Max Headroom’s female alter ego, Maxine (an x rated movie I guess)
By Trance007 on Mai 23, 2010
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