Le jeu de la mort
mars 18th, 2010 Posted in Écrans et pouvoirLe contexte : Christophe Nick, journaliste, ancien grand reporter du regretté Actuel, a reproduit pour la deuxième chaîne française une expérience classique de la psychologie sociale, la célèbre expérience de soumission à l’autorité mise au point par Stanley Milgram au début des années 1960. Dans l’expérience d’origine, le cobaye était placés en situation d’électrocuter un autre cobaye (en réalité, une personne jouant le rôle de cobaye) lorsque ce dernier ne répondait pas correctement aux questions qui lui étaient posées. Sous l’autorité d’un scientifique en blouse blanche, des personnes absolument normales s’avéraient capables de se comporter en bourreaux et d’appuyer sur des leviers malgré les cris de douleur poussés par leur victime. Cette expérience, qui avait inspiré le film I comme Icare, d’Henri Verneuil, entendait mettre à jour le mécanisme qui avait permis à des gens normaux de participer à la furie nazie, notamment.
Dans l’émission qui vient d’être diffusée, le laboratoire a été remplacé par un plateau de télévision. Le prétexte n’est plus celui d’une expérience scientifique mais celui d’un jeu intitulé Zone Xtrême, et le scientifique en blouse blanche a été remplacé par une animatrice avenante, Tania Young.
Le propos de Christophe Nick est de s’interroger sur nos faiblesses psychologiques autant que sur la puissance et le caractère potentiellement néfaste de la télévision. Le premier point est rapidement démontré. Avec l’aide de l’universitaire Jean-Léon Beauvois, Tania Young parvient à amener 80% des participants au jeu à accepter, contre tous leurs principes et en semblant eux-mêmes souffrir, de torturer une personne dont ils entendent les hurlements. Dans une variante de l’expérience où l’animatrice quitte le plateau et laisse chacun seul face à ses choix, les cobayes parviennent à abandonner le jeu dès qu’il cesse d’être drôle. Mais lorsqu’elle reste et qu’elle utilise quelques phrases-clé précises, rares sont ceux qui trouvent la force d’arrêter. Le processus est plutôt bien analysé, on voit des comportements très précis se mettre en route à diverses étapes de l’expérience : le rire, les tentatives d’aider discrètement le faux-cobaye à éviter les électrocutions, la négociation, le fait de couvrir la voix du faux-cobaye, etc.
J’ai lu après l’émission que le profil sociologique des participants avait été précisément calibré : autant d’hommes que de femmes, âgés de 25 à 55 ans, n’ayant jamais participé à un jeu télévisé et n’étant pas en demande de le faire (j’ai raté le début et j’ignore comment ils ont été recrutés précisément), et ayant un niveau d’études qui va de Bac-2 à Bac+3. Le propos de Christophe Nick est de prouver que nous pouvons tous être victimes de la pression du groupe et de l’autorité d’une personne qui nous a été présentée comme ayant un ascendant hiérarchique sur nous.
Une chose qui ne me semble pas avoir été dite au cours de l’émission ni après, qui aurait peut-être pu consoler les participants, c’est le fait notoire en psychologie que les gens qui sont le plus aisément soumis à l’autorité sont non seulement des gens normaux, mais souvent aussi des gens serviables ou consciencieux, des braves gens en somme, comme s’il fallait être un peu égoïste ou nonchalant pour avoir la force d’esquiver le piège que peut représenter l’autorité.
L’insistance de Christophe Nick à vouloir parler de télévision masque par ailleurs les enjeux plus larges de cette question de la soumission à l’autorité : tout le monde ne passe pas à la télévision, mais tout le monde en revanche est amené à exécuter des ordres arbitraires et parfois à faire souffrir directement ou indirectement une personne sous le commandement d’une autre, contre son gré, dans son cadre professionnel notamment.
Une chose rassurante apparaît tout de même : si « n’importe qui » peut être bourreau, il semble aussi que « n’importe qui » puisse se montrer réfractaire aux ordres iniques — ceux qui ont agi avec courage ne semblent eux non plus pas avoir grand chose d’exceptionnel.
L’impact de la télévision n’est pas la partie du sujet qui s’avère la mieux traitée par le reportage, qui malgré pléthore d’images d’antennes de télévision et un commentaire assorti ne parvient pas à être très convaincant, l’expérimentation n’incluant absolument pas de variante hors télévision, ni de changement de contexte qui révèleraient quelque chose de précis sur ce point. Que se passe-t-il avec un public qui réagirait différemment ? Avec un animateur au lieu d’une animatrice, avec une animatrice laide, avec deux animateurs qui ne sembleraient pas d’accord entre eux…?1
Une chose m’a frappé, qui a peut-être un rapport avec les médias et peut-être pas (peut-être est-ce avant tout en rapport avec notre statut d’animal social), c’est que les participants au jeu, qu’ils se soient montrés soumis ou au contraire récalcitrants, ont énormément utilisé le mot « image » ou la notion de regard pour qualifier leurs actions ou leur personnalité, par des phrases redondantes telles que « ça ne correspond pas à l’image que j’ai de moi » ou « je ne me vois pas comme ça », « je ne me voyais pas me lever ».
L’apport véritable de l’émission en tant que critique de la télévision vient plutôt du débat qui a suivi, un débat énervé qui illustre par l’exemple tout ce que la télévision a d’intrinsèquement totalitaire. Le débat a été diffusé en différé et je n’ai pas été étonné d’apprendre qu’il s’était déroulé de manière bien plus houleuse que ce qui a été montré dans le montage final. L’animateur, Christophe Hondelatte, a séparé ses invités en trois groupes : les participants au jeu (une demoiselle qui a abandonné l’expérience en cours de route et un jeune homme qui est allé jusqu’au bout), quelques intellectuels (un historien, une psychanalyste et deux philosophes) et pour finir, trois spécialistes des médias (une journaliste de magazine télé, l’inénarrable Jean-Marc Morandini et enfin David Abiker, ancien d’Arrêts sur Images).
Le témoignage qu’Alexandre Lacroix a donné dans la presse par la suite est effrayant. Il raconte que l’animateur a tenté d’arracher au participant « bourreau » venu sur le plateau la confession de son homosexualité avant de la révéler lui-même. Lacroix, rédacteur en chef de Philosophie Magazine (« partenaire de la soirée »), a ensuite osé prendre cet épisode scabreux comme exemple du caractère fasciste de la télévision. Ulcéré, l’animateur a voulu expulser du plateau le journaliste philosophe… Aucune de ces deux séquences n’a été diffusée.
Car voilà les limites de la télévision lorsque celle-ci fait sa propre critique aux heures de grande écoute : elle se donnera toujours le beau rôle, se posera en arbitre2. Lorsque la non-neutralité de son rôle est mis à jour, ou seulement évoqué, la machine se fait odieuse et révèle son caractère dominateur, agressif et injuste.
Pas la peine d’être un spécialiste de l’éthologie humaine pour voir les techniques dépoloyées sur le plateau par l’animateur. Lorsque Géraldine Muhlmann, journaliste mais aussi agrégée de philosophie, garde la parole un peu trop longtemps à son goût, Christophe Hondelatte la pointe d’un doigt autoritaire et dominateur presque comique dans le contexte puisque celle qu’il intime gestuellement de se taire est précisément en train de dire que la désobéissance est un devoir pour chacun. Avec d’autres, il tente d’établir une connivence ou au contraire de distribuer le temps de parole, etc. Enfin il fait son métier d’animateur de plateau. Enfilant un a un comme des perles tous les poncifs de la télévision, il demande à la cantonade comment on peut prévenir ce genre de situations : quelle prévention, quelle réglementation ? La télévision va-t-elle vers toujours pire ? Il semble chercher à établir que France 2 n’est pas concernée par la question et évoque des responsables de TF1 et de la maison de production Endemol, spécialisée dans la télé réalité, qui ont finalement préféré éviter de participer au débat. Toujours pour extraire sa chaîne du débat, le journaliste a présenté une courte séquence de « zapping » étrange où, ponctuées par l’image fixe d’un œil bleu (enfin je crois, car ma réception TV n’est pas bonne), étaient diffusées sans explications des images choquantes issues de télévisions étrangères : roulette russe, dissection de cadavre, cycliste en sang.
Enfin, il se pose en arbitre d’un sens de la démocratie évidemment feint, qui donne la même importance à chaque intervenant, qu’il s’agisse d’une personne qui a des choses passionnantes à raconter ou au contraire de quelqu’un de parfaitement imbécile comme semble l’être Isabelle Morin-Dubosc, journaliste pour un programme-télé, qui s’est dite ulcérée que l’on fasse une expérience avec un jeu télévisé qui n’existe pas (!?) ou qui fustige les « beaux esprits » qui jugent la télévision et la France « d’en haut » qui se moque, dit-elle, de la France « d’en bas » par le biais de l’émission Strip-Tease.
L’émission s’achève dans une ambiance électrique sur la marche des funérailles de la reine Mary, d’Henry Purcell, air familier pour avoir été repris au synthétiseur par Wendy Carlos pour le bon mauvais film Orange Mécanique, par Stanley Kubrick.
Le sujet de la soirée, finalement, ça aura été d’établir une fois de plus l’embarras de la télévision face à ses responsabilités vis à vis du public et à son ambition de toujours être juge et partie. Même s’il ne maîtrise pas aussi bien son propos qu’il l’aurait sans doute voulu, on peut saluer l’effort méritoire de Christophe Nick et son souci de protéger les participants à son reportage vis à vis du jugement du spectateur.
Une image me reste, celle du professeur Jean-Léon Beauvois3, avec sa barbe blanche et sa physionomie de professeur, en train d’expliquer les bases de la psychologie sociale à Tania Young. À l’écran, entre les deux personnes, il y a une sorte de disproportion, une opposition caricaturale entre jeunesse et sagesse, glamour et ordinarité, sophistication et normalité. La belle et grande brune à la peau bronzée face au pâle professeur retraité. On pourrait presque sentir la différence entre leurs parfums respectifs. L’image est à la fois touchante et insupportable, ces deux mondes ne semblent pas faits pour cohabiter — quelle que soit la bonne volonté de la jeune femme, qui n’a pas l’air cruche —, comme le spectacle et l’existence n’ont pas vocation à cohabiter, comme le mont Olympe ne peut souffrir très longtemps la présence des mortels.
Lire ailleurs : Critique de la télé-réalité ou télé-réalité de la critique ? par André Gunthert ; Le jeu de la mort sur France 2 : entre singes et loups, par Marie Muzard.
- La psychologie sociale a beaucoup étudié la télévision, on peut en avoir un aperçu dans le livre 150 petites expériences de psychologie des médias, par Sébastien Bohler, paru chez Dunod en 2008, qui recense de nombreuses expériences tout à fait passionnantes. [↩]
- Relire Sur la télévision, de Pierre Bourdieu, qui était parvenu à fâcher jusqu’à Daniel Schneiderman, champion autant qu’il est possible de la critique de la télévision à la télévision. [↩]
- Co-auteur de l’excellent Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. [↩]
20 Responses to “Le jeu de la mort”
By Gunthert on Mar 18, 2010
Merci pour la mention! J’ai moi aussi été frappé par les cours pseudo-improvisés du professeur à l’animatrice, la rencontre extra-terrestre de ces deux univers, sorte de réconciliation rêvée de la science et de la télé. Un croisement un peu trop beau pour être honnête…
By Gunthert on Mar 18, 2010
(Tu as vu que je t’ai piqué ton système visuel? 4 images, ça marche très bien pour un film! Merci pour le principe, j’espère qu’il n’est pas breveté ;-)
By Christian Fauré on Mar 18, 2010
Il une bonne gestion de la mise en place des images le Jean No :-)
By Christian Fauré on Mar 18, 2010
Euh …sinon le « jeu de la mort » comme mauvais film cela n’enlève pas l’intérêt énorme de la dernière demi-heure
By Jean-no on Mar 18, 2010
Il y a quelque chose dans la fin du « Jeu de la mort » mais c’est un film fait de bric et de broc, monté après la mort de Bruce Lee. Ceci dit Bruce Lee était incroyable mais il n’a fait aucun bon film.
Pour mes images, j’ai une charte assez précise et j’ai même fabriqué un petit logiciel qui assemble les images de même taille, c’est une mécanique quoi. Pas très bien respectée cette fois-ci d’ailleurs parce que j’ai eu du mal à me procurer les images que je voulais (pas d’image du débat notamment, et des extraits de formats et de rapports homothétiques divers)
By jyrille on Mar 18, 2010
Ah mais n’importe quoi, Strip-Tease n’est pas « la France « d’en haut » qui se moque (…) de la France « d’en bas » »… C’est même souvent le contraire. Ah ces journalistes qui ne se renseignent pas, je suis bien content de ne plus allumer ma télé.
Quant à Orange Mécanique c’est un très bon film.
By Jean-no on Mar 18, 2010
Le mépris de la dame pour Strip-Tease était vraiment motivé par une sorte de poujadisme : il y aurait les beaux esprits qui se moquent, contre la TV « populaire »… Seulement la TV « populaire » néo-berlusconiste pense que le but de la vie de chacun est de vivre dans les paillettes et que le moyen est de se faire refaire les seins, tandis que la TV « élitiste » de Strip Tease se contente de laisser une caméra tourner devant des individus singuliers… Deux mondes très différents.
Orange mécanique est bourré de qualités mais ça n’est pas un si bon film je trouve, et je n’ais pas de mal à l’avouer car Stanley Kubrick non plus ne le trouvait pas très bon.
By Jourdren on Mar 19, 2010
Bonjour.
Si on demandait à des journalistes de cautionner une autocritique des politiques ou de tout autre pouvoir en place, je crois qu’ils nous riraient au nez.
Et cependant, c’est sans rire que la télévision tente de nous faire croire qu’elle en est capable.
Mais en constatant que l’émission était en différé et donc manipulable à merci, on comprend mieux la démarche, plus commerciale donc, que philosophique.
Espérons néanmoins que l’émission et le débat provoqueront une prise de conscience de la part de tous ceux qui ignoraienet ce mécanisme de soumission à l’autorité ( qu’elle soit médiatique, politique, religieuse ou militaire ).
By Gertrude on Mar 19, 2010
Strip Tease force le spectateur à réagir sur ce qu’il voit et à formuler un ressenti, quelque part. C’est l’absence d’animateur et de parti-pris narratif ou visuel qui favorise cela.
Alors que les véritables émissions pour « la France d’en bas » ne provoquent aucune réflexion, si ce n’est peut-être de répondre à quelques questions simplistes sur les « People » pour gagner 500€.
By Jean-no on Mar 19, 2010
@Gertrude : oui, Strip Tease questionne, Strip-Tease peut même être perturbant ou déroutant parfois mais du coup le spectateur réfléchit au lieu de se dire qu’il veut avoir le même sourire carnassier que l’animateur.
By coriolis on Mar 20, 2010
Un collectif se crée pour porter plainte contre France 2 ,le csa et les producteurs car ils ont utilisés les candidats et les spectateurs comme des cobayes avec tous les conséquences graves que cela a sur nos enfants et l’avenir des candidats qui passent maintenant pour des bourreaux.Vous étes tous concernés avocats ,journalistes,télé-spectateurs ,la loi Huriet interdit d’utiliser des candidats et de leur mentir sur la motivation profonde des producteurs.Réagissez. aristote_912@hotmail.com
By Jean-no on Mar 20, 2010
la loi Huriet interdit d’utiliser des candidats et de leur mentir sur la motivation profonde des producteurs
Notez plusieurs faits :
– 1 – si on force les télévisions à dire leurs motivations profondes à ceux qu’elles utilisent, ça peut nous amener assez loin : les participants aux tv réalités, jeux tv, micro trottoirs et autres reportages sont un matériau pour les chaines, rien d’autre. Leur liberté et leur individualité font rarement l’objet de beaucoup d’égards.
– 2 – les « cobayes » ont été traités de manière plutôt responsable, avec un accompagnement psychologique et une méthodologie scientifique claire. On peut se demander s’il fallait rééditer une expérience dont le résultat était connu d’avance, mais les choses ont été faites dans les règles de l’art
– 3 – personne n’a été passé dans le documentaire contre son gré. Certains ont refusé de voir leur image utilisée ainsi et ils n’ont pas été montrés. Il est intéressant d’apprendre que les gens qui ont refusé de passer dans le documentaire sont des gens qui ne sont pas allé « au bout ».
– 4 – quand vous dites « il faut pousser les candidats à porter plainte », n’êtes vous pas en train de proposer de les obliger à agir en suivant votre bon plaisir ?
By dido on Mar 21, 2010
J’ai ressenti cette émission comme bien plus manipulatrice qu’il y parait, vis à vis
a) des « questionneurs », cobayes d’une expérience dont ils n’imaginaient pas la tromperie, ni qu’ils allaient, pour certains, accepter de passer sur les ondes par les techniques comportementales et la pression du média.
b) de la salle encouragée à crier « punition, punition »
c) du public d’antenne 2. J’en reparlerai.
a) Pour ce qui est des « questionneurs » déjà :
Certes la société actuelle mélange de plus en plus la réalité et le virtuel (avec la TV et internet) et de plus en plus de gens prennent l’habitude de se dévoiler au public, ne serait ce que pour avoir une brève notoriété… Mais dans le cas présent, ils ont été doublement trompés :
– sur un premier objectif de la production qui était d’obtenir un nombre suffisant de témoignages/réactions « à chaud », et que les intéressés acceptent une diffusion sur les ondes.
– sur un deuxième objectif, qui était d’obtenir qu’à la suite d’une interview apparemment sans lien avec l’affaire, mais permettant de mieux comprendre leur personnalité, ils acceptent que des extraits soient passés sur les ondes.
A la suite de quoi, certains ont accepté de se montrer à 3 millions de téléspectateurs jouant le mauvais rôle (en envoyant 450 volts à une personne qui ne disait plus rien !), d’autres le « bon rôle » (en arrêtant de jouer avant 360 volts), – rassurés sans doute par les paroles apaisantes que « cela n’était pas grave » et qu’ils n’étaient pas les seuls – .
Mais comment vont ils gérer leur image vis à vis d’eux mêmes, de leur famille, et de leurs collègues de travail ? (Milgram n’a jamais demandé à ses cobayes, à ma connaissance, de pouvoir publier leurs photos dans son rapport. Il les fait suivre psychologiquement pendant 1 an, beaucoup ont très mal vécu ce qu’ils avaient découvert d’eux-mêmes).
Ils avaient certes donné leur accord à la production pour un droit sur leur image; ce contrat était trompeur et nul, puisque que les conditions n’étaient pas celles prévues ou crues (tirage au sort biaisé, inexistence d’un gain de 100 000€ à la clef, des punitions électriques de 20V en 20V jusqu’à un niveau potentiellement mortel). Mais cet aspect a dû leur échapper dans le contexte d’influence (jeu télévisuel, techniciens, présentatrice, psychologues, déploiement de moyens importants, ambiance de la salle), et ils en sont restés à leur premier engagement qu’ils avaient librement accepté, suivi d’une escalade dans les actes, un déterminant qualifié de « piège abscons » dans le « Petit traité de manipulation à usage des honnêtes gens », co-écrit par les Pr Joule et Beauvois justement).
Il eut été plus respectueux de ne pas demander à ces gens de se livrer ainsi, une fois l’expérience terminée, sachant qu’un certain nombre ne saurait pas refuser.
Pour accompagner les explications scientifiques, – qui méritait bien plus que ce qui a été montré -, la production aurait pu utiliser des acteurs jouant les rôles de ces personnes.
By Jean-no on Mar 21, 2010
@Dido : je ne pense pas que les conséquences de la diffusion des images aient été suffisamment pesées non plus. Milgram a diffusé ses films, mais de manière nettement plus confidentielle. Ici on est dans le mass-media, et les questions de l’époque de Milgram (comment les « honnêtes gens » ont-ils pu se fourvoyer dans la barbarie nazie) étaient dans toutes les têtes tandis qu’aujourd’hui l’émission de Christophe Nick devance la question et lui associe très maladroitement ses préoccupations relatives à la télé-réalité, en faisant lui-même de la télé-réalité, ce qui n’est pas un moindre paradoxe évidemment.
Par contre à ma connaissance, les participants au « jeu » ne croyaient pas gagner 100 000 euros, ils pensaient participer au pilote d’une émission, sans gain véritable.
Ce que je reprocherais à l’expérimentation, tout en tout, c’est peut-être qu’elle était inutile : on connaissait le résultat et la nouveauté du contexte n’a pas été traitée de manière vraiment intéressante – par exemple : sans public, les choses auraient-elles été les mêmes ? Je comprends que l’équipe de J-L Beauvois se soit laissée tenter par cette expérience, ce n’est pas souvent que l’on a de tels moyens dans un département de psychologie. Pendant le débat qui a suivi, Christophe Nick a pris conscience (en entendant l’animateur, qui cherchait des « bons » et des « méchants ») du rôle potentiellement problématique que cette expérience aurait sur la vie de ceux qui y ont participé mais évidemment c’est un peu tard.
Reconstituer avec des acteurs aurait pu être une solution, c’est vrai. Masquer les visages en post-production aurait été possible aussi. Il y a un côté assez peu bienveillant dans la démarche. C’est à mon avis tout à fait compréhensible du point de vue des chercheurs (au sens où certaines choses ne peuvent être découvertes ou prouvées que dans certaines conditions), un peu moins du point de vue de la production télévisuelle, surtout lorsque celle-ci entend faire la critique morale de son propre fonctionnement.
By dido on Mar 23, 2010
Je reste mal à l’aise en repensant à cette émission grand public, ses choix moins scientifiques et moins moraux qu’il n’y parait
1) Sur la manipulation de la salle avec un public et les chauffeurs de salle qui doivent encourager « le questionneur » à aller toujours plus loin en lui criant « punition, punition ».
N’y a t il pas eu quelqu’un dans la salle pour crier d’arrêter ?
2) Science ou spectacle pour les téléspectateurs ?
C’est vrai que cette émission a dû donner des moyens inhabituels à des chercheurs qui ont pu ainsi confirmer les expériences de Milgram et les affiner sur quelques points, à savoir :
– Que 80% des cobayes, les questionneurs, ont continué à envoyer des décharges électriques jusqu’à 460 volts, c’est à dire un niveau d’une mort possible du « questionné » (acteur), sous les injonctions de la chaîne tv ; Tania Young, disait qu’elle endossait entièrement la responsabilité – mais avec quelle légitimité ?-.
– Que les cobayes émus par les réactions de la victime dès 80 volts, ont cherché à éviter leur propre souffrance, en tentant de lui suggérer la bonne réponse, puis en couvrant ses plaintes de leur voix -.
– Que la plupart des cobayes arrêtent l’expérience lorsque que l’autorité paraît divisée, ou bien lorsque sa représentante quitte le plateau.
L’information du téléspectateur s’est arrêtée là pour des raisons propres à la tv.
2) Sur des variantes importantes mais non évoquées de l’expérience :
Il n’a pas été dit que Milgram avait montré que le pourcentage des cobayes continuant l’expérience s’écroule lorsque
– un contact physique est établi entre le « questionneur » et la « victime »
– une tierce personne (un acteur), mise dans les mêmes conditions que le cobaye, arrête et quitte la salle, – ce qui donne au cobaye le courage de défier l’autorité et d’en faire autant. –
3) Aucune antidote donnée au public :
Il est critiquable de ne pas avoir donné d’antidote à la situation et au comportement extorqué à une large majorité. En outre, il n’a pas été précisé combien de personnes ont refusé de participer au « jeu » après avoir appris que le « test de mémoire » consistait à envoyer des décharges électriques à quelqu’un, même volontaire.
Ce qui aurait pu être dit si l’émission avait eu une visée pédagogique :
a) Deux conseils pour éviter un tel « piège abscons » :
– se donner dès le départ une limite à ne pas dépasser
– apprendre à revenir sur une décision, dès lors que les conditions initiales de la décision initiale ont changé.
Référence : le livre déjà cité. Joule et Beauvois y conseillent de ne jamais perdre de vue
que nos actes nous engagent, et cela d’autant plus que l’on pense avoir décidé en toute liberté, mais aussi qu’un engagement même « peu coûteux » (ici en terme de souffrance pour l’autre) peut en entrainer d’autres bien plus coûteux.
b) Liens entre soumission à l’autorité et certains traits de personnalités :
Lorsqu’une situation pose la question de l’obéissance ou de la désobéissance à une autorité,
– La « soumission amicale », et « l’intégration sociale irréprochable » rendent difficile la rébellion contre une autorité
– L’expérience d’avoir été rebelle, comme lors d’une contestation sociale, permet de mieux résister à une autorité (jugée abusive ou illégitime).
(Selon la revue « Cerveau et Psycho » N°38 mars-avril 2010, qui précise qu’il ne s’agit pas de données scientifiques sur les personnes, mais du système social qui les a formées).
4) Mes conclusions sur l’émission « Zone extrême »:
Comme points négatifs
– Cette émission voulait démontrer que les télé-réalités ont le pouvoir de conduire à de graves dérives, mais en se présentant comme scientifique et morale, et non commerciale, elle a manipulé les cobayes, et trompé le public. Elle a omis de donner les clefs de la résistance à des ordres illégitimes ou amoraux.
– A la limite, l’émission « le maillon faible », malgré la rudesse de ses jugements, est moins destructrice pour les personnes. Celles-ci savent exactement ce qu’elles vont endurer : une exclusion humiliante en cas de mauvaise réponse de leur part.
Comme points positifs
– Un débat avec les réactions critiques de plusieurs journaux et blogues
– Une grande société de production de télé-réalité a annoncé qu’elle avait créé une charte de déontologie « respectant la vie humaine et refusant la violence ». D’autres ont expliqué que leur déontologie personnelle était de « ne pas abuser de leur pouvoir sur un candidat ». Espérons que ces annonces seront écrites et auront valeur d’engagement permanent. Et que le CSA leur rappellera au besoin.
By Christophe Nick on Avr 9, 2010
Je découvre votre blog comme vous m’y avez invité. Je doute d’avoir encore l’énergie de répondre aux posts qui vous sont adressés -j’ai franchement l’impression d’avoir déjà répondu à la plupart des objections sur d’autres forums et ne peut que renvoyer vos amis à ceux-ci, ou au livre que nous avons écrit avec Michel Eltchaninoff (l’expérience extrême) qui reprend l’ensemble du protocole, les variantes etc. J’aurais de nombreuses précisions à vous apporter concernant le débat -elles seraient triviales et hélas beaucoup plus médiocres que ce que vous décrivez, notamment concernant le choix du différé et des invités. Pour faire court, l’extrême tension sur le plateau avait été anticipé et avait donc justifié le choix du différé, au cas où ça tournerait mal… Ce qui s’est justement produit. J’insiste: ce débat m’attriste, tant par sa forme que par son résultat. Ni notre équipe, ni l’unité documentaire n’en sont responsables.
Je trouve très pertinent votre analyse sur le rapport Tania Young/Jean Léon Beauvois. Mais je serais plus indulgent. La jeune animatrice et le vieux sage: je trouve cela très humain. Ne s’agissait-il pas simplement d’une transmission de savoir entre un professeur et une élève? Et comme vous aimez les références, quelque chose du vieil homme et l’enfant? Vu le ras de marée que ce programme a déclenché chez les 15-35 ans, j’y vois quelque chose de rassurant.
En toute sympathie…
By Jean-no on Avr 10, 2010
@Christophe Nick : merci de vous donner tant de mal à assurer l’après-vente de votre émission, ce n’est pas une attitude banale. Je comprends que vous manquiez un peu de forces pour continuer.
By Denis on Mai 8, 2010
« […]quelqu’un de parfaitement imbécile comme semble l’être Isabelle Morin-Dubosc » C’est cruel, vous ne craignez pas de faire souffrir ! 480V ?
By Jean-no on Mai 8, 2010
@Denis : Je reste prudent, j’écris « semble ». En effet je ne peux juger que de ce que j’ai perçu…