Profitez-en, après celui là c'est fini

Fusion

mars 15th, 2010 Posted in Hacker au cinéma

Le film est aussi réjouissant que lamentable : la terre ne fonctionne plus bien, les pigeons londoniens sont devenus fous, les pace-makers cessent brusquement de fonctionner, on voit des aurores boréales depuis toute la surface de la planète et des orages désagréables sèment le chaos.
Josh Keyes (Aaron Eckhart, qui interprètait le propagandiste survolté de Thank you for smoking et le personnage de Double-Face dans The Dark Knight), professeur d’université, est contacté par l’administration américaine pour savoir si la cause du problème est naturelle ou s’il s’agit d’un fait de guerre. Josh mobilise son laboratoire sur des programmes de simulation et finit par découvrir ce qu’il se passe : le noyau interne de la planète a cessé sa rotation, ce qui perturbe le champ magnétique qui fait fonctionner les boussoles et nous protège des rayons cosmiques.
Au lieu de donner un coup de fil aux services secrets qui l’avaient contacté en premier lieu, Josh tente d’approcher Conrad Zimsky, un professeur médiatique qui publie des ouvrages de vulgarisation tout en étant le plus grand spécialiste mondial du géomagnétisme. Zimsky est aussi un proche de l’armée américaine pour le compte de qui, on l’apprendra plus tard, il a mis au point une arme de perturbation du champ magnétique terrestre. La scène de la rencontre est très drôle. Josh dissipe un malentendu : « Je ne veux pas d’autographe, je veux que vous lisiez mon rapport » « De quoi s’agit-il ? »« Ça concerne la fin du monde ».  Voyant que le sujet semble important, Zimsky lit le rapport, mais finit par en réfuter les conclusions : « vous avez dû vous tromper dans vos calculs ».
Josh part alors se saoûler avec son camarade Serge Leveque (Tchéky Karyo), scientifique français spécialiste des armes qui avait lui aussi été contacté par le gouvernement américain. Mais Zimsky ravale son orgueil de mandarin et découvre que Josh a sans doute raison. Il convie donc ce dernier à une rencontre avec des militaires haut-gradés, à qui les deux scientifiques expliquent ce qu’il se passe et ce qu’il va se passer : on va tous mourir et il n’y a rien à faire puisqu’il est technologiquement impossible de se rendre à l’intérieur de la terre.

Impossible ? Mais non, un film des années 2000 ne peut pas s’arrêter là ! Quelque part sur le grand lac salé de l’Utah se trouve le docteur Brazzleton, ancien collègue de Zimsky que ce dernier a vraisemblablement spolié de ses découvertes dans le passé. Brazzleton a mis au point quelques inventions qui semblent avoir été imaginées précisément pour se rendre au centre de la terre : une foreuse laser surpuissante qui fait des trous dans les montagnes comme si elles étaient faites de beurre et un alliage extraordinairement résistant qui gagne en solidité à mesure que la pression à laquelle il est soumis augmente. Bref, il ne reste plus qu’à construire un vaisseau explorateur des grands fonds terrestres, un jeu d’enfant, quoi. L’équipage du navire est composé de tous les scientifiques, et de deux astronautes, un type dont on sait dès la première minute qu’il n’arrivera pas à la fin de l’histoire, et le major Rebecca Childs (Hilary Swank) une demoiselle extrêmement jolie dont on sait dès la première minute qu’elle arrivera à la fin de l’histoire, et dans les bras du héros, évidemment. La suite est assez mécanique et un peu ennuyeuse : tout fonctionne comme prévu, mais les pertes humaines se succèdent de manière prévisible et dans l’ordre le plus logique, chacun y va de son petit sacrifice rédempteur : Serge meurt pour que son épouse et ses filles vivent, Zimsky, qui est sans doute responsable de la catastrophe, accepte son destin, etc.
À la fin, il ne reste que le beau gars et la belle fille, qui tombent amoureux comme de bien entendu.

Bref, Fusion (The Core, en anglais), sorti en 2003, est un film de fin du monde assez banal, sans doute ni pire ni meilleur que Le Jour d’après demain et Armageddon mais infiniment moins réussi que Sunshine. On y retrouve quelques relents eux aussi pas franchement inattendus du Voyage au centre de la terre et un humour téléphoné assez habituel à ce genre de récit : « De quoi avez-vous besoin pour construire ce vaisseau en trois mois ? » — « de 50 milliards de dollars ! »« Vous prenez les chèques ? ».
Les notions scientifiques évoquées sont pour la plupart complètement fantaisistes, évidemment. Certaines séquences sont franchement comiques, comme une interminable destruction de Rome par la foudre qui, on ne sait trop pourquoi, ne semble viser que les monument tels que le Forum, le Colisée et les arcs impériaux, mais aussi des kitcheries inspirées de l’antique, comme le palais de Victor-Emmanuel II. Bref, un orage qui fait du tourisme.

Reste un personnage distrayant, celui de Taz Finch, dit « Rat » (Donald Joseph Qualls, physique intéressant de vieil ado, avec un nez en trompette qui lui donne un air de lutin de contes de fées), le hacker de service, car il en faut un. En effet, si la fin du monde est pour demain, il faut éviter la panique générale et c’est pourquoi « Rat » est embauché par le gouvernement pour empêcher la diffusion d’informations inquiétantes sur Internet.
Lorsque le FBI le contacte, « Rat » panique et détruit tout son matériel. Il brûle ses disquettes dans un grille-pain et met ses cdroms au micro-ondes. Il semble qu’il ait des activités illégales et lorsque sa porte est enfoncée, il bredouille quelque chose comme : « Les apparences sont trompeuses, je sais que vous croyez qu’il s’agit d’ordinateurs mais pas du tout » — les scénaristes se réfèrent ici aux affaires dans lesquelles des hackers célèbres (Kevin Mitnick, Kevin Poulsen,…) se sont vus interdire de s’approcher d’un ordinateur pour une certaine période.
Pourtant le FBI ne vient pas l’arrêter mais au contraire l’implorer d’apporter son aide. Le système que « Rat » met au point détecte les mots-clés embarrassants  (« fin du monde », « apocalypse »,… ?) et empêche les rumeurs qui se rapportent à l’opération de sauvetage du noyau terrestre de se propager en les censurant à la volée.
« Rat » accepte, en échange de la promesse qu’on lui fournisse des vidéos pornographiques.

Pendant la séquence où on lui propose cet emploi, « Rat » utilise un sifflet improvisé avec un emballage de chewing-gum sur le téléphone portable de Josh et le lui restitue en affirmant que l’opération a rendu le mobile capable d’appeler partout dans le monde sans payer les communications.  Il s’agit d’une allusion au célèbre phreaker (pirate téléphonique) John Draper, dit « Captain Crunch », qui avait découvert qu’un sifflet fourni dans les céréales Capt’n’Crunch émettait une note particulière capable de tromper les terminaux téléphoniques Bell sur la nature de leur correspondant et de rendre gratuites les communications opérées après le coup de sifflet… Mais l’affaire Captain Crunch date de la fin des années 19601 et il est peu probable que le réseau de téléphonie mobile des années 2000 puisse être piraté de la même façon.
Pendant tout le récit, « Rat » restera à la surface, au poste de commandement de la mission, mais le montage cinématographique est un peu ambigu et laisse presque croire que le hacker se trouve dans le vaisseau souterrain avec Josh et les autres. Je ne sais pas s’il s’agit d’une maladresse des images ou au contraire d’une ambiguïté voulue, car effectivement, « Rat » est solidaire de l’équipe qui se trouve sous la terre. Il leur transmet notamment, sans en avoir le droit, des informations, et il leur sauve la mise au moment où le sacrifice des membres de la mission est envisagé, en piratant une centrale électrique au cours d’une interminable scène de tentatives d’intrusions informatiques, tentatives qui se matérialisent par une cascade d’interfaces comiques sur lesquelles sont écrits des mots tels que « Secret Area » et « Restricted Zone ». Pour que l’on ne sache pas ce qu’il a fait, « Rat » affecte de passer son temps à jouer au jeu Pong.

Dans la dernière séquence, « Rat » se rend dans un cyber-café avec sous le bras un dossier ficelé sur lequel est écrit en gros « secret ». Son but, à l’exact opposé de ce pourquoi il avait été embauché, est de faire connaître au monde entier ce qu’il s’est réellement passé. Nous retrouvons ici le mythe de l’éthique du hacker, qui obéit à un code de conduite personnel et pour qui l’information doit circuler.

La scène est incohérente mais reste intéressante parce qu’elle égrène tous les clichés du genre tels qu’ils ont été fixés par certaines séries télévisées ou par des films tels que Hackers (1995). Pour commencer, « Rat » y apparaît comme particulièrement insouciant, on le voit notamment poser un gâteau entamé sur le dossier confidentiel et siroter un milk-shake. Ensuite, il prend le contrôle de tous les ordinateurs voisins pour diffuser son message. Ce point précis n’est pas idiot, l’emploi de plusieurs ordinateurs sur le réseau pour commettre un forfait permet de masquer l’origine du message et de gagner en puissance2, mais dans le film, la prise de contrôle des ordinateurs (un peu trop proches pour brouiller les pistes) manque un peu de discrétion puisqu’elle est annoncée par un écran sur tous les postes.
Pour finir, « Rat » appuie sur la touche « enter » de son ordinateur, et une infographie nous montre la diffusion globale du message.

  1. Après un passage en prison, John Draper s’est fait connaître comme pionnier de la micro-informatique en créant notamment EasyWriter, le premier traitement de textes des ordinateurs Apple II et des PCs. []
  2. À ce sujet, Vinton Cerf, un des créateurs d’Internet, a récemment déclaré qu’il estimait qu’un ordinateur sur quatre dans le monde appartient à un « botnet », c’est à dire qu’il est contrôlé par un pirate et sert à d’autres desseins que ceux de leurs propriétaires — diffuser des spams par exemple. []
  1. 2 Responses to “Fusion”

  2. By Metalinux on Mar 12, 2014

    Xéna n’a jamais été du porno, le « geek » est déjà assez parodié ici pour que ce ne soit pas la peine d’en rajouté. Par ailleurs le rôle du rat ne se limite pas à un personnage de second plan comme il est ici présenté. Merci de rétablir les incohérences qui se sont glissées dans votre texte qui n’a comprit que la surface d’un film bien plus profond (destruction de la planète pour des raisons militaires et que le seul moyen de « réparer » la planète c’est que les hommes s’unissent (regardez le coup des bombes atomiques ) )

  3. By Jean-no on Mar 12, 2014

    @Metalinux : je ne sais pas si j’ai le courage de le revoir pour vérifier. J’ai du mal à y voir beaucoup de fond, il me semble qu’il y a des films plus intéressants dans le registre.

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