On ne compte pas les peintres ou les pastellistes du XVIIIe siècle/début XIXe qui se sont illustrés dans le registre du portrait en nous transmettant des traits plein de vie de célébrités ou d’anonymes de leur temps. Je pense à Quentin de La Tour, Rosalba Carriera, Elisabeth Vigée Le Brun, Liotard, Gainsborough, Jean-Baptiste Isabey (père d’Eugène), Marie-Guillemine Benoist… Au delà des portraits de chevalet, beaucoup de particuliers ont voulu voir immortaliser leurs traits sous une forme à la fois modeste et précieuse, la miniature (sur émail, sur bois, sur papier, sur ivoire…), art dans lequel ont excellé des peintres spécialisés tels que John Smart en Angleterre.
Les artistes spécialisés dans la miniature échappaient au système des corporations et ne signaient généralement pas leurs œuvres, ce qui leur confère un statut subalterne. Mais ces peintures « modestes » représentaient un investissement conséquent pour leurs commanditaires, l’équivalent — selon le niveau de célébrité de l’artiste — de plusieurs centaines à plusieurs milliers de nos actuels euros. Cela ne concernait donc pas toutes les classes sociales.
Tous les bourgeois voulaient pourtant leur portrait, semble-t-il, et voulaient ce portrait ressemblant (quoique de préférence flatteur, rien n’a changé !), alors on a cherché des moyens pour produire des portraits rapides et exacts, y compris accessibles à des artistes mineurs : camera obscura ou chambre claire…
Le portrait « à la silhouette ». Parfois découpées, parfois rehaussées à la gouache,…
Une technique vielle comme la mythologie1 a eu beaucoup de succès : la silhouette, qui tire son nom d’un haut fonctionnaire de l’époque, Étienne de Silhouette, qui aimait immortaliser le profil de ses invités en traçant le contour de leur ombre projetée… Il n’est évidemment pas l’inventeur de la technique mais son nom y est associé. Les artistes qui traçaient des silhouettes le faisaient pour un prix très raisonnable — le prix d’une place de théâtre ou quelque chose du genre.
En 1786, le musicien Gilles Louis Chrétien (1754-1811) a fait connaître son invention, le Physionotrace, qui permet à l’opérateur, en quelques minutes et sans disposer d’un talent de dessinateur très affirmé2, de tracer un portrait :
Ce procédé en combine trois : le dessin de silhouette (on trace le contour de l’ombre), l’optique (car le dessin est tracé en déplaçant un œilleton) et le pantographe (qui permet d’imprimer au crayon le trajet effectué par l’œilleton).
Dans un second temps, avec un autre pantographe, l’opérateur réalisait une gravure qui pouvait être tirée un certain nombre de fois.
Les milliers de portraits réalisés selon ce procédé et ses dérivés ont peu de valeur artistique mais ont un grand intérêt documentaire puisqu’ils nous présentent les traits assez réalistes de personnalités diverses.
La photographie n’allait arriver qu’en 18393, mais on le voit, le besoin qu’elle a immédiatement satisfait — à savoir de permettre d’immortaliser de manière mécanique des visages ou des objets —, était déjà investi par des moyens un peu plus artisanaux.
La pratique consistant à réaliser des portraits stéréotypés et d’en tirer une première version en grand format et plusieurs en plus petit format rappelle la pratique, toujours actuelle, des photographies d’identité.
- Au début de notre ère, Pline l’Ancien affirme que la peinture a été inventée par Callirrhoé, fille du potier grec Boutadès, qui aurait tracé au crayon le contour de l’ombre de l’homme qu’elle aimait… [↩]
- Le Journal général de France prétend que portraitiste n’a pas besoin de savoir dessiner pour manipuler l’appareil. Cette affirmation est très exagérée, comme en témoigne le fait que les auteurs de physionotrace sont eux-mêmes des graveurs, et que la facture des travaux dépend de leurs auteurs. [↩]
- 1839 est l’année où la France, sous l’impulsion du savant François Arago, a acquis le brevet du Daguerréotype afin, très généreusement, de l’offrir au monde. Jacques Louis Mandé Daguerre avait terminé des travaux entamés par puis avec Nicéphore Nièpce (1765-1833). [↩]