Dimorphisme de la peau

Derrière le bronzage, derrière le phénotype (peau « noire », peau « blanche », peau « tannée »,…), derrière les pathologies (anémie, couperose, acné, ictère, albinisme, problèmes vasculaires), la couleur de la peau humaine est un caractère sexuel secondaire1. Cela signifie qu’un homme et une femme de même origine (un frère et une sœur par exemple) n’ont pas la même couleur (ni le même grain, d’ailleurs) de peau. Curieusement, les scientifiques n’ont sérieusement étudié ce dimorphisme pourtant flagrant que de manière assez récente. Les artistes, eux, l’on toujours représenté, parfois en l’accentuant de manière caricaturale, depuis les fresques de Pompéi jusques aux peintures de Klimt ou de Schiele. Chez certains peintres, la peau de l’homme tire plus vers le rouge, chez d’autres, vers une couleur caramel, ou vers du gris, et celle de la femme, vers un rose pâle, vers du jaune, du vert ou même, vers un blanc d’albâtre.

Je ne suis pas qualifié pour disserter sur le détail du phénomène biologique2, mais si mes souvenirs sont exacts les œstrogènes (hormones produites en grande quantité par les femmes et en bien plus petite quantité par les hommes) et la testostérone (hormone produite en bien plus grande quantité par les hommes que par les femmes) ont une influence sur l’apparence de la peau, et non seulement sur sa teinte, mais aussi sur sa « réflectance », c’est à dire sur la manière dont la lumière est absorbée/diffusée, ainsi que sur sa qualité et sans doute aussi son odeur (mais là j’invente !). De plus, le sang des hommes contient en moyenne plus d’hémoglobine que celui des femmes.

La couleur de la peau, déterminée sexuellement (les garçons ont plus de mélanocytes au mm²) évolue selon l’âge : les adolescents (filles et garçons) sont de plus en plus pâles à mesure qu’ils approchent de la vingtaine. La peau des hommes a ensuite tendance à foncer, tandis qu’elle reste pâle chez les femmes (bien que la pâleur soit moins forte à mesure que leur âge s’éloigne de vingt ans), particulièrement sur les bras, jusqu’à la ménopause, âge à partir duquel les couleurs de peau des hommes et des femmes tendent à se rejoindre à nouveau.

dimorphisme_melanine

Reste que la peau plus rouge et plus foncée peut être considérée comme un indicateur de virilité et la peau plus blanche (en fait plus verte) comme un indicateur de jeunesse et de féminité. Cela vaut autant pour des septentrionaux d’origine, roux à la peau naturellement très peu pigmentée, que pour des africains originaires de pays situés sous le Sahara, à la peau très foncée (car contenant des mélanosomes jusque dans les couches supérieures de la peau), et même si cela se perçoit de manière moins évidente sur la peau d’une éthiopienne que sur celle d’une écossaise, c’est aussi vrai pour l’une que pour l’autre.


Il faudrait faire une étude sérieuse pour le prouver pense que si de nombreuses femmes « noires » blanchissent leur peau à coup de produits dangereux qui inhibent la mélanine ou grâce à un travail de retouche-photo, c’est peut-être bien moins à cause d’un racisme émanant des photographes ou de leurs commanditaires ou à cause des complexes nés de cette situation et de l’histoire coloniale et post-coloniale que pour chercher à accentuer une apparence juvénile (ci-dessus, l’actrice et chanteuse Beyoncé).
Dans le même ordre d’idée, je pense que si Michael Jackson a ressenti le besoin de « blanchir » sa peau (photo de droite), c’était, sans forcément en avoir conscience, pour obtenir une figure féminine, adolescente, dénuée de testostérone. On remarquera que ce n’est pas l’option retenue par les sculpteurs du musée de cire de Madame Tussaud qui donnent à Michael Jackson une peau d’homme « blanc » (photo du centre) et restaure par ce fait une virilité apparente que, au risque de faire de la psychologie de bazar, le « roi de la pop » fuyait de toutes ses forces.

En Asie comme dans les pays Européens, la pâleur (toujours relative) de la peau des femmes a souvent été une valeur très prisée. J’ai déjà lu ici et là certains avancer que ça avait un rapport avec le travail : être pâle, c’est faire partie des oisifs, qui ne voient pas souvent le soleil, tandis que les gens qui travaillent aux champs ont, eux, une peau bronzée. Cette explication « aristocratique » est certainement en partie exacte, mais n’est pour le coup pas réservée aux femmes : dans les cours des XVII et XVIIIe siècle, les hommes poudraient parfois leur visage comme des geishas. On notera qu’à partir du début du XXe siècle, les oisifs ne sont plus ceux qui se cachent du soleil, mais ceux qui prennent des vacances, qui vont skier à Saint-Moritz ou à Gstaad et qui vont prendre des bains de mer à Biarritz, à Belle-Îsle ou à Antibes,… C’est à dire les gens qui bronzent.

J’ai pris au hasard la scène des échecs dans L’Affaire Thomas Crown (1968). On y voit assez clairement la différence entre les carnations de Faye Dunaway et de Steve McQueen : elle a la peau assez blanche — et plus encore la peau des bras, moins exposée au soleil, ce que je n’ai pas pris en compte, ne pouvant pas comparer avec les bras de McQueen —, tandis que son partenaire a une peau plus rougeâtre, plus foncée et même, ayant l’apparence d’être plus contrastée.
J’ai isolé les visages (hors cheveux, yeux et bouches) et j’ai réalisé un petit programme pour recenser les valeurs colorées présentes sur la peau de l’un et de l’autre acteur. La même gradation est présentée brute, puis en mettant isolant les valeurs rouges-magenta, puis en niveaux de gris. Chaque fois, la bande supérieure correspond à la peau de Faye Dunaway et celle du bas, à Steve McQueen. L’intérêt de ce choix d’acteurs est que Steve McQueen et Faye Dunaway sont tous deux blonds, descendants d’européens du nord, le dimorphisme ne résulte donc pas (ou pas trop) d’une variation locale, contrairement au cas de la plupart des couples hitchcockiens, par exemple.

On me fera remarquer que le plan est tourné en champ/contre-champ et que les deux acteurs ne sont pas soumis au même éclairage, ce qui fausse évidemment tout. Cependant la même observation peut être faite dans les conditions d’éclairage les plus variées. Il faudrait aussi cantonner l’observation à des zones diverses du corps : une joue, un front, un avant bras, n’ont absolument pas la même couleur (des peintres comme Courbet ou plus récemment Lucian Freud ont observé la variation des couleurs de la peau avec une minutie extrême). Je ne peux pas nier non plus qu’un photogramme extrait de film est d’une fidélité douteuse vis à vis de la réalité représentée.
Et même, on remarque très fréquemment que le chef-opérateur ou le metteur en scène s’arrangent pour que la différence des carnations soit accentuée par l’éclairage ou la mise-en-scène : la femme prend volontiers la lumière et l’homme reste dans l’ombre.

Le dimorphisme réel est donc souvent accentué par l’intervention des artistes.
Il est aussi accentué par le maquillage, qui augmente les contrastes sur le visage.

C’est ce qu’a cherché à prouver Richard Russell, du département de psychologie de Harvard avec l’image qui suit. Il s’agit d’un même visage androgyne (créé par le mélange d’un certain nombre de visages d’hommes et de femmes) et dénué d’indications sexuelles extérieures (cheveux, vêtements), représenté deux fois, mais avec un léger traitement informatique : l’image est plus contrastée à gauche qu’à droite. Or il est évident pour tout observateur que l’image de droite représente un homme et celle de gauche une femme. Autant que la couleur (l’image est ici désaturée, donc nous ne sommes pas influencés par le degré de rougeur), le contraste des traits du visage influence notre jugement quand au sexe apparent de la personne.

Pour Richard Russell, cela implique que le maquillage féminin habituel (accentuation de la bouche, du contour des yeux, des sourcils) sert à exagérer un caractère sexuel secondaire3.
Mon professeur de morphologie, Jean-François Debord, qualifiait le maquillage, les bijoux, les vêtements, de « caractères sexuels tertiaires », c’est à dire d’objets ou de comportements servant à mettre l’accent sur un caractère sexuel secondaire. Il paraît que cette notion est tombée en désuétude mais il me semble qu’elle reste utile.

On peut réfléchir au passage à l’attirance que les jeunes gens, et notamment les jeunes filles, éprouvent souvent pour la figure du vampire. Ou à certains masques, aux maquillages de certains chanteurs (à gauche : Klaus Nomi et Robert Smith) ou de certains personnages (Pierrot, le clown blanc,…), qui sont tous censés évoquer la pâleur anémique ou cadavérique, ou encore le caractère aristocratique « ancien régime » évoqué plus haut, mais aussi l’épiderme féminin.

Je n’ai pas la compétence scientifique qui m’autoriserait à pousser cet article très loin, mais il me semble qu’il y a matière à observation et à réflexion.

  1. Les caractères sexuels secondaires sont les détails physiques qui, sans avoir de rapport direct avec les fonctions de reproduction, sont caractéristiques d’un sexe plus que de l’autre — par exemple la graisse péri-ombilicale chez les femmes, les flancs gras (« poignées d’amour ») des hommes, etc.  []
  2. Pour être précis j’ai lu une longue étude scientifique canadienne qui faisait le point sur le sujet il y a des années, et qui faisait même l’historique de la question du point de vue des physiologistes et expliquait entre autres qu’on ne s’est soucié de ce dimorphisme qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle, mais je ne la retrouve pas bien que j’aie retrouvé de nombreux textes en rapport. Ami scientifique du dimanche ou du lundi, n’hésite pas à proposer des références sur le sujet en commentaire. []
  3. Richard Russel, A sex difference in facial contrast and its exaggeration by cosmetics, Perception #38, 2009.  Why Cosmetics Work dans The Science of social vision, éd. Oxford University Press, 2010.  []

Cacher pour suggérer

Sur un forum anglo-saxon, un dénommé « Ultimusmormon » a écrit : « Being mormon, I can’t look at porn or nudity. So I have to get creative. That’s Why I invented bubbling » (étant mormon, je n’ai pas le droit de regarder de la pornographie ou de la nudité. Je dois donc être créatif. C’est pourquoi j’ai inventé le « bubbling »).
Le principe est assez simple : l’image est masquée par une surface colorée quelconque dans laquelle sont creusés des cercles qui révèlent seulement certaines parties de l’image. Dans le cas en question, ces parties d’images sont des parties nues du corps de jeunes femmes qui, à l’origine, posaient en maillot de bain.

On voit bien ici que le cerveau reconstitue les manques des images de droite, celles auxquelles est appliqué le masque et imagine une complète nudité pour ces jeunes femmes qui ne sont pas nues. L’astuce est que les trous creusés dans le masque ne rappellent rien, ou n’indiquent rien de particulier sur le contenu de ce qui est occulté. Si les seuls maillots de bain avaient été masqués, par exemple, l’effet aurait été bien différent.

En retournant sur le forum où avaient été postées ces images, je me rends compte que l’utilisateur « UltimusMormon » a été banni (apparemment parce qu’il se réclame — probablement pour rire — de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours, c’est à dire les Mormons) et que ses photographies et ses montages ne sont plus visibles car ils contreviennent au règlement d’imageShack, l’hébergeur des images, qui proscrit les représentations de la nudité ou la pornographie. Or on trouve des milliers de photographies de filles en maillot de bain sur le serveur en question, ce sont donc les images « masquées » qui choquent et non les autres.

Tout ceci peut donner une autre perspective à la relativité de la pudeur. On sait qu’une cheville dévoilée peut ou a pu causer un grand émoi à certaines époques, dans certains pays ou dans certaines traditions, tandis qu’une quasi-nudité, exposée sur une plage, peut sembler très pudique.
Le cerveau comble les parties absentes ou cachées, mais par ailleurs le masque attire l’attention sur ce qu’il ne dissimule pas.

Soleil jaune

En pleine campagne présidentielle, lors de l’émission Face aux Français, sur TF1, on avait demandé au candidat Nicolas Sarkozy pourquoi il avait recours à certains éléments de langage et surtout à certaines images (le mouton égorgé dans une baignoire…) habituellement employées par le Front National.
La réponse du futur président avait été :

« Ça n’est pas parce que Jean-Marie Le Pen dit que le soleil est jaune que je vais dire le contraire. »

Hors de l’anecdote politique, cette réponse est très intéressante, parce que le soleil n’est pas jaune. En effet, lorsqu’il se trouve au zénith, notre astre de tutelle émet une lumière blanche dont la « température de couleurs » est de 5800° Kelvin, ce qui est plus ou moins identique à la lumière produite par les flashs d’appareils photo. Avec une température de couleurs plus élevée, la lumière devient bleutée et d’apparence dite « froide », tandis qu’avec une température de couleurs plus basse, la lumière devient orangée et prend une apparence dite « chaude ».

La lumière produite par le soleil est bien plus blanche qu’il ne nous semble au travers de l’atmosphère, qui agit comme un filtre. Lorsque le soleil est à l’horizon, la distance parcourue dans l’atmosphère est bien plus importante, le filtre est donc plus fort et la température de couleurs du soleil descend jusqu’à 2000° Kelvin, ce qui pour nous a une apparence franchement jaunâtre qui teinte le ciel en orange ou même en rouge.
Sur la planète Mars, où les particules de l’atmosphère filtrent plus la composante rouge de la lumière du même Soleil, les couchers de Soleil sont bleuâtres !

En voyant le soleil de la même couleur qu’un de ses adversaires politiques, le candidat à l’élection admettait peut-être sans le savoir qu’il partageait son point de vue, que son jugement était tributaire du même filtre.

Maquillage et compétence

Une étude commandée par la multinationale Procter & Gamble, spécialisée dans les produits d’hygiène notamment, établit que le maquillage influe sur la perception de l’intelligence et de la compétence. Quatre maquillages ont été testés : sans maquillage, un maquillage « naturel », un maquillage « professionnel » et enfin un maquillage « glamour » et ostentatoire.

Des photos neutres (sans expression particulière, éclairage constant, cadrage serré pour ne montrer ni la coiffure ni les vêtements) de vingt-cinq femmes différentes âgées de 25 à 50 ans ont été soumises à un échantillon de 280 adultes, dont 90 hommes, qui ont regardé chaque photographie pendant une durée d’un quart de seconde, pour un premier groupe, et pour une durée indéfinie pour un second groupe. Les personnes auxquelles ont été montrées les images devaient placer arbitrairement un curseur censé évaluer quatre qualités : l’attractivité, la sympathie, la loyauté/fiabilité et la compétence. Dans chaque cas, le maquillage léger ou professionnel semble faire paraître les femmes plus compétentes et plus fiables, mais le maquillage « glamour », tout en inspirant la compétence, fait perdre la sensation de fiabilité. L’étude émane d’un groupe de chercheurs en psychaiatrie, médecine, biostatistique et informatique de centres de recherches de Boston, et a été publiée le 3 octobre 2011.
On peut prendre connaissance de la méthodologie complète et des tableaux de résultats sur le site Plosone.

L’œil compare

Les illusions d’optique ne sont pas du tout le sujet de ce blog mais permettent souvent de comprendre à quel point notre cerveau interprète ce qui lui est envoyé par le nerf optique, comme dans le cas de l’expérience célèbre que je reproduis ci-dessus, où nous sommes incapables d’accepter que les carrés A et B du damier ont exactement la même couleur.


Comme le disait mon professeur de retouche-photo, Jean-Claude Ronceray, l’œil humain est particulièrement doué pour comparer mais pas vraiment pour analyser. Il existe des animaux dont la perception repose sur l’analyse, par exemple les insectes qui identifient les fleurs qu’ils doivent butiner à la fréquence ultra-violette exacte qu’émettent ces dernières, ou d’autres qui sont quasiment aveugles à ce qui se trouve devant eux mais n’est pas en mouvement.

Dans un genre similaire au damier ci-dessus, une image encore plus simple : les « cubes » isométriques sont tous identiques, mais notre perception de leur luminosité dépend totalement de l’arrière-plan.