Livre électronique
mars 15th, 2009 Posted in Mémoire, publication électroniqueÀ l’occasion de l’ouverture du salon du livre, les journaux télévisés s’agitent beaucoup autour du concept de « livre électronique ». On place un micro sous le nez des bibliophiles pour qu’ils disent si à leur avis le livre-papier est une idée dépassée et s’il sera remplacé dans un futur proche par le support numérique1. Les interviewés répondent bien entendu non aux deux questions, souvent sur un mode sentimental : le toucher du papier, l’odeur de l’encre, rien ne remplace ça disent-ils. Ensuite on demande à un professionnel du livre s’il pense que le livre numérique rencontrera des problèmes de piratage, comme c’est le cas du disque et du film, à quoi le professionnel répond que non pas du tout, puisque toutes les mesures ont été prises pour l’empêcher. Pour finir, le reporter conclut le sujet en s’étonnant de la vigueur du marché du livre dont le chiffre d’affaire ne baisse pas malgré l’engouement suscité par les e-books, engouement qui n’est pour le moment une évidence que pour lui, mais passons. Je suis toujours sidéré de la capacité des journaux télévisés à meubler des sujets sans grand intérêt par des micro-trottoirs où les «acteurs» d’un domaine sont transformés en mauvais acteurs de réclames. Et il s’agit bien de réclame car, manifestement, on a décidé de nous vendre le livre électronique cette année.
J’ai pour ma part une impression de déjà-vu, et ce n’est pas qu’une impression puisque les premiers e-books commercialisés datent d’il y a plus de dix ans. Le e-book est un serpent de mer technologique qui n’a toujours pas trouvé son public à ce jour. Et par charité je ne rappelle pas la période où le cd-rom allait (on nous le jurait) remplacer le livre. Est-ce que cette fois sera la bonne ? Considérant le prix des engins et le prix des fichiers à lire (10 euros pour un best-seller immatériel), j’en doute un peu, mais je peux me tromper.
La technologie a cependant énormément évolué. On utilise aujourd’hui de l’encre électronique (ou du papier électronique, c’est la même chose), qui se distingue des écrans à cristaux liquides par son aspect — la page n’est pas éclairée par en dessous, mais par la source de lumière dont on dispose, comme le papier normal — et par sa faible consommation — le papier électronique n’a besoin de courant électrique qu’au moment du changement de page.
Il y a dix ans, quand on demandait aux gens qui en avaient vu (ou pas, d’ailleurs) ce qu’ils pensaient des lecteurs d’e-books à cristaux liquides, ils disaient que la lecture était pénible, désagréable à l’oeil, trop lumineuse… Mais en dix ans il s’en est passé des choses, et notamment le fait que nous sommes tous amenés à lire des pages et des pages de texte sur nos ordinateurs portables, sur nos écrans LCD d’ordinateur de bureau ou sur des téléphones. La lecture sur ordinateur est entrée dans les mœurs même si elle concerne généralement des textes courts (quelqu’un a-t-il déjà lu un roman entier sur ordinateur ?), non pour une question d’écran d’ailleurs mais souvent pour une question d’ergonomie.
La baisse du prix et l’augmentation de l’étendue des mémoires informatiques modifie en tout cas complètement ce genre d’objet, qui peut à présent embarquer des milliers d’ouvrages et bientôt des bibliothèques entières. Deux cent ou cinq cent mille pages dans un objet qui pèse moins de 300 grammes, voilà qui semble intéressant. L’universitaire qui compte passer l’été à travailler peut enfin répondre à la question « quel livre emmèneriez-vous sur une île déserte ? »
Sur son blog, Christophe Druaux expose les principaux défauts du livre numérique à commencer par le fait que la «liseuse» constitue un équipement supplémentaire qui peut faire doublon avec plusieurs ustensiles capables d’afficher du texte (ordinateur, ultraportable, pda…). Nous verrons bien.
J’ai assisté par hasard à une conversation sur le sujet à laquelle participait un célèbre auteur de bande dessinée. Il n’a pas parlé de l’odeur du papier ou du noir de l’encre, mais il a rappelé un fait tout bête qui est que le livre, le bon vieux livre, est bien un des seuls moyens de stockage des œuvres de l’esprit qui fonctionne sans piles, sans dispositif de lecture. Contrairement au disque, au cd-rom, au site web, au dvd, et bien entendu à l’ebook.
Inversement, les fichiers numériques, bien qu’ils soient théoriquement duplicables à l’infini et sans perte, connaissent une obsolescence rapide. J’ai personnellement une belle collection de cd-roms qui ne fonctionnent plus (support endommagé, inadaptation aux systèmes actuels) et il n’y a pas de raison que l’e-book s’en tire mieux. Supposons par exemple que dans trois ans Amazon décide de laisser tomber sa liseuse Kindle 2, ou qu’une faille du format vis à vis du piratage oblige ses créateurs à le modifier, eh bien ceux qui auront acquis des romans au format propriétaire du Kindle 2 perdront rapidement tout. Or la chose (l’abandon d’un format par ses promoteurs) n’est pas une chose possible, c’est une chose absolument certaine. Tout ce qui peut sauver les e-books de ce problème, ce serait qu’un format protégé de fichier s’impose (certains lecteurs lisent le pdf et le rtf il est vrai, mais ce ne sont pas des formats qui permettent d’éviter le piratage)
Ce qui m’amène aux sympathiques oeuvres du jeune artiste Cody Trepte (né en 1983) qui porte le numérique sur support papier, au contraire de la tendance qui consiste à tout virtualiser.
Avec One Year of archived e-mail, l’artiste stocke une année entière de courrier sur cartes perforées.
Avec son Photo Album, il transforme chaque photographie en un livre rempli de zéros et de uns. La couverture de chaque cahier est une description de l’image.
- Les médias d’information parlent sans cesse du « passage du livre au numérique ». Ils semblent oublier que la vraie « révolution numérique » dans le monde du livre a déjà eu lieu, c’est l’arrivée de logiciels de traitement de texte, de composition typographique et de mise en page. Quand à la littérature sur support électronique, elle existe depuis 1971 au moins avec le projet Gutenberg [↩]
17 Responses to “Livre électronique”
By Wood on Mar 15, 2009
L’e-book, à mon avis, c’est plutôt un truc de voyage. L’idéal serait d’avoir les livres chez soi sur des étagères, et de pouvoir les embarquer sur son lecteur d’e-book quand on prend le train ou l’avion (ou le métro).
By Jean-Michel on Mar 15, 2009
Entendu au salon du livre, la cible du ebook est le lecteur assidu voulant se déplacer avec sa bibliothèque. On tente de l’assimiler de la sorte à un lecteur mp3 au service de la littérature.
De même que l’on a vu les possesseurs de cassettes VHS racheter toute leurs collections sur support DVD, leurs disques vinyle et cassettes audio remplacé par des compact-discs (ce qui n’est pas sans rapport avec l’étonnante vitalité du marché dans les années 90 de ces récents supports) les promoteurs de l’ebook rêveraient que la cible visée double sa bibliothèque… Oubliant qu’un lecteur a bien souvent déjà 2 éditions du même livre (une « belle », une de poche).
By Jean-Michel on Mar 15, 2009
Samedi 14 mars 2009 à approximativement 12h sur France Culture depuis le salon du livre on évoquait la question de ces œuvres achetées en double, en triple. Gênés par une interrogation sur les prix pratiqués d’œuvres littéraires diffusées sur ebook, ces promoteurs songent déjà à un équivalant du type livre de poche.
On peut spéculer sur les modalités de cette « édition de poche » : interlignage trop court, corps de typographie rendant l’objet illisible, affichage rendu défaillant. Si ces points restent à définir ainsi que le format d’enregistrement des fichiers, la fourchette de prix, elle, semblait déjà fixée.
By Jean-no on Mar 15, 2009
Amusant, le e-book équivalent du « poche », il s’agirait forcément de limitations (typo comme tu dis par ex) qui seraient sciemment imposées, c’est à dire que les éditeurs dépenseraient du temps pour faire une édition qui leur coûte la même chose, voire plus, qui se lit sur le même objet, mais dans une version moins agréable pour l’utilisateur.
À moins que, comme le livre de poche, il y ait un changement de support, mais ça ferait encore une « liseuse » de plus !?! Je doute que les éditeurs y aient beaucoup réfléchi.
By nicoh on Mar 15, 2009
de mon point de vue d’utilisateur/consommateur je vois à intérêt aux e-books en tant qu’objet/machine. par contre le système d’amazon (par exemple) ou mon livre ne me permettrait pas de lire d’autres livres que ceux achetés chez amazon me gène beaucoup. je comprends la démarche d’amazon : avoir un format propriétaire pour éviter le piratage. mais comme dit au dessus cela pose le problème de la durée de vie des fichiers que j’aurais acheté en plus du fait que je pourrais pas acheter mais livres à la fnac ou autres. voir je ne pourrais pas lire un pdf libre de droit.
donc pour moi je n’achèterais pas ce genre de machine si je ne peux pas me servir sur plusieurs plateforme d’achat et si je ne peux pas lire de pdf ou autres format ouvert/connus/générique … le problème si c’est une telle machine voie le jour c’est la porte ouverte au piratage. mais je pense que ce n’est qu’une question de temps ….
By Jean-no on Mar 15, 2009
@nicoh : clairement, Amazon veut faire comme Apple avec iTunes et l’iPhone, c’est à dire maîtriser la plate-forme et ce qui se met dessus. D’autres fabricants de lecteurs d’e-books ont fait des choix plus ouverts heureusement, mais si ils sont bien pour lire des pdfs d’oeuvres du domaine public, je ne sais pas quel modèle technique ils ont choisi pour la littérature en « nouveautés » ou pour la presse. Je doute que les éditeurs aient envie de décliner leurs sorties pour x formats différents.
By nicoh on Mar 15, 2009
@jean-no : c’est justement le problème … si il y a des e-book qui lisent pdf/rtf ou autres et qu’avec ces livres je n’ai pas accès aux nouvautées « je » (pas forcément moi :)) me sentirais encore moins gêné de récupérer des pdfs « pirates » de livres amazon/fnac/….
By Appollo on Mar 15, 2009
J’ai toujours l’impression que les supporters de l’e-book ne sont pas de gros consommateurs de livres, ce qui est paradoxal, puisque le principal argument en faveur du livre électronique, c’est sa capacité de stockage. On risque de se trouver avec des liseurs électroniques pour des textes qu’on lit déjà en partie sur ordi (articles, textes courts, blogs) et des « gros » lecteurs qui continueront à acheter des romans – ou des bd – en version papier. Evolution plutôt que révolution.
By Jean-no on Mar 15, 2009
@App’: oui du coup je ne crois pas énormément au modèle économique qu’Amazon tente de lancer. En revanche sur ma machine il y a des milliers de textes (romans et essais dans le domaine publi, thèses récupérées ici ou là, pages web que je me suis promis de lire à l’occasion) que je serais content d’avoir sur un support souple, léger et adapté à la lecture.
Comme outil de travail ça me semble intéressant, tandis que pour remplacer mes poches, bof. A priori. J’attends d’avoir testé aussi.
By Cécile on Mar 15, 2009
L’idée d’emporter ses livres avec soi me fait penser au brillant « Autodafé » d’Elias Canetti – qui serait à relire à l’heure du livre électronique !
Je laisse un lien vers «L’épée du soleil » le blog d’un universitaire qui fait des recherches sur le sujet http://contemporain.info/audet/page/3
et qui propose lui-même d’autres liens… en particulier vers chez François Bon.
By Saint Malo on Mar 16, 2009
Hors sujet à propos de la rubrique ordinateurs célèbres, il manquerait pas celui de la voiture K2000?
By Jean-no on Mar 16, 2009
Si, dans un sens, mais je ne sais pas si j’ai le courage de le revoir :-)
By r on Mar 16, 2009
Bizarrement, il semble que le livre soit une technologie vachement au point, possibilité de regarder plusieurs pages en même temps, de prendre des notes très librement sur le support, d’ouvrir plusieurs livres devant soi, qui fait que pour travailler c’est tout de même idéal.
Du coup j’ai l’impression que pour le moment ce n’est pas forcément très intéressant, malgré deux gros avantages, la possibilité de stocker plein de gros pavés, plus besoin de ramener l’encyclopédie de Diderot en 12 volumes de la fac, même si un ordinateur s’en charge bien et qu’on ne peut regarder qu’une page à la fois et les fonctions de recherche de mots, mais un index bien réalisé est au moins aussi efficace.
Mais bon reste à voir comment ça évolue et ne pas oublier que les lecteurs mp3 ont marché grace à deux choses l’encodage des CDs, ce qui risque d’être difficile pour les bouquins de la bibliothéque, et le piratage.
By Jean-no on Mar 16, 2009
Oui, le livre est une technologie éprouvée. Pour les lecteurs mp3, le piratage a joué (mais l’offre légale d’Apple aussi, l’iPod a une part de marché incroyable si on considère son prix et le peu de gens qui ont des macs), mais pour le livre il existe une offre qui n’existe pas en musique ou quasi : le domaine public. Le projet Gutenberg recense quelque chose comme 30 000 bouquins par exemple, et Gallica ou d’autres sources en proposent énormément aussi. Du coup la question de l’offre est bien différente.
By Xavier on Mar 17, 2009
La révolution (à venir) c’est le papier électronique (différent de l’encre électronique parce que celle-ci est une composante du papier électronique, il faut ajouter le substrat qui la contient pour former le tout) et non pas le livre électronique.
Demain, le papier électronique remplacera le papier. C’est-à-dire que demain, une feuille de papier électronique sera souple (ça commence, voir le Readius), en couleur (c’est au stade de la recherche), sans « coque » plastique extérieure (là, il va falloir attendre un peu) et tactile (iLiad, Sony PRS 700).
Donc demain, les écrans d’ordinateurs, de téléphone portable,de télévision, etc. seront remplacés par du papier électronique.
Quand aux formats des livres électroniques (le contenu, pas le contenant), la solution d’Amazon est en effet de reproduire le schéma d’Apple. Ils viennent d’ailleurs d’annoncer que les documents non Amazon ne seront plus acceptés par le Kindle ( ). A éviter absolument donc.
Deux formats comment à être très répandus : le PDF, mais il faut l’adapter à chaque « liseuse » (le terme le plus utilisé par les utilisateurs pour désigner le contenant) en fonction de sa taille : 6″, 8″, 10″, etc. Adobe a annoncé un PDF « reformatable », à voir.
Et l’ePub (je suis surpris que Jean-No ne connaisse pas) qui est en fait un document HTML ou XHTML avec CSS encapsulé avec d’autres données. Les spécialistes débattent déjà des avantages et inconvénients de chacun et il n’est pas impossible qu’un outsider arrive et remporte la mise s’il tient ses promesses.
Pour le piratage, tous les utilisateurs et une majorité de spécialistes (éditeurs comme François Bon, fabricant de matériel ou de logiciel) sont d’accord pour dire que les DRM sont une erreur, voir un risque.
Que le piratage sera quantité négligeable SI (et seulement SI) l’offre légale sera consistante. Gallimard et Lamartinière viennent d’ailleurs d’annoncer qu’ils allaient mettre en place une solution pour sortir toutes les nouveautés chez les libraires.
Enfin une étude donne quelques retours sur les acheteurs de la liseuse de Sony en France (la PRS 505).
By Jean-no on Mar 17, 2009
Je veux bien que les actuels écrans deviennent du papier mais je doute que le papier devienne un écran : Du papier mille fois plus cher et qui peut tomber en panne !
Hier j’ai essayé la liseuse Sony, en démonstration dans ma fnac, et je dois dire que ça ne me séduit pas tellement : c’est lent, et assez illisible pour les presbytes en tout cas.
Sur les formats, ce n’est pas fini à mon avis. Le vrai pdf est très riche, est-ce que les liseuses compatibles intègrent toutes ses possibilités ? Il y a beaucoup de formats, cf. Wikipédia
By Xavier on Mar 18, 2009
Le papier électronique remplacera les écrans lorsque son prix aura baissé et que la technologie sera au point. Ton ordinateur affichera ses données sur un écran à base de papier ou d’encre électronique. Il faut considérer que, demain, une feuille de papier électronique coûtera moins cher qu’une feuille de papier « fibre de bois »…
J’écrivais hier que la couleur en était à la recherche, et, visiblement, Fuji veut mettre les bouchées doubles puisqu’ils viennent d’annoncer la commercialisation du FLEPia plus tôt que prévu.
La Sony PRS-505 est assez lente en effet (il y a pire), mais ce n’est que défaut de jeunesse.
Pour la difficulté de lecture, les personnes que je connais qui en ont une n’ont aucun problème, c’est quasiment la même qualité que le papier (le blanc est un peu plus gris et le noir un peu moins foncé). Je ne leur ai pas demandé s’ils étaient presbyte. As-tu changé la taille des caractères ?
Pour le PDF, tu as tout à fait raison et ça pourra être l’un des avantages de ce format. En effet, actuellement les liseuses sont loin d’exploitées toutes les possibilités de ce format. La vidéo et la 3D ne sont pas encore exploités par exemple, ils pourront l’être par la suite. Mes liens sur du texte sont cliquables sur les écrans tactiles (PRS-700 et iLiad par exemple).