Profitez-en, après celui là c'est fini

Combler les vides par l’image

octobre 13th, 2014 Posted in Images

J’ai vu plusieurs fois passer la série de photos qui suit, assortie d’une légende qui affirme que l’homme en blanc est un responsable de l’État islamique qui piétine les nourrissons des chrétiens qui refuseraient de se convertir à sa religion.
Renseignements pris, ces clichés montrent en fait une espèce de rebouteux qui pratique des guérisons à l’aide de méthodes douteuses, au Bangladesh.

bebe_ecrase

Tout va bien, ce bébé n’est pas piétiné sauvagement, juste soigné de manière un peu étrange.

C’est sans doute à fins de propagande que ce genre d’image est sortie de son contexte et re-légendée, mais il me semble évident que ceux qui la font circuler sont, eux, de bonne foi, et répondent avant tout à un vide : ils savent que des événements terribles se déroulent dans la zone contrôlée par l’État islamique, mais ces faits ne sont pas documentés visuellement, en tout cas pour l’instant, le lieu est un trou noir de l’information. Or c’est l’image qui donne une consistance aux faits. Ce n’est plus « When the legend becomes fact, print the legend » (L’Homme qui a tué Liberty Valence), mais : « Quand tu n’as qu’une légende, trouve une image ». À leur échelle et avec leurs moyens, les gens qui font circuler de telles images ne font rien d’autre que ce que font les médias réputés sérieux qui emploient des clichés d’archives décontextualisés pour couvrir les dépêches pour lesquelles ils sont « aveugles » — quitte à donner parfois un idée fallacieuse ou tendancieuse des faits qu’ils illustrent de cette manière.

Des images retweetées des milliers de fois et

Des images retweetées des milliers de fois et associées au « hashtag » #gazaUnderAttack qui, après enquête de la BBC, se sont avérées avoir été prises lors d’un autre conflit, parfois effectivement à Gaza, mais parfois aussi en Syrie ou en Irak.

On a vu le cas avec Gaza dernièrement : on savait plus ou moins ce qu’il s’y passait, mais les journalistes, en tout cas au début des bombardements, se trouvaient majoritairement de l’autre côté du mur, alors des particuliers qui soutenaient les gazaouites ont suppléé au déficit d’images pertinentes en diffusant des images issues de conflits antérieurs et/ou extérieurs, qu’ils faisaient passer pour de l’actualité. Gaza est pourtant un lieu relativement accessible aux journalistes, même sous les bombes, contrairement à la zone conquise par l’État islamique, organisation qui communique surtout sur sa violence ignoble envers les journalistes et les membres d’associations humanitaires.
Plus proche de la propagande pure et dure, les milieux dits « identitaires » sont très actifs lorsqu’il s’agit de faire circuler ce genre d’images :

...

à gauche, une image tweetée par un compte nationaliste obsédé par le « grand remplacement » et l’indifférenciation sexuelle. Il laisse cette image en ligne, retweetée plus de trois cent fois, alors que le bidonnage a été démonté dès sa publication : la photographie d’origine, à droite, a été prise en Grande-Bretagne (on voit un panneau du « tube » au fond de l’image d’origine) et le panneau de la caisse d’allocations familiales a été ajouté.

Au fond, c’est la même chose : il s’agit de faire exister des images qui ne sont pas disponibles. La différence, c’est que si ces images n’existent pas, cette fois, ce n’est pas par manque de photographes pour attester des faits, mais de manque de faits pour attester du bien-fondé d’un fantasme.

  1. 2 Responses to “Combler les vides par l’image”

  2. By Wood on Oct 13, 2014

    J’ai vu circuler une autre image du même type : des femmes vêtues de voiles noirs, enchainées, accompagnées d’un homme brandissant un cimeterre. La personne qui la diffusait sur Twitter prétendait qu’il s’agissait d’une vente d’esclaves par l’Etat Islamique en Syrie. En fait, une recherche Google image nous apprend que l’image date au moins de 2007 et décrit une manifestation au Liban (les femmes portent des chaines symboliquement pour exprimer leur chagrin)

    D’une façon générale je me méfie de tout ce qui est trop caricatural…

  3. By Jean-no on Oct 13, 2014

    @wood tu as bien raison de te méfier, même si ce sont parfois les faits eux-mêmes qui ressemblent à des caricatures.

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