Profitez-en, après celui là c'est fini

En temps réel

juin 16th, 2013 Posted in Interactivité, stationspotting

Vu dans le train, une publicité pour les écrans dits « temps réel » dont la SNCF équipe ses gares. On nous annonce que des milliers de nouveaux écrans de ce type vont être installés et que cent quatre vingt gares le sont déjà — c’est le cas de la mienne..

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Je me souviens assez bien le jour où j’ai découvert ce que la SNCF entendait par « temps réel ». L’affichage indiquait que le train allait passer à dix heures six — l’heure normale —, puis le chiffre a change : dix heures sept, dix heures huit, dix heures douze, dix heures treize. Il était tôt, je suis allé au tabac d’en face acheter un timbre dont j’avais besoin, et en revenant vers la gare, j’ai vu mon train à quai. J’ai couru comme un dératé, mais trop tard, il est parti devant moi. L’heure du train n’était plus affichée sur l’écran « temps réel », puisqu’il était parti, mais en revanche l’horloge indiquait dix heures quatre, c’est à dire que le train était arrivé avec deux minutes d’avance sur son horaire normal, et que le retard qui avait été estimé auparavant avait été rattrapé.
Assez mécontent, forcément, j’ai dit à un employé de la SNCF ce qui venait d’arriver, et il m’a dit : « Ah ça, c’est normal, c’est parce qu’on est passés au temps réel ».

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Le glissement est tout à fait étonnant : l’afficheur ne sert pas tant à informer sur les horaires, qu’à constater et à estimer, avec plus ou moins de bonheur, l’heure de passage des trains.
Cette souplesse « cybernétique » du fonctionnement du réseau ferroviaire permet aussi beaucoup de fourberie : si on change l’heure en fonction du passage du train, alors il n’est plus ni en retard ni en avance. Et si un train en retard est parfois une chose pénible, un train qui part avec de l’avance est carrément problématique.

La SNCF a par ailleurs mis en place un système pour informer l’entreprise des retards des trains. Officiellement, c’est pour que la hiérarchie informe les employés ou les clients des passages de leurs trains, mais dans la pratique, on peut difficilement imaginer que cela serve à autre chose qu’à vérifier les excuses des retardataires.

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Tous ces « progrès » sont accompagnés par une désertification des guichets, dont les guichetiers, peu formés, sont privés de leurs anciennes prérogatives — établir un billet grandes lignes, par exemple, qui n’est plus possible dans la plupart des gares Transilien, malgré la simplicité et la souplesse que l’informatisation permettent —, et dont l’utilité véritable, semble-t-il, est d’être l’élément « humain », la personne physique sur laquelle les usagers peuvent se défouler verbalement lorsqu’ils subissent un stress relatif à une panne, une grève, ou un dysfonctionnement quelconque qui leur font regretter de vivre en « temps réel ».

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Dans ma gare, les guichetiers, dont le nombre a été réduit (passés de trois à un, je crois), se font souvent porter pâles, et le bâtiment de la gare est très fréquemment fermé. Le montage ci-dessus montre une situation que j’ai fréquemment vécue : la gare est fermée, et il faut donc s’adresser à un « automate de vente », mais ce dernier est en panne, ce qui impose de s’adresser à un guichet. Si on a un peu de temps avant son train, il existe un autre automate de vente, caché dans un souterrain. Il fonctionne généralement, car il est peu utilisé puisque l’endroit est sombre et isolé, excepté lorsqu’un train vient de passer et que ses passagers en sortent : on se retrouve alors à l’étroit dans la foule. Pas très confortable pour sortir sa carte-bleue ou son porte-monnaie.

Je ne fais pas partie des gens qui refusent l’automatisation. Si elle déleste les employés d’une charge absurde ou permet de fluidifier ou de faciliter certaines opérations, très bien. Mais dans de nombreux cas, j’ai l’impression que la motivation de l’automatisation n’est pas d’améliorer un service, mais juste d’en évacuer l’élément humain, non seulement pour son coût direct (pas si élevé), mais parce qu’il est capable de scrupules, d’empathie, de jugement ou d’initiative.

  1. 5 Responses to “En temps réel”

  2. By Benoît on Juin 16, 2013

    L’affiche « Et si les infos temps réel arrivaient en temps dans votre entreprise  » a quelque chose de désespérant. Le machinisme et l’automatisation nous allégent collectivement et individuellement et devraient nous permettre de plus facilement savourer notre temps de vie. Là cela donne l’impression que du travail on cherche à en maintenir le caractère aliénant lors même que nous en avons les moyens de nous en libérer. Impression de voir dans cette affiche un horizon mental bouché et triste tant pour l’émetteur que pour le récepteur.
    Rappelons-nous encore une fois cette anecdote des insurgés de 1830 tirant sur les horloges.

  3. By ellisfr on Juin 20, 2013

    Moi ce qui m’énerve c’est la disparition (ou le non fonctionnement ?) de la mention « A quai ».

    On rentre dans la gare à 18h00, on voit marqué « prochain train 18h10 », on se dit « zut je viens d’en rater un », on prend le couloir, on monte tranquillement l’escalier, et en arrivant sur les dernières marches, on entend la sonnerie de fermeture des portes et on voit le train qui était bien là, partir devant nous..

    Il aurait été marqué « à quai », on avait largement le temps de l’avoir en se pressant un peu.

  4. By Nicolas B. on Juin 25, 2013

    Ellis, ton constat m’intéresse. Cela s’est passé où ? La disparition prématurée du train « à quai » existe, sciemment, mais elle n’est pas censée fonctionner comme tu le décris.

  5. By Nicolas B. on Juin 25, 2013

    Jean-Noël, décidément tu as le chic pour transformer les situations banales en sujets graves. Et pourtant, tu es loin d’avoir tort.

    L’autre jour, dans une gare, j’ai fait la connaissance d’une nouvelle « borne-agent ». C’est un ordinateur-visiophone où on peut causer avec un agent RATP qui se trouve dans l’écran. D’ailleurs si l’agent a une tête à claques, on peut taper l’écran, l’agent n’aura pas mal. C’est certainement une fonctionnalité essentielle du cahier des charges, et qui a été réalisée sans aucune difficulté. Je vois bien les gains qui se profilent derrière. Enfin, les gains en financement d’emplois humains en guichets à l’ancienne. Parce que, d’un autre côté, un système informatique comme ça, ça coûte bonbon. Mais la perte, elle est pour les voyageurs. L’écran, il est autrement plus limité que l’humain, dans le service qu’il peut apporter au voyageur. Et, quand il y a une urgence (un malaise, une agression, un incendie…), l’humain il intervient, alors que l’écran ne peut rien faire. Je n’aime pas bien ça. Alors que les progrès de l’informatique, je suis fan.

    À dix heures quatre, tu te trouvais peut-être dans ta cambrousse où passe un train par heure, auquel cas je comprends ta frustration. Mais, sur les lignes RER parisiennes dont les horaires ne veulent plus rien dire, quand pour une fois le train peut partir en avance plutôt qu’en retard, eh bien il part en avance. Et je m’en réjouis — même quand je ne suis pas dedans. Ce train parti plus tôt pourra arriver plus tôt, et pourra repartir plus tôt dans l’autre sens. Et il en va de même de son conducteur. Et, en libérant le sillon plus tôt, ce train permet aux trains derrière de progresser plus vite. À la fin de la journée, on peut ainsi avoir plus de parcours, à moyens constants. Pour les voyageurs, des trains plus fréquents, avec des parcours plus rapides, et moins chargés — donc encore plus rapides, c’est un cercle vertueux.

  6. By Jean-no on Juin 25, 2013

    @Nicolas : chez moi c’est un train toutes les 20 minutes mais c’est théorique car il doit bien y en avoir un sur cinq d’annulé. Le RER c’est autre chose mais ça dépend où tu vas. J’ai vécu des problèmes en allant à Roissy, c’était l’angoisse, parce qu’il n’y avait pas tant de trains que ça.
    La borne-agent, je l’ai repérée la semaine dernière Gare du Nord, en allant à Cambrai, il faut que je voie ça de plus près, merci de me l’avoir rappelée.

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