Profitez-en, après celui là c'est fini

On ne sourit plus, le petit oiseau électrique va sortir

mai 8th, 2008 Posted in Interactivité, logiciels, Parano

photomatonsDepuis mai 2006, sur les cartes d’identité et sur les passeports, il est interdit de sourire.
Il a bien entendu toujours été interdit de porter un postiche, un couvre-chef, des lunettes noires, ou de retoucher sa photographie – une photo d’identité où l’on est méconnaissable est évidemment inutile -, mais à présent on nous demande expressément :

  • une photographie de 35x45mm dans laquelle le visage doit mesurer, du bas du menton au sommet du crâne, 32 à 36mm
  • un cliché net, sans pliure et sans traces
  • une photo dont le contraste doit être optimal (la couleur n’est en revanche pas obligatoire)
  • un fond uni, gris clair ou bleu clair mais en aucun cas blanc.
  • Un visage photographié face à l’objectif, la tête droite.
  • une expression neutre et la bouche fermée.

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Avec ces contraintes, la photo d’identité est plutôt triste peut même dans une certaine mesure rendre une personne difficile à reconnaître par une autre personne, car le sourire est un des éléments qui permettent aux être humains d’identifier d’autres êtres humains.
Mais voilà, les photos d’identités officielles ne sont pas destinées aux êtres humains dont le cerveau est particulièrement doué pour l’interprétation et l’identification des expressions du visage. Elles sont destinées à faciliter le travail des logiciels de reconnaissance faciale.
La préfecture de police ne vous demande en effet pas une photographie pour établir votre carte d’identité, mais deux, et il n’est pas bien difficile d’imaginer ce que devient la seconde photographie : elle rejoint une base de données biométrique.
Les premières recherches sérieuses en matière de reconnaissance faciale émanent du MIT. Application spectaculaire de l’Intelligence Artificielle, elles ne font que progresser, mais leur principe de départ, qui n’a pas changé depuis les années 1980, est de considérer que le nombre de traits caractéristiques permettant d’identifier un visage unique est extrèmement réduit. Les logiciels actuels permettent d’identifier une personne parmi des dizaines de millions à la minute. Dans les feuilletons policiers ou mettant en scène la lutte contre le terrorisme, cette technologie nous est vendue comme un moyen d’assurer notre sécurité. Le principe de ces feuilletons est souvent de faire accepter au citoyen la privation de ses libertés au nom de sa sécurité. Imaginez qu’un juge américain a une fois cité la série 24 heures chrono comme justification de la torture lors des interrogatoires : il n’est sans doute pas indifférent que cette série nettement bushienne émane du réseau audiovisuel de Ruppert Murdoch, FOX TV. Donc c’est la sécurité de chacun qui mène à accepter la généralisation de la biométrie. Mais ces logiciels peuvent tout aussi bien servir à mettre un nom sur chaque participant à une manifestation syndicale ou politique, pour identifier le public d’une réunion, enfin pour tout ce que l’on voudra. Et tout ceci devrait être relié un jour à la base de données « ardoise » (Application de recueil de la documentation opérationnelle et d’informations statistiques sur les enquêtes), à laquelle les policiers français commencent à être formés, et qui contient des indications personnelles telles que l’orientation sexuelle, les affinités politiques, etc. L’utilisation d’ardoise est suspendue depuis une quinzaine de jours, la révélation de son fonctionnement ayant quelque peu perturbé une petite partie du public.

Qui surveillera les surveillants ? Sed quis custodiat ipsos custodes ? C’est la question que posait il y a deux mille ans le poète Juvénal à ses amis qui réclamaient des argus. Argus (Άργος Πανόπτης), est le gardien aux cent yeux, missionné par la déesse Hera pour surveiller Io, une des maîtresses de Zeus. Cinquante de ses yeux dormaient en permanence pendant que les cinquante autres veillaient. Ce n’est pas de cet Argus-là que parlait Juvénal (il parlait de ce que nous appelons à présent le flicage), mais rappelons tout de même que le moyen trouvé pour libérer Io du géant Argos Panoptes, ça a été l’Art, et plus précisément la musique : endormi par la flûte d’Hermès, Argus peut être tué par ce dernier.
En France c’est la Commission Informatique et Libertés qui a la charge de « garder les gardiens ». La CNIL a été créée pour répondre à l’émoi du public face au projet de création du logiciel « Safari » (Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus) projet initié par un certain Jacques Chirac, ministre de l’Intérieur, en 1974. Depuis cette époque, elle veille, dans l’indépendance, mais ses prérogatives sont régulièrement écornées.
Depuis 2004, en effet, la CNIL ne peut plus prendre de sanctions contre l’état en cas d’infraction à la loi Informatique et Libertés, et n’a plus son mot à dire à propos des « traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’Etat et portant sur des données biométriques nécessaires à l’authentification et au contrôle de l’identité des personnes ». La création de la CNIL a mis en son temps la France à l’avant-garde de la lutte contre les dérives qui peuvent naître des croisements de données, et voilà que l’état, sans surprise (l’abus de pouvoir est la pente naturelle du pouvoir car une fois un pouvoir conquis, le problème qui est posé est celui de la conservation dudit pouvoir), vide de son contenu ce rempart des citoyens contre les abus de l’état, nous replongeant trente ans en arrière alors même que la technologie est prête pour automatiser la suppression totale des libertés publiques : bienvenue à Gattaca !

  1. 3 Responses to “On ne sourit plus, le petit oiseau électrique va sortir”

  2. By Stéphane Deschamps on Mai 21, 2008

    Ce qui me fait marrer, c’est la précision des images qu’on nous demande — et au final on imprime une carte d’identité sur laquelle on a l’air d’une famille de koalas (je viens de faire celle de mes enfants, j’en pleurerais).

    La biométrie, sans doute, mais je me dis que si on opposait les deux photos pour éprouver la véracité de la carte, qu’on sourie ou non ne changerait rien.

    En revanche la fin de ton article donne froid dans le dos. Je ne savais pas que la CNIL était impuissante face à l’état…

  3. By Jean-no on Mai 21, 2008

    En fait quand tu ne souris pas les cotes des points « clé » de la reconnaissance faciale sont plus faciles à repérer.

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  2. Juin 12, 2008: Le dernier blog » Blog Archive » Typographie pour humains

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