Prison automate
février 14th, 2011 Posted in Les pros, Parano, stationspottingAprès de longs mois de travaux, la gare de mon modeste et bucolique village du Val-d’Oise a été complètement ré-agencée.
La comparaison entre « avant » et « après » me semble très instructive à faire en ce qu’elle témoigne des changements opérés dans les rapports entre la société des chemins de fer, ses usagers et ses employés.
Je ne suis pas certain que mes schémas seront très clairs et je sais qu’ils ne sont pas très exacts.
Le premier dessin (ci-dessous) montre la gare avant les travaux. Depuis la rue, on accédait librement aux voies, c’était à chacun de prendre la responsabilité du compostage du billet, comme sur les quais des grandes gares parisiennes. On pouvait aussi accéder à l’intérieur de la gare, dont le gros de la surface était occupé par le personnel de la SNCF, réparti en deux guichets et un bureau de réservation grandes lignes, bureau qui avait déjà été fermé plusieurs mois avant le début des travaux et qui avait été remplacé par un automate capricieux : « si vous voulez acheter un billet grandes lignes au guichet, il faut aller à Argenteuil [5km] ou à Paris [15km]« .
Après les travaux (ci-dessous), la gare a été vidée des agents, il ne reste qu’un unique guichet, fréquemment fermé. L’espace de services a été transformé en un simple hall, que l’on peut traverser. Le lieu est équipé d’automates d’achat de billets (banlieue et grandes lignes) et une zone a été réservée pour accueillir une boutique semble-t-il, mais elle est pour l’instant inoccupée. Ce hall n’est pas assez spacieux pour qu’on y ait disposé des bancs.
Pour accéder aux voies, depuis la gare ou depuis la rue, il faut à présent passer des portillons automatiques, c’est à dire être muni d’un ticket ou d’un passe RFID.
Il n’est plus question, par exemple, de se rendre sur le quai pour tenir compagnie à quelqu’un qui va prendre son train.
En fait, si l’on utilise des tickets, et non un passe, on se trouve prisonnier sur le quai dès lors que l’on a passé les portillons, car si on décide de sortir, on ne pourra plus revenir dans la gare. Le quai fonctionne alors un peu comme une nasse.
Sur une vue satellite, j’ai indiqué en jaune la zone à laquelle l’usager qui a passé les portillons est contraint.
Supposons qu’une annonce informe les voyageurs de la suppression d’un train. C’est très fréquent et cela signifie que le prochain train ne passera pas avant un quart d’heure. Autrefois, on patientait en sortant et la gare, typiquement pour profiter d’un des services qui se situent à proximité immédiate : bar-tabac, maison de presse, distributeur bancaire, boulangerie, épicerie, cabines téléphoniques, pharmacie. À présent, il est impossible de sortir, le voyageur doit rester sur le quai, abrité de la pluie par un préau mais pas du vent ni du froid, et ceci, donc, pendant un quart d’heure.
Il existe sur le quai un distributeur « Selecta » où l’on peut acheter une bouteille d’eau à près de deux euros ou des biscuits et autres aliments sucrés.
La raison d’être des portillons est, comme dans le métro1 et le RER je suppose, de limiter la fraude des usagers (fréquente) et d’empêcher la circulation de personnes qui n’ont rien à faire sur le quai (rare). C’est légitime sans doute, mais en même temps assez autoritaire et contraignant. Ce système avantage par ailleurs fortement les voyageurs qui utilisent une carte de transport du type « Navigo »2.
Ceux qui utilisent de simples tickets sont, comme on l’a vu, prisonniers sur le quai, quai auquel ils peuvent par ailleurs avoir des difficultés à accéder car seul un petit nombre de portillons (parfois en panne) sont équipés pour le passage des tickets.
La langue médiatique actuelle aime bien prétendre que les voyageurs sont « otages » des mouvements sociaux, eh bien ils peuvent aussi être « séquestrés », « piégés » par des portillons automatiques.
Les automates coûtent cher à fabriquer, à installer et à maintenir, notamment ceux qui sont en permanence disposés en extérieur. J’ignore s’ils coûtent à l’usage plus ou moins cher que les employés qu’ils remplacent. Je soupçonne dans l’emploi de l’automate une lâche manière de laisser la machine, réputée impartiale et implacable, faire des choses qu’un élément humain ne pourrait jamais faire. Si un employé de la SNCF nous cognait ou nous coinçait lorsque nous n’entrons ou ne sortons pas à la vitesse qu’il juge bonne, il aurait sans doute à s’expliquer ; et s’il laissait quelqu’un muni d’un titre de transport valide sortir de la gare mais plus y retourner, il semblerait de la même manière agir de façon hostile et injuste.
Il faut pourtant bien rappeler qu’un automate n’a rien d’impartial. Son activité est toujours le résultat d’un programme, c’est à dire que ses actions ont été prévues, pensées, voulues. Derrière chaque machine, se trouve un projet, une volonté.
En fait, les technologies grâce auxquelles fonctionnent les automates pourraient rendre toutes les opérations plus fluides et plus amicales si elles étaient voulues ainsi. Il pourrait par exemple être possible de souscrire à des abonnements faits « sur mesure » (deux jours par semaine par exemple) ou d’accepter qu’une personne munie d’un ticket valide puisse sortir et rentrer dans la gare librement. Le fait que cela ne soit pas fait ne montre sans doute rien d’autre que le mépris avec lequel les usagers sont considérés ou, au mieux, montre seulement que leur confort ou leur agrément ne sont pas particulièrement pris en compte.
Il n’y a pas que du mépris, il y a aussi de la méfiance, ainsi que le démontre l’ahurissante inflation du nombre de caméras de surveillance nouvellement installées. Il y en a sur les quais, à chaque point de passage et à l’intérieur de la gare. Sans les avoir recensées précisément, je pense pouvoir en dénombrer plus d’une vingtaine, et ce pour une toute petite gare située dans une paisible commune bourgeoise et sans histoires. On peut supposer que le coût d’exploitation de ces caméras est plutôt important. J’ignore si toutes appartiennent à la SNCF ou si certaines sont la propriété de la commune ou de la police nationale.
Le réseau Transilien (les trains de banlieue dont le terminus est toujours une grande gare parisienne) appartient à la SNCF et à Réseaux ferrés de France mais son coût d’exploitation est en très grande partie financé par le syndicat des transports d’Île-de-France, c’est à dire par le secteur public. La SNCF, quand à elle, est un établissement public, mais ce statut est amené à changer, la commission européenne a récemment exigé que, comme la Poste, la société nationale des chemins de fer français devienne une société anonyme. Le motif officiel est l’ouverture loyale à la concurrence, mais des arrières-pensées peuvent être soupçonnées : après tout, la SNCF brasse des dizaines de milliards d’euros mais, en dehors de quelques partenaires, prestataires3 ou sous-traitants, cela ne rapporte à personne, des actionnaires privés ne se distribuent pas de dividendes ou de coupons,…
Une fois devenue une société comme les autres, la SNCF pourra rapporter des sommes importantes, à condition sans doute d’augmenter ses tarifs, d’augmenter le montant des subventions qu’elle perçoit des collectivités locales et de baisser le coût et la marge de manœuvre de ses usagers comme de sa main d’œuvre, c’est à dire les gens qui ont fait vivre directement ou indirectement cette société pendant près de trois-quarts de siècle.
- Les portillons automatiques sont généralisés dans le métro depuis 1975 et existent dans le RER depuis sa création. [↩]
- Depuis ma gare, pour quelqu’un qui doit se rendre à Paris, l’abonnement Navigo n’est financièrement intéressant qu’à condition de prendre le train cinq fois aller et cinq fois retour chaque semaine au minimum — ou à condition d’avoir un employeur qui assume tout ou partie du coût de la carte de transport. [↩]
- L’agence de voyages américaine Expedia, pour le site voyages-sncf.com par exemple. Site lourdement condamné par la justice pour ses pratiques de concurrence faussée en 2009. [↩]
31 Responses to “Prison automate”
By A_ on Fév 14, 2011
Ah mais si, il y a eu un gros progrès à St Lazare, 2 mini-tours ronde, façon colonne Morris avec affichage numérique tournant donnant la liste de toutes les gares et les horaires des deux prochains trains qui y passent avec quand c’est disponible le quai. Il en faudrait plus, mais c’est enfin lisible.
By A. on Fév 15, 2011
« Ce système avantage par ailleurs fortement les voyageurs qui utilisent une carte de transport du type « Navigo »2. »
Parfois, le fait de posséder un Navigo n’aide pas non plus : une fois franchis les portiques, il faut attendre plusieurs minutes avant de pouvoir rebrousser chemin et passer à nouveau. La latence peut être de plusieurs minutes et force l’utilisateur au bon choix (bon sens?). C’est à vivre comme une punition ; certes le ticket est hors d’usage dans ce cas de figure, mais lorsque ça arrive avec Navigo, on a tendance à repenser furtivement (pour ne pas trop s’encombrer d’une réalité façon collecte de données) aux informations enregistrées sur la puce du pass, à mesure des parcours quotidiens/hebdos/mensuels/(annuels?!)
By Jean-no on Fév 15, 2011
@A. : Merci de ces précieux éléments. J’ai utilisé un passe Navigo pendant une semaine, mais pas assez pour me rendre compte de ce que tu racontes. J’ai remarqué en revanche que les « erreurs » étaient sanctionnées comme un dressage, accompagnées de sons très caractéristiques (et forts !), un « ding » cristallin et amical lorsque l’on fait bien, et un « bzeuuu » de sanction lorsque l’on s’est trompé. Cela va bien avec le concept de punition que tu évoques.
By Marie on Fév 15, 2011
Je me serais bien délectée d’un paragraphe supplémentaire issu de ta plume sur le rapport entre la SNCF et ses employés : réduire drastiquement le nombre de guichets, supprimer tout contact humain, faire disparaître les employés… Du coup, ils sont passés où ? Derrière le standard téléphonique du 36-je-ne-sais-combien pour répondre à des usagers mécontents ? Ces employés-là sont donc moins qualifiés, moins payés, plus jeunes, plus précaires ?
C’est un signe probant de la politique à la mode appliquée aux employés du public comme du privé, à l’échelle de notre chère société des chemins de fer…
Et pourtant, je nourris une tendresse toute particulière envers la SNCF, et pas uniquement parce que chaque voyage en train me plonge dans une profonde et positive nostalgie : parce qu’une entreprise comme celle-ci qui fait partie de notre patrimoine devrait être un peu plus aidée que ça à mon goût :)
By Jean-no on Fév 15, 2011
@Marie : bien entendu, cette question est centrale et recoupe un précédent post, « la société savonnette », mais aussi assez difficile à traiter de mon point de vue car je ne peux pas témoigner de l’intérieur du changement de fonctionnement de la SNCF et je ne connais pas les chiffres. J’ai remarqué que les employés étaient privés de possibilités d’action. Par exemple, un guichetier à qui ma femme signalait une erreur d’affichage sur le quai lui expliquait qu’il ne pouvait ni corriger le problème, ni faire une annonce. De même, les guichetiers ne peuvent plus faire de billets grandes lignes alors que ça demande bien moins de compétences qu’autrefois. J’ai l’impression que les nouveaux employés sont à peine formés, déresponsabilisés, et donc interchangeables.
La SNCF a été fondée dans la foulée du Front populaire et a racheté toutes les innombrables petites lignes françaises. Ça n’a pas été que positif, de nombreuses lignes ont fermé (il ne reste plus qu’une gare, à Auch, pour tout le département du Gers, par exemple ! On dit que c’est avant la guerre de 1914-18 que le réseau français a été le plus dense), mais en même temps, ça a permis de créer une culture ferroviaire assez formidable. Aujourd’hui monopolistique, la SNCF s’apprête à être privatisée… Et ça ne sera certainement pas au bénéfice de ceux qui, pendant 75 ans, l’ont financée : nous.
By Luk on Fév 15, 2011
Si on peut regretter l’apparition des redoutables CAB (Contrôles Automatiques Banlieue), l’usager Navigo risque d’en être pour ses frais s’il ressort lui aussi! Impossible de passer le même abonnement 2 fois en moins de 15 minutes (J’ai déjà du demander un ticket au guichet à cause de ce truc).
Pour ce qui est des affichages sur écrans, le responsable est censé pouvoir les éteindre la nuit -j’étais persuadé que c’était automatique, pour les voir s’éteindre dès que le dernier train est passé à la Défense. L’avantage indéniable de ces machines est que leur entretien est beaucoup plus aisé que les afficheurs mécaniques, qui ont la mauvaise habitude de se coincer.
D’ailleurs, à ma gare, où les deux systèmes cohabitent, je ne me fie qu’aux écrans car si l’information diffère (et c’est souvent le cas), c’est l’ancien système qui se trompe. J’imagine que ce n’est pas le même système d’information qui pilote les deux machines (infogare pour les écrans).
L’autre défaut des écrans est que si la mission n’est pas prévue à l’origine, l’ajouter en cas de perturbation relève de la blague. J’ai souvent vu des gares indiquées à Saint Lazare alors que le train ne les desservait pas. WOOPS!
By Jean-no on Fév 15, 2011
@Luk : c’est intéressant de quart d’heure forcé… Ça me rappelle des expériences sur les rats. Sur l’affichage, c’est vrai que l’affichage mécanique a de nombreux défauts, à commencer par son manque de souplesse. Je trouve souvent les affichages numériques mal faits ceci dit. Par exemple sur Saint-Lazare, trouver le train qui va chez moi est difficile, je dois attendre devant certains quais que la liste des gares défile (pas la place de toutes les afficher) pour savoir si c’est le bon train. Curieusement, la lecture était plus aisée du temps des affichages à volets mécaniques (dont j’adorais le son mais bon ok, rien à voir :-)), même s’il leur arrivait souvent de tomber en panne.
By Luk on Fév 15, 2011
Oui, l’ergonomie des ceux de St Lazare n’est pas adaptée à Transilien et ses nombreuses gares. D’ailleurs je ne comprends pas trop le choix :/
Sur les petits écrans, j’utilise le code mission pour m’y retrouver dans la liste des trains, information qui manquerait s’ils étaient restés aux afficheurs mécaniques.
Pareil, j’adore le bruit, il va me manquer :/
By Jean-no on Fév 15, 2011
@Luk : le code mission, pas bête. Mon angoisse hebdomadaire, c’est que je rentre du Havre deux minutes pile avant un train qui va dans ma ville. J’ai donc deux minutes à Saint-Lazare (si tout le monde est à l’heure) pour retrouver la voie (qui change souvent) de mon train. Autrefois je l’avais, à présent ça ne m’arrive plus très souvent, car j’arrive dans la zone grandes lignes (d’où part pourtant mon train banlieue, parfois) où ne se trouve pas d’affichage général. Il faut courir entre les valises à roulettes jusqu’à l’afficheur principal, en essayant de guetter du regard les trains qui pourraient être le bon… Enfin tu imagines le problème. Et si je rate le train, eh bien c’est parti pour vingt minutes d’attente du prochain qui, pour une raison inconnue, est très régulièrement supprimé cinq minutes après l’heure à laquelle il doit partir.
By drixe on Fév 15, 2011
D’abord suspects, puis ensuite usagers…
By Cld on Fév 15, 2011
Un article a renvoyer très sincèrement au premier intéresse : la SNCF. On attend votre retour.
By Wood on Fév 15, 2011
Le quart d’heure forcé, je présume que c’est pour empêcher plusieurs usagers de se partager le même passe Navigo en se le passant par-dessus le tourniquet.
By Jean-no on Fév 15, 2011
@Wood : ça semble logique, ceci dit un quart d’heure, ça compte large ! (à chronométrer !)
By EM on Fév 15, 2011
Superbe Billet témoignant d’une bien triste réalité… !
By bohwaz on Fév 15, 2011
Vous remarquerez que les plus emmerdés sont ceux qui payent, ceux qui « fraudent », il leur suffira juste de sauter le tourniquet, et comme il n’y a quasiment plus de guichet, personne pour les empêcher ni les dissuader.
Tous ces automates coûtent cher et n’apportent que des ennuis aux usagers « payants », sans compter la perte de présence humaine, donnant lieu à plus de vandalisme en général… Une stratégie de rentabilité à court terme, pour faire plaisir aux actionnaires.
By Capuche on Fév 15, 2011
Je connais une gare qui a subi le passage au portillon automatique… et dont un des accès a été fermé, parce que l’équiper aurait couté trop cher. Une employée m’a dit que chaque portillon coutait 10000 euros, il y en a une quinzaine… Petit détail: ils ont été installés en août 2009, et mis en service en décembre 2010. Ah oui… et si le train est supprimé, ce qui est en effet courant, et qu’on choisit d’aller prendre le bus, on perd le pris du billet. Et encore, j’ai la chance de ne pas utiliser cette merveille de modernité tous les jours, ni aux heures de pointe. Oui, parce que c’est pour une gare plus moderne (quid de la fluidité des déplacements?) et plus sûre (ah bon? Pour qui?).
By Jean-no on Fév 15, 2011
@Capuche : je pense aussi que la fluidité des déplacements (notamment la sortie aux heures de pointe) est nettement ralentie par ce système.
By olivier on Fév 16, 2011
A propos de la société savonette, j’ai vécu cette semaine une expérience désagréable : près de chez moi aussi il y a une petite gare RER dans laquelle l’accès aux quais est bloqué par des portiques. Il y a des distributeurs de billets, mais il y a aussi un guichet dont la vitre blindée donne sur la rue.
Un matin à l’heure de pointe, je passe mon ticket dans le portique, et une fois de l’autre côté, je découvre que les écrans d’informations indiquent d’importants retards dans les deux directions (il n’y a que deux quais dans cette gare).
Détail intéressant : on ne peut pas voir ces écrans depuis l’extérieur de la gare.
Je décide de monter sur le quai et d’attendre un peu, comme tout le monde. L’affichage indique que les 3 prochains trains sont annulés, le prochain passera dans une demi-heure, je m’installe sur un banc et commence à bouquiner. Une voix féminine explique dans les hauts parleurs qu’on doit cette situation à un problème de passage à niveaux un peu plus haut sur la ligne. Mais cela n’empêche visiblement pas les trains de circuler puisque 3 trains passent dans la gare sans s’arrêter. Les gens commencent à raler.
Enfin le train annoncé arrive en gare, et il est bondé. Impossible d’y monter, cette fois sur le quai la grogne s’installe : une moitié des gens est excédée l’autre est à la fois résignée et blasée.
Je décide que je vais quitter la gare et aller à Paris en moto. En sortant, je me dis que quitte à être en retard je vais faire la queue au guichet afin de me faire rembourser mon billet : il y a une dizaine de personnes qui attendent en file que la personne à l’intérieur du guichet leur signe des mots de retard pour leur patron. Lorsque vient mon tour je glisse mon ticket vers l’employé et lui explique que je trouve normal d’être remboursé, étant donné que le ticket coûte relativement cher, et que la disposition des lieux fait que j’ai été obligé de le cramer pour découvrir l’état du traffic sur les affichages.
L’employé visiblement éprouvé par ses précédentes conversations avec d’autres usagers excédés, me répond que si j’ai passé le billet, c’est trop tard, il ne peut pas me le rembourser. J’insiste un peu, en essayant de ne pas trop m’énerver, et il admet qu’il pourrait me rembourser à condition d’avoir l’accord téléphonique d’un supérieur. Je l’ai laissé passer un premier coup de fil, qui pour je ne sais quelle raison a échoué (pas le bon supérieur sans doute) et j’ai abandonné pendant son deuxième coup de fil, alors que la file d’attente derrière moi avait triplé.
Au delà du fait que cette histoire doit paraître tristement banale aux usagers quotidiens des transports en communs, je me suis interrogé sur le rôle que cet employé joue dans la RATP :
• il n’est pas là pour vendre des billets : les distributeurs le font au moins aussi bien que lui
• je ne crois pas qu’il soit là pour renseigner les usagers, car 1/ la seule fois où j’ai osé poser une question sur mon trajet j’ai obtenu une réponse lapidaire et teintée de mépris et 2/ à aucun moment dans notre discussion il ne m’a opposé cet argument
• il n’est pas là pour régler les problèmes : cet employé était un jeune homme, et la voix dans haut-parleurs sur le quai était féminine qui n’était pas enregistrée. D’ailleurs il ne l’a pas réglé, mon problème…
L’explication qui m’est venue à l’esprit sur le moment et qui ne le quitte plus, est que ce jeune homme sert de soupape : la ratp l’emploie pour signer des mots de retard en recevant un flot d’insulte de la part d’usagers en colère.
Les gens ne vident pas leur sac sur une machine, et quand ils le font sur un humain ils se sentent un peu mieux après… Est-ce que ça leur fait oublier le mépris et la méfiance dont tu parles dans ce poste ? je ne le pense pas, mais je crois que d’une manière tacite, ça efface temporairement l’ardoise de la ratp, et ça leur permet de continuer à subir ces désagréments quotidien.
By Jean-no on Fév 16, 2011
@Olivier : je vois ça pareil, ces employés n’ont pas de pouvoir (même pas celui de résoudre certains problèmes simples), ne sont pas toujours bien informés ni formés à grand chose (finie, l’époque où le gars sortait d’énormes bottins horaires pour faire en trois minutes un billet entre un petit bled français et un petit bled allemand avec quatre correspondances,…), ils sont donc avant tout là pour se faire engueuler par les voyageurs, ce qui doit être une situation franchement pénible, pas exactement ce qu’on appelle un métier. Et après ça, ils sont régulièrement évalués pour savoir s’ils « font preuve d’initiative » (alors qu’ils ne peuvent, techniquement, que très rarement le faire)… C’est à nous, usagers, de nous retenir de rentrer dans ce jeu finalement.
By Croa on Fév 16, 2011
Boudioû !
Heureusement que nous n’avons pas ça en province ! (Pour le moment nous pouvons encore sortir et entrer librement des gares pour boire un café lorsqu’un train est en retard.)
Je ne comprenais pas pourquoi de nombreux parisiens prenaient encore leur automobile alors qu’ils disposent de trains bon marché fréquents. Maintenant je comprends !
(En province les trains sont très chers, sauf abonnements spéciaux.)
By jojo on Fév 16, 2011
… et tu n’as pas essayé de passer ces portiques avec une poussette.
By Runn on Fév 16, 2011
Si les gens ne peuvent pas quitter le quai après avoir composté leur billet, je ne comprend pas comment fond les passagers qui débarquent du train pour quitter le quai et rentrer chez eux ?
By Jean-no on Fév 16, 2011
@Runn : quitter le quai, c’est facile (et, contrairement au RER, on peut le faire sans ticket). En revanche ce qui n’est pas facile, c’est de retourner sur le quai avec le billet pourtant valide qu’on a utilisé pour entrer.
By Bastien on Fév 17, 2011
Les designers sadiques du transilien ne connaissent sans doute pas Annie Philippe.
http://www.youtube.com/watch?v=h0Ilq6TT2ls
By odilon on Fév 18, 2011
ça reste à vérifier mais on m’a dit que sur le réseau francilien, la SNCF demandait une contribution aux communes pour que les trains s’arrêtent dans leur gare (on appelle ça du racket). Ça donne un avant-goût pour l’avenir !
By Jean-no on Fév 18, 2011
@odilon : je sais que la région paie beaucoup, mais les communes je ne sais pas. Je suppose que certaines petites communes du fin fond du Val d’Oise doivent avoir du mal à convaincre Transilien de continuer à les desservir… J’essaierai de me renseigner sur le sujet.
By paumier on Fév 18, 2011
Je suis moi-même habitante de Cormeilles et j’ai dû franchir « illégalement » le potillon pour accompagner une amie sur le quai de la gare ce matin même ! Par ailleurs, avant la mise en place des portillons mais aussi du grillage qui clôture le quai, j’avais l’habitude de traverser le parking pour rejoindre directement les derniers wagons du train… Au lieu de blinder les gares et de voir en chaque usager un fraudeur potentiel, la sncf devrait s’interroger sur les tarifs pratiqués (3 euros un simple aller sur Paris et à condition d’opter pour un carnet de 10 tickets). On veut nous enfermer dans des petites cases bien normalisées et attention à celui qui en sortira !
By Jean-no on Fév 19, 2011
@paumier : oui, 3 euros, c’est assez rédhibitoire quand on a par exemple trois enfants et plus de carte famille nombreuse : 30 euros l’aller-retour familial pour aller voir un film à Paris (le cinéma Le Figuier Blanc d’Argenteuil est super mais ne fait pas souvent la VO).
N’hésitez pas à envoyer d’autres cormeillais lire ce billet, je suis curieux et intéressé de connaître le ressenti d’un maximum de gens. Dans un ou deux ans, on aura oublié la gare d’avant, on sera habitués.
By Manuel Boutet on Fév 22, 2011
Depuis trente ans, les études sociologiques répétées montrent que ce type d’agencement, qui coupe la gare de la ville – comme vous l’illustrez très bien, est source de problèmes de sécurité et de dégradations.
Pourtant la logique sécuritaire – nourrie d’ignorance, de moralisme et de volontarisme – revient sans cesse à la charge. Et elle sert ici de véritable cache misère face à la désertion réelle de la gare: le portillon est une espèce de punition du client qui accompagne l’appauvrissement drastique du service avec la disparition des employés.
Ce n’est ensuite que lorsque la gare fermée sera devenue réellement invivable, que l’entreprise s’avisera peut-être qu’il y a un problème (qu’elle a entièrement fabriqué)et qu’elle cherchera peut-être des manières de le résoudre.