L’Apocalypse NF et l’obsession de la virilité

Après quelques années d’intérêt pour la fin du monde, il me semble que ce thème est souvent un outil conceptuel, une « expérience de pensée », qui permet d’imaginer voire d’appeler un renversement radical des hiérarchies et de l’échelle de valeurs : détruire pour pouvoir construire quelque chose de neuf1.

Cette semaine, la communication très très à droite de la mairie de Béziers et la couverture du magazine Valeurs actuelles2, lui aussi politiquement marqué à la droite de la droite, font le même genre de choix, et ce n’est la première fois ni pour l’un ni pour l’autre. Leur traitement de l’actualité convoque un imaginaire visuel narratif qui promet des bouleversements radicaux.
La couverture de Valeurs actuelles est une référence à celle de Guerilla, le jour où tout sembrasa, un livre paru il y a quelques semaines, classé en première place des ventes de romans sur Amazon, et dû à Laurent Obertone, auteur de deux essais qui ont fait un peu de bruit, La France Orange mécanique et Utøya. Ce monsieur, que Médiapart présente comme étant le Pélicastre jouisseur, célèbre blogueur d’extrême-droite, considère que même les journalistes du Figaro sont trop gauchistes pour admettre que la France est ravagé par la criminalité et en état de guerre plus ou moins raciale (si j’ai bien compris, car je dois admettre que je ne ne l’ai pas lu).

migrants_beziers_tour_eiffel_valeurs_obertone_guerilla

Ici, en apparence, la promesse de catastrophe n’est pas portée par une attente de changement, de remise à plat politique ou sociale, comme ça a a souvent été le cas avec les prédictions apocalyptiques, c’est au contraire un avertissement.
Mais ce n’est qu’une apparence, car cette manière d’illustrer, de raconter par l’image et par la fiction, ressemble plutôt à une façon de jouer à se faire peur. Les quarante migrants accueillis à Béziers semblent submerger la cathédrale, et la Tour Eiffel est détruite comme dans un film de Roland Emmerich.  Tout cela ressemble furieusement à un rêve de désastre, le rêve mouillé d’un affrontement guerrier qui autoriserait, en réponse, un déchaînement de violence et le retour à une virilité sans bride, puisque c’est ce que réclament les personnes telles qu’Éric Zemmour, Alain Soral, et autres membres de la « réacosphère » ou de la « fachosphère », qui mêlent une obsession du conflit ethnique, civilisationnel, religieux ou culturel à une obsession toute aussi névrotique d’un retour (comme si elle était partie !) à la primauté masculine. On trouvait la même chose dans Ravage, de Barjavel, roman de science-fiction écrit sous l’influence de la Révolution nationale pétainiste (et donné à lire à des milliers de collégiens chaque année) ou encore dans le film The Survivalist, dont le héros profitait d’un état de guerre pour devenir, enfin, quelqu’un, et notamment auprès de la gent féminine.

Si mon intuition est juste, alors le frisson du désastre est ici encore un outil imaginaire pour revendiquer un changement social, et plus précisément cette fois, un changement de hiérarchie sexuelle, afin que les hommes qui se jugent brimés par les injustices exposées par quelques décennies de théorie féministe puissent jouir, sans s’en sentir coupables, de leur ascendant sur les femmes.

  1. C’est le cas par exemple de la propagande de Daech, qui s’appuie sur des références apocalyptiques — lesquelles sont au passage moins inspirées par le Coran (où la fin des temps est une notion centrale mais pas quelque chose que les croyants sont censés accélérer, au contraire — puisque « nul ne connaît la date ») que par l’imaginaire visuel apocalyptique de groupes religieux évangéliques tels que les Témoins de Jéhovah. []
  2. Je note que le mot « actuelles » est de plus en plus petit sur le titre ! []
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3 réponses à L’Apocalypse NF et l’obsession de la virilité

  1. Bonjour. Mon message n’a aucun lien avec ton article, mais comme tu semble connaitre les films sur la guerre nucléaire, peut-être pourras-tu m’aider ? Je recherche un vieux film post-apocalyptique américain datant des années 80. Je sais que le titre c’est U.S.A 2000. Du moins, c’est le titre qu’il a dans la version traduite au Québec. D’ailleurs, j’ai beau chercher des infos sur ce film, mais je ne trouve rien.

    • Jean-no dit :

      @Stéphane Desbiens : je ne vois pas, non. Ça racontait quoi ? Le film le plus marquant qui se finit en « 2000 » pour les années 1980, à mon goût, c’est Cherry 2000. Il y a aussi un America 3000, sorti en 1986.

  2. Lionel dit :

    Apparemment, America 3000 est bien le film que recherche Stéphane Desbiens: https://www.youtube.com/watch?v=ejA06nf40D4

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