Le jour où j’ai mangé pour vraiment très très cher

J’ai toujours rêvé de manger de la cuisine de grand chef, mais je n’ai jamais osé pousser la porte d’un restaurant étoilé car je sais que je supporterais mal que le plaisir du plat ne soit pas proportionné au prix. Certaines personnes aiment le luxe pour lui-même, mais moi pas du tout, je suis plutôt pingre. Manger pour soixante euros, un jour de cette vie, pourquoi pas, mais il faudra alors que ce que je goûte soit trois fois meilleur que ce que je mange habituellement pour vingt euros. Le jour où je mangerai pour cher, il faudra que ça soit inoubliable.
Enfin c’est ainsi que je voyais les choses jusque récemment.

Quand je suis seul le soir au Havre, je dîne souvent dans la taverne Paillette, une institution de la ville, puisque cette brasserie a été ouverte en 1596. On dit qu’Henri IV y a bu une choppe, mais je ne pense pas que ça soit prouvé. Enfin ce qui est certain c’est que l’ouverture du lieu est contemporaine de son règne.
Quand j’y vais, je mange toujours la même chose : une choucroute paysanne (que j’apprécie car elle contient du boudin noir) à environ douze euros, une bière Paillette (assez légère pour que j’en prenne une pinte, ce qui nous amène dans les huit euros), et un café. Tout ça est vraiment très bon, de la cuisine de brasserie sans sophistication et sans mauvaises surprises. Et le ticket de caisse est honnête.

Choucroute paysanne partiellement mangée, le lundi 20 juin 2016, accompagnée d’une bière Paillette (Reconstitution)

Enfin c’est ce que je me disais jusqu’à cette semaine. En cherchant à dater un ancien achat pour savoir s’il était toujours sous garantie, j’ai mis le nez dans mon relevé de compte de juin 2016. Et là, horreur, je tombe sur un débit par carte bleue intitulé « TAVERNE PAILLE », d’un montant de 224,40 euros. Deux-cent vingt-quatre euros !?! La personne a encaissé mon repas a visiblement tapé une fois de trop sur le 2 ou sur le 4. Sans doute sur le 4. C’est vite fait, j’imagine. Je me suis toujours demandé pourquoi cette bonne blague n’arrivait pas plus souvent.
J’ai donc payé deux-cent vingt-quatre euros au lieu de vingt-deux.

Je suis allé fouiller mon emploi du temps de l’an dernier. Le jour en question, j’étais revenu au Havre, après une semaine de diplômes, pour faire passer le lendemain un « bilan de rattrapage » à deux étudiantes qui n’auraient pas pu valider leur année sans ça. Au lieu d’arriver par le train le matin même, j’avais eu la grande idée d’être présent dès la veille. Seul en ville, sans la compagnie de collègues, j’ai dû aller comme d’habitude au restaurant, y manger ma choucroute paysanne, y boire une bière et terminer avec un café. Comment est-ce que j’ai pu ne me rendre compte qu’un an après de ce que ça m’avait coûté ? Mystère. Je devais me sentir très riche ce mois-là, car habituellement, une dépense pareille ne passe pas inaperçue.

Je vois que le lendemain, dans la brasserie de l’université, je n’ai dépensé que 8 euros 55, au lieu d’une dizaine d’euros en moyenne. C’est une économie de près d’1,5 euros. J’admets que ça ne compense pas tout à fait.

Enfin voilà, je peux dire ce que ça fait de manger pour deux-cent euros : sur le coup ça ne fait pas grand chose, c’est un peu comme d’habitude, mais un an et deux mois plus tard, ça donne des aigreurs à l’estomac.

6 réflexions au sujet de « Le jour où j’ai mangé pour vraiment très très cher »

  1. Faut vraiment que tu ailles les voir, cette année, avec tes relevés et tes explications. En lisant ton billet (après les tweets qui étaient moins précis) je constate donc que :
    – tu es allé plusieurs fois dans cette brasserie, même assez régulièrement en fait. Donc les serveurs te connaissent, ils savent que tu y vas seul, pour manger souvent la même chose. Tu n’es pas un parfait inconnu.
    – comme tout le monde, tu conserves tes relevés bancaires, et tu payes à chaque fois par carte bancaire. Tu peux donc retrouver plusieurs autres relevés qui montreront à chaque fois un débit de l’ordre de 22,40 ou 24,40. La régularité de tes consos aide à établir la vraisemblance de l’erreur.
    – le montant de l’addition erronée montre bien qu’il s’agit du cas classique d’une frappe en trop : deux fois le même chiffre.
    – ta simple « bonne foi », ce n’est pas rien : tu SAIS que tu n’as jamais consommé pour le montant encaissé, que tu n’as pas invité, un jour par excessive philanthropie, une troupe de neuf étudiants (en plus de toi) dans ce lieu.
    – la brasserie est une vieille maison de bonne renommée. Ce n’est pas un bouge qui refuserait de corriger son erreur, même en sachant que cette somme n’aurait pas dû être prélevée. Au contraire : dans le meilleur des cas tu auras droit à des excuses, et à un verre de cognac offert par la maison à la fin de ton prochain repas.

    S’te plaît ! Vas-y ! Fais-moi plaisir. N’hésite pas, et ne recule pas parce que « c’est trop tard, c’est foutu ». Après, ça te fera un poids en moins et tu seras même plutôt plus copain avec le patron. Parce que tu ne vas pas arriver en leur aboyant dessus. Je sais que tu vas y aller en t’excusant beaucoup de t’en être aperçu si tard, etc. Normalement, ce sont des êtres humains, et ça se passera bien.

    Enfin, je le dis comme je le sens. Ça vaut ce que ça vaut…

    1. @FoucPerotin : j’y vais régulièrement, mais pas fréquemment. Je dirais six fois par an. Ils ont beaucoup de couverts et je ne me suis jamais senti reconnu, contrairement à deux autres restaurants du coin où quand j’arrive on sait déjà ce que je prends (et parfois je dis oui pour pas les décevoir de la joie d’avoir retenu ma tête et mes goûts). Il m’est même déjà arrivé qu’on me dise qu’il n’y avait pas de place pour moi – les gens seuls font perdre une table – des jours de grosse affluence.
      Figures-toi que je ne conserve pas mes relevés de carte-bleue. Par contre j’ai tous mes relevés de compte.
      Je suis un peu timide, je me vois mal aller réclamer. Je me vois plus facilement ne plus y aller car je sens que ça me ferait mal à chaque fois. En revanche, j’ai gagné une leçon : il faut regarder le terminal de paiement, et il faut regarder attentivement ses relevés 🙂

  2. Alors, « fais-toi violence » pour aller faire cette réclamation sur place (avec tes relevés de banque). Ce que tu y gagneras est clair : tu pourras retourner ensuite manger une bonne choucroute paysanne de temps en temps sans que ça te fasse mal. Note enfin, pour être tout à fait complet, qu’une bonne maison a des livres de compte. La note devait indiquer le bon montant, et ce jour-là ils ont dû avoir un excédant de 200 ou 202 euros en caisse, dont leur compta peut avoir conservé la trace.

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