Un mot que je n’ai jamais vraiment compris

Partout sur les réseaux sociaux, et dans le monde entier, circulent les images pathétiques d’une femme à la plage, encerclée par quatre policiers municipaux qui la forcent à choisir entre retirer le voile qu’elle porte sur la tête et quitter la plage. Même quelqu’un comme Caroline Fourest, qui combat avec ardeur ce que représente le voile en termes historique et symbolique, et propose de répondre au Burkini par la pratique du nudisme, voit dans ces arrêtés municipaux anti-Burkini un dévoiement de la laïcité.
Mais ce n’est pas de ça que je veux parler.

On
On admire la tactique des policiers, qui encerclent la dame en bleu : pas question qu’elle se sauve. On ne le voit pas bien sur les images, mais elle ne porte pas un burkini, juste un fichu sur la tête.
L’image ne met pas mal à l’aise tous les anti-burkinistes. Quelqu’un m’a soutenu que la situation devait être comparée symétriquement à l’Iran : là-bas, les femmes étrangères sont forcées de se plier à la coutume locale et portent le voile. Voici où nous en sommes : l’obligation de porter les vêtements décrétés convenables par le régime des Mollah depuis 1979 est désormais ptésentée comme un modèle. Dans notre cas, ce n’est pas pour plaire à une divinité exigeante, mais au nom de la liberté et de l’émancipation des femmes. Beaucoup de gens me disent que le burkini est anecdotique, que c’est un moyen pour faire oublier le chômage, le nucléaire et autres grands problèmes. J’ai peur que ça ne soit pas si simple : comme souvent, les questions apparemment négligeables font affleurer les vagues de fond de la conscience collective, et il y a vraiment de quoi s’inquiéter, tant pour le traitement des musulmans que pour la facilité avec laquelle le climat de peur actuel rend possible une diminution des libertés.

Sur Twitter, j’ai vu quelques personnes s’indigner des photographies de la plagiste voilée, pour la scène montrée, bien sûr, mais aussi parce que le visage de la femme est visible. Je cite un tweet sur le sujet : « est-ce que la dame qui a été humiliée par les policiers à Nice aimerait que ces images soient sur le net ? ».
Effectivement, c’est une question qu’on pourrait lui poser, mais ce qui m’a étonné dans la phrase, c’est l’idée induite que la raison de refuser la publication de la photo est d’avoir subi une humiliation.

Même des personnes qui combattent ce que symbolise le voile, comme Caroline Fourest, pointent le ridicule de la psychose actuelle.
À présent, François Baroin voit le « Burkini » comme un élément de « terreur ». Je me demande s’il va publier un arrêté municipal pour l’interdire dans la ville Troyes, dont il est le maire, mais qui n’est pas réputée pour ses plages. Les cadres du parti Les Républicains se sont engagées ces jours-ci dans un festival de déclarations idiotes, chacun étant soucieux de ne pas être celui qui aura l’air tiède. Les plus sages se taisent, et peut-être ont-ils raison de le faire car l’électeur de base de leur parti n’est peut-être pas prêt à écouter sans irritation des propos réfléchis. Mutatis Mutandis, la psychose actuelle me rappelle l’anticommunisme américain de la guerre froide.

Cette réaction me fait mesurer à quel point j’ai du mal à comprendre le concept d’humiliation, surtout dans ce genre de contexte. Je comprends la définition, bien sûr, mais je ne comprends pas le sentiment. Pour beaucoup de gens il semble pourtant évident qu’on peut se sentir diminué par la volonté d’un autre. Pour moi, on ne peut se sentir rabaissé et ridicule, que si on a participé à l’être, si on est au moins en partie responsable de sa dégradation. Cela ne peut pas venir de l’extérieur. Les policiers qui se mettent à quatre pour appliquer un décret municipal à la formulation sybilline et qu’ils semblent avoir retenu comme le droit de chasser les musulmanes affichées de la plage sont ridicules. La mairie est ridicule. Le maire de Nice qui constate ce ridicule et menace de poursuivre ceux qui diffusent ces images est ridicule1. La France, complètement électrique sur ces sujets, est devenue internationalement ridicule cette semaine2. Comment la personne tracassée, qui n’a pas accepté les règles du jeu qu’on lui impose, pourrai-elle se sentir déshonorée ? Elle se plie à une contrainte contre laquelle elle n’a pas beaucoup de marge de manœuvre, ce n’est pas elle qui a le pouvoir de distribuer des amendes, ce n’est pas elle qui porte une matraque ! Le déshonneur est dans l’autre camp. Je crois que je suis beaucoup trop orgueilleux et protégé pour comprendre ce concept.

  1. Belle démocratie, qui veut qu’on n’ait pas de droit de regard sur l’activité des forces de l’ordre… La loi, heureusement, n’est pas de son côté : « Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image, hormis lorsqu’ils sont affectés dans les services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage spécifiquement énumérés dans un arrêté ministériel (…) La liberté d’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction ». []
  2. La prochaine fois qu’on brûlera une ambassade de France dans un pays musulman, ce sera pour ça, sans doute — non pour le Burkini en lui-même mais pour cette image d’une police qui persécute les membres d’une religion qui est celle d’un être humain sur quatre. []

4 réflexions au sujet de « Un mot que je n’ai jamais vraiment compris »

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