Le plagiat, encore
juin 25th, 2013 Posted in MémoiresUne fois de plus, je vais me plaindre des mémoires que l’on me donne à lire à la fin de l’année universitaire. Cette littérature, que l’université produit au kilomètre, est d’un intérêt très variable, car elle n’a généralement pas été écrite pour le plaisir d’être écrite, ni parce que les étudiants qui la produisent avaient quelque chose d’important à transmettre, mais parce que les institutions d’enseignement supérieur réclament du texte et y conditionnent le passage d’un niveau à l’autre, et l’obtention d’un diplôme1.
Les différents types de mémoires universitaires
Il faut que j’explique ici le contexte de production des textes à l’université et en école d’art, en espérant que le lecteur me pardonnera cet exposé un peu laborieux.
Autrefois, le premier mémoire de format important qu’un étudiant devait rédiger était sa « maîtrise », après quatre ans d’études. Afin de rendre le cursus plus progressif, les étudiants doivent désormais fournir un projet dit « tuteuré » en fin de licence, puis un master 1 (« projet de détermination ») l’année suivante et un master 2 (« mémoire de recherche ») une année plus tard. Le volume de ces mémoires augmente à chaque étape.
Les étudiants ne suivent pas forcément les cours de leur enseignant « tuteur » ou « directeur de recherches », celui-ci est choisi en fonction du sujet traité. Par exemple, je me charge souvent de mémoires sur les nouveaux médias, mais aussi de mémoires consacrés au rapport entre sciences et art, au film d’animation, à la bande dessinée et au street-art, parce que ce sont des sujets sur lesquels je me sens capable de porter un regard critique, tandis que j’ai moins d’opinion sur la peinture de Zao Wou Ki ou les installations de Joseph Beuys, sujets sur lesquels j’ai des collègues infiniment plus savants. L’implication de l’enseignant de référence varie selon le niveau, et c’est vraiment le mémoire de Master 2 qui est accompagné avec une grande attention tout au long de l’année. Il est validé au cours d’une soutenance, avec un jury de deux ou trois enseignants. Selon la mention obtenue, l’étudiant aura, ou non, le droit de s’engager dans une recherche de doctorat. Pour les mémoires de Licence ou de première année de Master, le texte est évalué par l’enseignant de référence et par un second lecteur qui peut être étranger au sujet — par exemple cette année on m’a donné à lire des choses sur Hans Richter, sur l’art contemporain chinois, sur le land-art, etc., sujets auxquels je ne suis pas hostile mais sur lesquels je ne suis pas spécialement savant.
J’ignore si cela se passe exactement de la même manière dans d’autres universités et d’autres cursus, mais chez nous à Paris 8 en arts plastiques, c’est comme ça2. Évidemment, ce ne sont pas les seuls types de travaux écrits que l’on trouve à l’Université : il y a aussi les rapports de stage, les compte-rendus de conférences, ou bien entendu les devoirs réalisés dans le cadre de tel ou tel cours.
En école d’art, c’est un peu différent : le seul texte obligatoire est le mémoire final, qui est produit pour l’obtention du DNSEP (Bac+5). Cela ne fait que quelques années que les mémoires de DNSEP ont été mis en place, sous la pression de l’université qui y mettait une condition pour que le Bac+5 des écoles d’art puisse avoir un « grade » Master 2 reconnu au niveau européen. Curieusement, les mémoires de DNSEP doivent être lus par au moins un titulaire de doctorat, tandis que ce n’est pas une obligation à l’université3, et d’ailleurs, le Master 2 de l’Université est soutenu devant un jury de trois personnes tandis que le DNSEP des écoles se déroule devant cinq personnes4.
Le pacte de non-lecture
Manuela de Barros, qui dirige le département arts plastiques, m’a signalé une tribune assez redoutable de Peter Sloterdijk5 où le philosophe rappelle que l’université produit à la tonne des textes dont les auteurs s’abritent derrière d’autres auteurs, et qui ne sont pas destinés à être lus. Pour lui, cela explique la tentation du plagiat :
[…] Vu de l’extérieur, le monde universitaire fait l’effet d’un biotope spécialisé dans la production de « textes » le plus souvent bizarres et totalement éloignés du populaire. Ils vont des rapports de séminaire et devoirs semestriels aux thèses et mémoires d’habilitation, en passant par les mémoires de diplôme ou de maîtrise et aux devoirs de partiels, sans parler des expertises, des projets de recherches, des mémorandums, des projets de structure et de développement, etc. : autant de végétaux textuels qui s’épanouissent exclusivement dans le microclimat de l’Academia – comparables à ces plantes rampantes des hautes Alpes qui survivent à des altitudes où les arbres ne poussent plus – et qui, en règle générale, ne supportent pas une transplantation dans les plaines plates et dégagées de la vie éditoriale.
Le plagiat universitaire se déroule par conséquent le plus souvent dans des conditions où les motifs qui interviennent d’habitude dans le non-respect de la propriété intellectuelle, le fait souvent évoqué de se parer avec les plumes des autres, ne peuvent guère jouer de rôle. Alors qu’en terrain dégagé les plumes d’autrui sont censées améliorer l’attractivité de celui qui les porte et augmenter sa « fitness érotique », pour employer le jargon des biologistes, les plumes des autres, en milieu universitaire, servent plutôt à se camoufler et à plonger dans l’ordinaire. Elles aident le porteur des plumes à passer inaperçu dans le flux régulier des masses de textes.
Reprenant la théorie de l’école de Constance sur le pacte implicite qui lie l’écrivain au lecteur6, Sloterdijk parle d’un pacte de non-lecture qui, selon lui, caractériserait les textes universitaires, où une lecture véritable n’est même plus attendue :
Dans ce système, la lecture réelle inattendue mène à la catastrophe. L’intéressant, ici, est le fait que ce que l’on appelle la lecture réelle ne peut avoir lieu, compte tenu des monstrueuses avalanches que constituent les productions universitaires écrites. Aujourd’hui, seules les machines à lire digitales et les programmes de recherche spécialisés sont en mesure de tenir le rôle de délégués du lecteur authentique et d’entrer en conversation ou en non-conversation avec un texte. Le lecteur humain – appelons-le le professeur – est en revanche défaillant. C’est aussi et précisément en tant qu’homme de l’université que le spécialiste est depuis longtemps condamné à être plus un non-lecteur qu’un lecteur.
Assez désespérant. À propos de machines, je dois reconnaître que j’utilise précisément une « machine à lire », le logiciel Compilatio, mis à ma disposition par l’Université pour repérer les plagiats les plus grossiers.
On peut imaginer que l’obligation, pour les enseignant-chercheurs, de publier régulièrement dans des revues universitaires, aboutira aussi à quelques horreurs dans le domaine du plagiat et causera en tout cas l’existence d’un grand nombre de textes inutiles et destinés à n’être lus par personne. Combien d’arbres coupés pour ça ?
Le plagiat
Chaque année, des étudiants sont tentés de plagier, de fournir des textes qu’ils n’ont pas écrits eux-mêmes. Je n’ai jamais rencontré le cas en école d’art, où les étudiants ont pourtant des difficultés à écrire, mais sont, surtout après cinq ans d’études, censés se trouver dans une démarche d’auteur, de créateur, à la recherche de leur propre voie (ou voix)7.
Bien entendu, à l’université, tricher n’a aucun sens non plus, mais visiblement, les conditions s’y prêtent plus, peut-être tout simplement parce que les étudiants sont assez isolés, car comme je l’écrivais dans mon article précédent, les écoles supérieures d’art publiques, notamment celles qui ont une équipe pédagogique réduite à mon avis, ont un fonctionnement familial. Et cela implique que l’on fréquente chaque jour des gens que l’on n’a pas envie de décevoir. Dans les gros départements des grosses universités, il est possible de se faire des amis ou d’entretenir des rapports amicaux ou intellectuels soutenus avec ses enseignants, mais ce n’est qu’une possibilité, il est tout à fait possible d’effectuer son cursus dans l’anonymat le plus complet jusqu’au Master 1, voire au Master 2.
Cette année, j’ai reçu plusieurs textes douteux. L’un d’entre eux, reçu très tardivement, était extrêmement bizarre, très mal écrit, rempli de formules qui semblaient traduites de l’anglais8. Ce n’est pas rare de la part d’étudiants étrangers qui lisent mieux l’anglais que le français et ont tendance à appuyer leur travail sur une documentation anglophone. Ici, le sujet était le recours à une esthétique steampunk par le réalisateur Hayao Miyazaki. Après avoir essayé de comprendre une quinzaine de pages, j’ai fait une petite recherche avec Google, non pas sur les phrases, mais sur les énumérations de noms propres. Et je suis tombé sur un texte émanant de l’université de Pennsylvanie, au contenu strictement identique, si ce n’est que la page de remerciements et le curiculum vitae de l’auteur avaient été ôtés. Autant dire que j’ai été déçu. J’ai envoyé le lien à l’étudiante, en lui disant qu’elle devait le connaître. Elle a aussitôt regretté, s’est confondue en excuses, m’a expliqué une terrible histoire familiale (sans doute vraie) qu’elle a conclu en regrettant d’avoir finalement choisi « d’abandonner l’honnêteté ».
Malheureusement pour elle, ça n’en est pas resté là, car elle était loin d’être unique dans son cas et ce matin, elle a été convoquée avec cinq autres étudiants pour un conseil de discipline destiné à décider si elle aurait le droit de s’inscrire une année supplémentaire à l’université pour refaire un mémoire personnel, ou si elle se verrait tout simplement interdire la poursuite de ses études supérieures.
Je ne connais pas le verdict, j’ai lâchement préféré ne pas me rendre à ce conseil de discipline. Bien sûr, je suis tout à fait solidaire de la procédure, et si je pense qu’un diplôme d’arts plastiques n’est qu’un bout de papier sans grande valeur9 si l’étudiant diplômé ne l’est pas pour de bonnes raisons, je pense aussi qu’il est injuste que des étudiants qui ont travaillé durement se retrouvent avec la même note que d’autres qui se sont contentés de passer un texte dans google translate, et je pense qu’il est idiot de laisser des étudiants croire qu’on gagne quelque chose en étant malhonnête, et pire que tout, malhonnête avec soi-même. Si on n’a pas envie d’écrire, pourquoi s’embêter à l’université ? Si l’on s’intéresse à un sujet, pourquoi recopier ce qu’en dit un autre ? Et si on ne s’y intéresse pas, pourquoi vouloir valider un diplôme en rapport ?
L’école donne de mauvaises habitudes, elle transforme tout en corvée : les sciences, la littérature, l’exercice physique, la musique,… Mais une fois à l’université, en tout cas dans ce genre de filières (bien sûr, en médecine, en droit, c’est forcément différent), cela ne devrait plus exister, on devrait avant tout faire les choses pour soi-même, profiter du plaisir d’apprendre et de comprendre. Si l’Université ne sert pas à ça, alors à quoi ?
Bon, je suis peut-être influencé dans ma vision des choses par le fait que je suis à Paris 8, ex-Vincennes. J’ai visionné l’autre jour les DVDs Inculture(s) et surtout Inculture(s) 2, par Franck Lepage, et j’ai bien aimé sa description de mon université quand il y est arrivé, il y a trente ans. Fondée comme « unité expérimentale », ne délivrant pas de diplôme reconnu par l’État, avec des étudiants souvent plus âgés que les enseignants et où les questions de notation étaient absentes : seule comptait l’envie d’apprendre. J’ai connu les scories de cette université quand j’y suis arrivé moi-même, il y a vingt ans. J’ai connu le prof qui, à son premier cours, disait : « Si mon cours ne vous intéresse pas, laissez-moi votre nom sur un papier, je vous donnerai un quinze sur vingt, je ne suis pas là pour vous freiner à l’université. Si ça vous intéresse, par contre, vous devrez passer l’examen et vous aurez peut-être une mauvaise note ». Un prof de chinois classique10, tellement passionnant que personne, je pense, n’a envisagé de valider son cours sans le suivre. Parce que ce qu’on gagnait, chez lui, ce n’était pas une note, c’était d’apprendre et de comprendre.
Rapidement, j’ai vu l’université changer, les étudiants rajeunir (mes premiers étudiants étaient souvent plus vieux que moi), et l’ensemble des études prendre un tour plus scolaire. Quand à l’héritage de « Vincennes », je pense qu’il a en grande partie été dilapidé bien que révéré (expositions, portraits géants de Deleuze, émissions de radio et que sais-je encore). J’imagine que ce processus était inévitable et j’ai pu remarquer que le conformisme venait souvent des étudiants eux-mêmes, qui sont les premiers à mal supporter (je le sais à mes dépens) qu’un prof donne dix-huit sur vingt à tout le monde.
Enfin heureusement, et malgré la pression à laquelle les universités sont soumise par des tutelles obnubilées par évaluations, par les normes européennes voire par le classement dit « de Shanghaï », on peut toujours expérimenter par le contenu de ses enseignements ou par le mode de fonctionnement de ses cours. C’est ce que j’ai fait cette année, en cours de programmation avec Processing (éminemment technique, mais ouvert aux étudiants qui n’y connaissent rien), en organisant des partiels au cours desquels les étudiants avaient le droit d’utiliser leurs notes de cours, leurs livres, l’aide qu’ils pouvaient trouver sur Internet, et même, de discuter pour s’entre-aider. J’ai eu cette idée en participant comme jury au concours d’entrée de l’Ensci/Les Ateliers, où l’échange entre les étudiants fait partie de l’évaluation et permet de savoir qui pourra travailler avec d’autres, qui saura se trouver une place dans un groupe, etc. Car après tout, dans le monde du travail, la collaboration est une chose importante et souhaitable, tandis que des employés qui se cacheraient pour travailler et auraient peur que leurs collègues regardent par dessus leur épaule seraient plutôt nuisibles en termes d’ambiance et d’efficacité. Bien sûr, je n’ai pas l’ambition de former qui que ce soit à un quelconque métier, mais raison de plus pour expérimenter librement. Faire travailler les étudiants sur des sujets expérimentaux, avec des outils nouveaux (comme Wikipédia, il y a quelques années, par exemple), ne m’a jamais fait peur, mais pour ce qui est de la validation, j’ai toujours été embarrassé et parfois franchement maladroit envers les étudiants, voire vexant (qu’ils me pardonnent).
Ce qui me rappelle que mon excellent collègue du Havre l’artiste Olivier Agid a soutenu au début des années 1980, à Paris 8 et sous la direction de Frank Popper, une thèse assez unique en son genre puisqu’elle était composée presque uniquement d’images11, ce qui était logique venant de quelqu’un qui s’exprime précisément par l’image. Je doute que des facs d’arts plastiques osent à nouveau accepter un travail aussi audacieux de sitôt, mais il serait dommage d’avoir une vision trop rigide de la forme que doit avoir un travail universitaire.
La Chine et le plagiat
Quand j’ai commencé à parler de mes doutes sur des plagiats, plusieurs personnes m’ont répondu comme si, à l’évidence, je ne parlais que d’étudiants chinois. Ce n’est pas le cas du tout, même s’il me semble évident que plus les étudiants ont des facilités à écrire en français et moins ils risquent de subir ce genre de tentations. Et cela se vérifie notamment avec des étudiants tout ce qu’il y a de français, nés en France, éduqués par l’école de la République Française, qui écrivent laborieusement leur propre langue et qui commettent des fautes de construction grammaticale dès qu’ils écrivent des phrases un peu longues. Ce sont ceux-là aussi que l’on trouve parmi les plagiaires.
Mais il y a sans doute bien une spécificité chinoise vis-à-vis de la copie. En jury de DNSEP à Cambrai, la semaine dernière, j’ai beaucoup apprécié le culot d’un étudiant nommé Wenhao Chen qui a fait son mémoire et son accrochage sur le thème du plagiat. Grâce à lui, j’ai entre autres appris que la langue chinoise disposait d’un lexique bien plus réduit que le français ou l’anglais pour distinguer des notions telles que le plagiat, la contrefaçon, la copie, l’imitation, l’hommage, le pastiche, l’influence, l’inspiration, la parodie, l’appropriation, le recyclage, etc.
Si j’interprète bien le propos de cet étudiant, la copie est une étape positive, dans la tradition chinoise, qui, à force d’apprentissage et de personnalisation permet d’atteindre le stade où l’on est copié, preuve qu’on est enfin un authentique créateur.
L’aspect plutôt positif, ici, c’est d’accepter soi-même d’inspirer les autres et d’y voir une reconnaissance de son talent. Inversement, je me rappelle (en France et en Suisse, mais j’imagine que ce serait pareil dans beaucoup de pays), être tombé occasionnellement sur des étudiants dont je visitais les écoles et que mon appareil photo rendaient paranoïaques et qui m’ont fait jurer de ne diffuser aucune image sur laquelle on pouvait voir leur travail.
J’ai peur que le problème des mémoires universitaires, tel que l’expose Peter Sloterdijk, ne soit pas près d’être réglé. Alors en attendant, je supplie les étudiants qui me lisent d’avoir pitié pour les yeux et l’intelligence de leurs enseignants et d’éviter de les forcer à lire des choses trop ineptes, des choses qui ne les intéressent même pas eux-mêmes, des choses qu’ils volent ailleurs par manque de confiance en leur propre capacité à écrire et à penser. Mais surtout, ces étudiants, il faut aussi qu’ils aient pitié d’eux-mêmes, car un mémoire, qu’il soit ou non lu avec attention, sert au moins à enseigner quelque chose à celui qui l’a écrit, puisque ce dernier aura été forcé à effectuer des recherches, à compiler un savoir, à établir une bibliographie. Et ce n’est pas du temps perdu13.
J’abuse un peu de parler de la douleur des longs textes tout en en produisant un moi-même. Mais au moins, vous n’étiez pas obligé de le lire.
- L’image qui se trouve en tête de l’article est la couverture de la revue Jade 166u, à paraître dans quelques mois, et dont le thème est Le Jeu des influences. [↩]
- Les étudiants venus de pays où il n’y a pas d’équivalent avec la discipline « arts plastiques », qui est à mi-chemin entre pratique et théorique, et où la création artistique pure s’étudie à l’université, et non en école d’art, doivent être un peu désorientés lorsqu’ils arrivent en fac d’arts plastiques en France. Beaucoup d’étudiants français, en première année de licence d’arts plastiques, s’attendent d’ailleurs aussi à voir des ateliers dignes de ce nom, des chevalets, des sellettes, et des filles toutes nues qui prennent des poses. J’imagine que ce quiproquo est la cause de beaucoup des problèmes qui entourent la question du texte. [↩]
- D’où une furieuse course aux docteurs dans les écoles d’art : dans les matières théoriques (histoire de l’art, esthétique) les enseignants en poste sont fortement incités à soutenir une thèse et disposer du titre de docteur devient une condition quasiment indispensable pour être embauché. [↩]
- Encore un détail qui distingue les deux institutions et que ne savent que ceux qui ont un pied dans chaque : les quatre membres des jurys de DNSEP extérieurs à l’école sont rémunérés pour cette tâche, tandis que les jurys de Master 2 mais aussi de thèse, ne le sont pas, y compris s’ils sont extérieurs à l’université. [↩]
- Peter Sloterdijk, Plagiat universitaire : le pacte de non-lecture, dans Le Monde du 28 janvier 2012. [↩]
- Lire : L’Acte de lecture : théorie de l’effet esthétique (éd. Mardaga, 1985), par Wolfgang Iser. [↩]
- Cela n’empêche pas un peu de roublardise. Récemment, un étudiant que j’ai connu il y a quinze ans me révélait qu’il avait passé son diplôme en inventant les noms d’artistes qu’il citait. [↩]
- Plus drôle, certains noms propres étaient traduits, comme Tim Powers, devenu Tim Pouvoirs. [↩]
- Évidemment, ce n’est pas tout à fait vrai. D’une part, les diplômes d’arts plastiques peuvent servir à enseigner, dans le secondaire ou dans le supérieur français, mais par ailleurs, dans certains pays où les études supérieures ne concernent qu’une part infime de la population, un diplôme de Master, et plus encore un diplôme obtenu dans une université occidentale, a une valeur importante et j’ai vu plus d’un étudiant chinois m’expliquer qu’une fois validé son diplôme, il allait devenir enseignant dans une grande université de son pays. [↩]
- L’enseignant en question, Kyril Ryjik, a disparu de la circulation. Il enseignait le chinois dans le département de philosophie, c’est à dire que pendant quelques semestre j’ai appris à déchiffrer à a comprendre du Confucius ou du Lao Tseu. Il a publié un manuel d’étymographie du chinois assez exceptionnel en deux volets, L’idiot chinois, et L’idiot chinois. Tome 2. [↩]
- On se souviendra, dans un registre comparable, que Serge Tisseron avait soutenu en 1975 une thèse de doctorat en médecine qui se présentait sous la forme d’une bande dessinée. [↩]
- De manière assez astucieuse, la carte contrefaite ne porte pas la mention « made in Italy », qui serait mensongère, mais « designed in Italy », qui est exacte, même si l’intention de tromper ne fait pas vraiment de doute. [↩]
- Je ne sais pas ce que valait objectivement mon mémoire de DEA, par exemple, mais j’ai appris beaucoup en le rédigeant, et je l’ouvre souvent pour retrouver telle ou telle référence oubliée. [↩]
16 Responses to “Le plagiat, encore”
By josué on Juin 25, 2013
Salut Jean-Noël,
J’ai donc un peu suivi, ces derniers jours, tes démêlés avec cette littérature “grise” et j’apprécie que tu publies ici ce compte-rendu vers lequel je vais pouvoir rediriger les étudiants que je fréquente moi-même.
Au sujet de ce “pacte de non-lecture’, une chose me reviens à l’esprit : j’ai lu, il y a quelques mois, mais où je ne sais plus, un texte émanant de scientifiques sérieux du genre qui publient des thèses, des articles dans des revues savantes, de gros rapports internationaux sur des sujets d’importance et tout ça tout ça. Et les gars racontaient qu’entre eux, pour blaguer entre équipes scientifiques internationales, ils pratiquent une espèce de compétition consistant à truffer leur production textuelle d’un maximum de pages de Victor Hugo ou de Shakespeare (ou de je ne sais plus quels auteurs mondialement considérés), sachant que les hautes instances qui leur commandent ces études n’en font en réalité pas grand cas. Je crois me souvenir qu’ils évoquaient le cas d’un gars qui avait réussi à caser, paragraphe par paragraphe ou page par page, la totalité d’un roman au milieu d’un gros machin sociologique ou mathématique (ou autre, j’ai oublié).
Les mecs racontaient qu’avec ça la rédaction de longs rapports savants et fastidieux devenait un peu plus plaisante, ça leur servait de récréation je crois.
:oD
By MxSz on Juin 25, 2013
Merci pour billet très juste.
By Wood on Juin 25, 2013
Note que sur la carte Arduino contrefaite, il n’est pas écrit « made in Italy », mais « design in Italy ». L’honnêteté du faussaire…
By Jean-no on Juin 25, 2013
@Wood : bon œil ! Effectivement.
By Denis on Juin 26, 2013
Salut Jean-Noël,
On retrouve le même argument que Wenhao avance sur la Chine, au milieu de cet article :
http://www.nybooks.com/blogs/nyrblog/2013/jun/06/faking-it-china/
« One reason, Bosker argues, is that replicas are highly valued in Chinese culture—copies and mimicry of the innovations of others do not carry any negative connotations. »
A moins qu’il ne s’agisse d’un plagiat.
By François on Juin 26, 2013
Excellent texte, merci Jean-Noël. Je suis moi-même confronté à ce problème en tant que « petit nouveau » chargé de cours à l’Université. Je puiserai ici des arguments et réflexions à soumettre à mes étudiants. Je trouve tout à fait pertinent de mettre la « non lecture » des enseignants en regard avec le plagiat, dans un système qui vire au non-sens et à l’absurde.
En complément sur le fait culturel, celà m’a rappelé cet essai de civilisation comparée de Bernard Nadoulek sur la propriété intellectuelle : http://www.nadoulek.net/Propriete-intellectuelle.html La copie n’est pas contrainte par le principe du droit d’auteur, car celui-ci est freiné par la méfiance historique envers le droit (la conciliation est toujours préférée), et par la dimension collectiviste de l’éducation et de sa diffusion par les classes lettrées à l’époque où celle-ci jouissaient des privilèges de l’Etat.
Ton propos m’a aussi fait penser à la thèse de médecine de Serge Tisseron (mais comme je lis peu les notes de bas de page… j’ai failli ne pas voir que tu l’avais cité ;-) Il y a fait des émules semble-t-il : http://www.bdmedicales.com/etudes/theses.htm L’expression par la bande-dessinée n’échapperait pas au problème du plagiat, mais aurait au moins deux effets de bord : bloquer les outils automatiques… et rendre temporairement du plaisir au correcteur. Car comme tu l’évoques, le problème de fond est dans la dimension « industrielle » du processus d’évaluation… J’aurais bien aimé connaître « Vincennes », il y a 30 ans.
By Solisiter on Juin 26, 2013
@Josué : Votre histoire me rappelle ma soeur, plume d’homme politique et attachée parlementaire, qui me racontait leur jeux qui consistait à placer un mot – le mot le plus incongru possible – lors de l’écriture de disours. Le gagnant choisissait le prochaine mot, etc.
Sinon en tant que musicienne spécialisée en musique ancienne, je peux dire que le plagiat était extrêmement pratiqué, par ex. « la messe de l’homme armé », « Suzanne un jour »… beaucoup de thème repris, retravaillé, entre profane et sacré…
By Bishop on Juin 26, 2013
Comme souvent un beau papier. Après mes six semestres de chargé de cours je commence à avoir mon micro bagage d’expériences et de cas. J’ai eu beaucoup de L1 et j’appuie chaque semestre sur le plagiat, cela reste une plaie au niveau de l’université. Je veux bien que recopier soit une activité intéressante, elle l’est car on s’approprie, mais copier coller c’est une autre histoire….
Un des derniers cas de plagiat autour de moi fut pour un ami au premier semestre avec une M1… chinoise… et à Paris 8.
Sinon je fais ce que je peux pour motiver les étudiants et tenter d’autres approches (je vais lancer des ateliers wikipedia la prochaine fois, ce qui dans mon « milieu » n’est pas toujours évident etc…) mais si je dis « Si mon cours ne vous intéresse pas, laissez-moi votre nom sur un papier, je vous donnerai un quinze sur vingt », le td va vite devenir vide… Après peut-être pas en L3 ou en master. En L1 et en L2 les étudiants ont parfois encore un esprit de lycéen.
By Cédric on Juin 26, 2013
Bonjour.
A propos de l’étudiante steampunk, je vous trouve un peu rude (mais beaucoup moins que le système).
Je crois que vous seriez d’accord pour dire qu’un cursus supérieur en 5 années ne coïncide pas systématiquement avec le temps de maturation d’un choix, plus ou moins clairement étayé, qu’elle a fait quelques années auparavant. L’horloge universitaire est implacable, les difficultés à se ré-orienter si on s’est trompé en cours de scolarité supérieure sont insurmontables, etc.
Et il est si facile de se tromper d’orientation, à cet âge de la vie … et pourtant il faut commencer à cotiser, être autonome financièrement, rassurer ses parents, justifier ses choix devant ses amis, devant son miroir, etc. Que d’injonctions.
La responsabilité des enseignants est d’aider les étudiants à gérer le risque d’en arriver « là », bien avant le supérieur d’ailleurs. Un conseil de discipline, c’est l’échec de l’institution (même si elle sauve sa face ainsi), pas des petits scarabées de la vie académique et de la vie tout court. Il existe d’authentiques tricheurs, c’est certain. Mais la plupart des plagiaires font comme ils peuvent, la preuve, ils plagient mal.
Et « abandonner l’honnêteté » doit être verbalisé, oui. Mais c’est plus un acte pédagogique que disciplinaire, à mon avis.
(et j’en ai vu/lu du plagiat)
By Jean-no on Juin 26, 2013
@Cédric : oui, le conseil de discipline ressemble à un échec, mais c’est aussi une manière d’envoyer un message aux autres étudiants (et à vrai dire ça a marché). Ceux qui se sont chargés du conseil de discipline (terme qui a gêné plus d’un collègue, sans doute à raison) ont voulu en faire un moment pédagogique et traiter chaque cas avec humanité. Mais ce n’est en aucun cas une manière de dire « on fait le ménage » ou quoi que ce soit du genre, c’est avant tout une manière d’affirmer que le plagiat est un problème. J’ai déjà eu des étudiants pour me dire « ah bon, on n’a pas le droit ? ». Là, c’est dit clairement, j’espère que l’affaire fera date.
By Elmyr Hory on Juin 27, 2013
« Je n’ai jamais rencontré le cas en école d’art, où les étudiants ont pourtant des difficultés à écrire, » ; il faudrait lire davantage de « mémoire » émanant des écoles d’art pour se rendre compte qu’ils oublient régulièrement les rudiments des « règles » de la citation, mais qu’ici cela ne s’appelle plus plagiat mais création…
Helmyr
By Jean-no on Juin 27, 2013
@Elmyr : j’en lis, j’en suis, et je les trouve généralement corrects de ce point de vue-là. Mais il est vrai que je n’ai pas vu tous les mémoires de France et de Navarre.
By redheadair on Juin 27, 2013
Merci pour cet article passionnant, et particulièrement juste.
Je me permets de vous indiquer ce TED talk sur la mode et la copie, proche de la vision chinoise de la contrefaçon : http://www.ted.com/talks/johanna_blakley_lessons_from_fashion_s_free_culture.html
Réutiliser des bouts de ce qui existe déjà, leur donner sens via un raisonnement personnel, constitue une démarche qui correspond davantage à l’intelligence requise aujourd’hui, même s’il faut aussi que des chercheurs continuent à creuser vers ce qui n’est pas encore connu/déjà fait.
By Marie-Anne on Avr 17, 2014
Kyril Ryjik (note 10 ci-dessus) n’a pas disparu. Le volume 1 (sur 7) de la nouvelle version de l’Idiot Chinois va bientôt paraître aux éditions You Feng. Il a tout simplement pris sa retraite, un prof étant inapte à intéresser les étudiants dès qu’il a 67 ans. Pas de Collège de France hélas, car il n’avait jamais cherché à être « professeur », ce grade pour lequel il FAUT publier, condition qui nous vaut tant de textes universitaires insipides, mais c’est une autre histoire.
By Jean-no on Avr 17, 2014
@Marie-Anne : merci pour ces renseignements. Un ancien étudiant m’avait écrit en privé pour me dire aussi que Kyril Ryjik avait pris sa retraite.
By Johnny on Juin 2, 2017
Ce que disait votre étudiant chinois sur la noblesse de la copie semble coïncider avec une de mes lectures du moment, Les contes de pluie et de lune d’Ueda Akinari (Japon, XVIIIème), dont le traducteur explique dans ses notes qu’il s’agit souvent de reprises de contes chinois classiques. Pas seulement des reprises du contenu (ce à quoi on est habitué quand on parle de contes) mais aussi des formulations, des tournures de phrases, ce qui, là, pourrait commencer à ressembler, selon nos critères, à du plagiat. Or le traducteur explique au contraire que cela était valorisé, au détriment de l’originalité, parce que ça montrait que l’auteur avait une des lettres, maîtrisait ses classiques et savait s’en servir. Je ne sais pas dans quelle mesure cette vision japonaise de la (non-)création s’étendait au reste de l’Asie, mais je trouve que ça complète bien le propos de votre étudiant.
Pour en revenir au plagiat, je vous ai dit sur twitter mon étonnement, tant un mémoire fait sans fierté, sans envie d’apporter sa petite brique personnelle au mur universitaire me semble le travail le plus fastidieux qui soit, en plus d’être assez triste quant à son ego. Et puis en y réfléchissant je me dis (c’est un peu ce dont vous parlez en disant que c’est un passage obligé) que c’est aussi le contexte qui suscite cette envie. Quand j’ai passé (il y a dix ans) ma maîtrise de cinéma, l’année de maîtrise tournait essentiellement autour du mémoire (il y avait très peu de cours) et les étudiants en parlaient beaucoup entre eux, parce qu’ils avaient choisi leur sujet suite à une envie de faire découvrir quelque chose qui leur tenait à cœur. J’ai repris mes études cette année en ESPE, et le mémoire y étant une formalité pour passer en M2, alors que la vraie priorité pour presque tout le monde c’est le concours, autant dire qu’on ne se fatigue pas à faire beaucoup plus que de la synthèse d’articles scientifiques existants (la 2ème année, plus orientée pratique, sera certainement plus enthousiasmante).
Par ailleurs, quand vous parlez des difficultés de certains à écrire, je vois qu’effectivement certains de mes collègues (qui ont 15 ans de moins que moi) peinent un peu, et je pense que l’avantage que j’ai sur eux vient d’avoir, pendant dix ans, rédigés des notules pour mes activités associatives diverses (chroniques radio, présentation de films) et que finalement, c’est sans doute ce cursus-là que je valide aujourd’hui plus que mon parcours universitaire, ce qui m’amuse et m’attriste en même temps.